Critique

Maid ou l’envers du rêve américain

10 novembre 2021
Par Moland Fengkov
“Maid” pourrait devenir la minisérie la plus regardée de la plateforme.
“Maid” pourrait devenir la minisérie la plus regardée de la plateforme. ©Ricardo Hubbs/Netflix

Une minisérie sur les violences conjugales, tout en finesse, qui ne tombe ni dans les clichés ni dans le pathos, portée par la fille d’Andie McDowell, sublime Margaret Qualley.

Une minisérie devenue un phénomène. On suit à travers elle le parcours d’une mère qui fuit le mobile home « conjugal » avec sa fille de 3 ans, avant que les accès de violence de son petit ami ne les fassent basculer dans le drame. S’ensuit alors un long et pénible parcours du combattant pour trouver un toit et un boulot pour préserver la garde de sa fille.

Une histoire de cycles et de galères

À travers le portrait d’Alex, Maid dresse le tableau de l’Amérique d’en bas, celle qui tente simplement de (sur)vivre. Elle laisse ses rêves de côté, car ses priorités sont ailleurs : gérer un budget réduit à zéro à la fin de chaque journée. Un compteur apparaît régulièrement à l’écran, à l’heure des comptes, pour rappeler que chaque centime compte dans une vie de galère. On se trouve là aux antipodes de l’image de réussite que la société américaine aime encore à cultiver. Et pourtant, si rien n’est jamais gagné pour les personnages principaux, il n’est jamais exclu de continuer à caresser l’espoir d’une vie meilleure ou, du moins, plus stable. Les dix épisodes suivent Alex dans son chemin de croix face aux embuches dressées sous ses pas : les casse-têtes administratifs pour obtenir des aides, rassembler tous les critères et documents pour glaner quelques dollars, décrocher un job ou un toit… Elle passe par les humiliations du quotidien, quand on la stigmatise comme « une pauvre ».

Maid pourrait comptabiliser plus de 67 millions de visionnages sur Netflix, établissant un nouveau record.©Netflix

On la suit dans les décisions qu’elle prend pour tenter d’organiser sa vie avec le peu d’armes et de soutien dont elle dispose. Elle ne peut compter ni sur ses amis ni sur ses parents : sa mère est elle-même empêtrée dans une vie dissolue et son père, avec qui elle a coupé les ponts depuis longtemps, a refait sa vie.

Maid est une histoire de cycles : ceux qui composent la vie d’Alex en fonction de ses choix, ceux qui deviennent des spirales ascendantes ou descendantes selon leurs conséquences. On voit la jeune femme se construire, se reconstruire, en équilibre sur le fil du rasoir, mais il suffit d’un imprévu ou d’une mauvaise décision pour la renvoyer à la case départ. Adaptée de l’autobiographie de Stephanie Land, cette adaptation en série montre aussi que la vie n’est peut-être parfois qu’une affaire de timing, chacun tâchant de mettre en place les éléments pour que tout soit presque parfait. Alex aurait pu, à un moment donné, quitter cette petite ville qui semble enfermer ses habitants dans leur destin. L’obtention d’une bourse pour intégrer un programme d’écriture à l’université lui promettait une nouvelle vie. Dans le fond, cette voie de sortie continue à habiter son esprit. Il s’agit alors pour elle de forcer la marche des cycles. Et le rêve américain peut de nouveau être envisagé.

Les violