
Disponible le 22 mai sur Netflix et produite par Margot Robbie, la comédie noire Sirens nous invite à un jeu de massacre chez les ultrariches, à travers le portrait nuancé de trois femmes tourmentées.
C’est l’histoire de deux sœurs que tout semble opposer. Aidante familiale à bout de souffle d’un père malade, Devon (Meghann Fahy) quitte sur un coup de tête sa vie à Buffalo pour débarquer dans celle de sa petite sœur, Simone (Milly Alcock), assistante dévouée d’une énigmatique mondaine, Michaela Kell (Julianne Moore). Sur place, Devon découvre un somptueux domaine insulaire mené à la baguette par Michaela, qui exerce une emprise féroce sur sa sœur. Elle va tenter une intervention qui fera ressurgir traumatismes et autres secrets bien cachés.
Quatre ans après le succès critique et public de Maid, série marquante sur une femme pauvre qui tente de s’échapper d’une relation abusive, la showrunneuse Molly Smith Metzler poursuit son exploration de la condition féminine par le prisme de la classe sociale, mais change de registre. Adieu le drame réaliste, bonjour la comédie noire. Elle adapte Elemeno Pea, une pièce de théâtre qu’elle a écrite en 2011, en une minisérie composée de cinq épisodes.
Une pour toutes et toutes pour Michaela
Sur l’île où travaille sa sœur 24h/24, Devon découvre un univers barbiesque aseptisé et totalement contrôlé par Michaela Kell, la deuxième épouse du milliardaire Peter Kell. À la tête d’une fondation consacrée à la protection des oiseaux, elle affiche un extérieur parfait en toutes circonstances. Ses désirs sont des ordres, que Simone se charge de faire exécuter avec le plus grand des zèles, au grand dam du personnel de la résidence, qui voit en elle une colonelle aussi oppressive que la big boss.

L’esthétique pastel et édulcorée de la série évoque un mélange entre le film Barbie (2023), l’épisode « Nosedive » de Black Mirror (2016) et le film Les femmes de Stepford (1975), dans lequel un groupe d’hommes transformaient leurs femmes en robots soumis.
Dans Sirens (2025), c’est une femme qui hypnotise tout le monde et prend les traits de la géniale Julianne Moore. L’actrice se révèle parfaite en gourou new age tantôt glaciale et control freak, tantôt d’une chaleur et d’une empathie réconfortantes, dans cet environnement qui sent la secte à plein nez, où tout le monde se salue par un « hey hey » et observe divers rituels improbables.
Petit soldat dévoué, Simone renonce à toute intimité pour être à la hauteur des attentes de sa boss. Elle court avec elle tous les matins, cache son petit ami par peur de la décevoir et répond à ses demandes à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. En échange, la jeune femme se sent aimée et protégée par Michaela. À travers ce management toxique, l’œuvre critique le monde du travail moderne et ses injonctions à la perfection et à la performance.
Le style de vie que Michaela impose à son personnel et à ses proches se trouve quelque part entre les valeurs de la « start-up nation » (bienveillance de surface, le travail devient la famille, les horaires à rallonge) et les dérives sectaires de la mouvance du « féminin sacré ».

Lors d’une scène de relooking, obligatoire pour se conformer au style vestimentaire preppy pastel en vigueur, Devon apprend qu’elle doit « manifester la vie qu’elle mérite », mais aussi qu’elle est une « déesse » qui peut faire plier « Mère Nature » à sa volonté si elle démontre assez de confiance en elle.
Dans cette ambiance à la Midsommar (2019) en plus soft, Sirens (2025) tourne en dérision le féminisme néolibéral, axé sur le développement personnel et l’émancipation des femmes riches et blanches. Une armada de personnes racisées et/ou issues des classes populaires est au service de Michaela pour soutenir son train de vie.
Sœurs de traumas
Passé un premier épisode de mise en place un peu laborieux, la série trouve son ton, notamment grâce à une bande son envoûtante aux vibes très White Lotus, signée Michael Abels (à qui l’on doit la bande originale grinçante de Get Out). Qui de mieux que deux sœurs issues des classes populaires pour être fascinées par la réussite de Michaela ?

Interprétées par les excellentes Meghann Fahy (The White Lotus) et Milly Alcock (House of the Dragon), très crédibles en sœurs qui se bouffent le nez avant de se tomber dans les bras, Devon et Simone représentent l’ancrage émotionnel de l’œuvre, qui déroule le fil des liens traumatiques les unissant.
Livrées à elles-mêmes très jeunes, elles se sont construites sur leurs traumatismes d’enfant. Certaines scènes, dans lesquelles les deux sœurs se renvoient leurs blessures et leurs manquements à la figure, sont particulièrement douloureuses à regarder, mais elles sonnent aussi terriblement juste. Signe d’une écriture de qualité : on comprend autant le point de vue de Simone que celui de Devon.

La première ne veut plus entendre parler de son père et gère seule ses crises d’angoisse, syndromes d’un burn-out imminent, tandis que la deuxième n’arrive plus à s’occuper seule d’un père atteint de démence sénile. L’une est partie et cherche à s’extraire à tout prix de la classe populaire dont elle est issue, l’autre est restée et lutte contre ses démons, l’alcoolisme et une conduite sexuelle à risque.
La série touche du doigt une réalité sociale : le travail du care, qui désigne l’attention portée à l’autre d’un point de vue émotionnel et matériel, reste essentiellement féminin et largement dévalorisé dans notre société.

En ayant considérablement manqué jeune, Simone s’est tournée vers Michaela, une personne qui a les moyens de donner l’impression qu’elle effectue un travail de care, alors que celui-ci échoue surtout sur les épaules de son personnel.
De son côté, Devon a pris sur elle de fournir ce travail de care auprès de Simone jeune, puis de son père, et ce sacrifice lui pèse. Ce personnage permet de braquer les projecteurs sur les personnes aidantes, qui consacrent leur vie, ou une partie, à prendre soin d’un proche.
Devenir une sirène dans une société patriarcale
Mais pourquoi appeler cette série Sirens ? Le titre joue sur les mystères qui entourent le pouvoir de Michaela, potentiellement surnaturel. Ses proches perdent parfois la notion du temps en sa présence, ou ne savent plus s’ils évoluent dans la réalité ou dans un rêve. Elle est aussi soupçonnée de meurtre… Et puis, sa passion pour les oiseaux est un clin d’œil à la figure de la sirène dans la mythologie grecque, illustrée par un corps mi-femme mi-oiseau.

Dans la mythologie nordique, il est mi-femme, mi-poisson. Dans les deux cas, cette figure fantastique envoûte les hommes par ses chants et sa musique, avant de les noyer. L’un des épisodes de Sirens, intitulé « Perséphone », fait, lui, référence à la fille de Zeus. Enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, Perséphone devient son épouse puis négocie avec lui le droit de revenir sur Terre 8 mois sur 12 – un mythe qui expliquait le phénomène des saisons.
Si, au début du récit, on a l’impression que Michaela est une sirène toute-puissante face à son mari suiveur, incarné tout en flegme par le magnétique Kevin Bacon, on comprend au fil des épisodes qu’il ne s’agit que d’apparences. Épouse d’un milliardaire, cette Perséphone des temps modernes a abandonné sa carrière d’avocate et sa position de pouvoir est toute relative.

Alors que Simone a l’opportunité de se marier avec un homme très riche et de devenir, elle aussi, une « sirène », sa mentor la met en garde : « Quand on est une Madame Quelqu’un, notre vie devient immense, mais on devient minuscule. Ma vie entière dépend de son approbation. […] Je travaille pour lui. » Le twist final, dont on vous laisse la découverte, le confirme. Dépeinte comme la méchante de l’histoire, Michaela tente en réalité de conserver le peu de contrôle qu’elle a réussi à obtenir, dans une société où ce sont toujours les hommes qui détiennent les clés du pouvoir. Elle n’est ni une oie blanche, ni une entité maléfique. Les sirènes n’existent que dans les yeux des hommes.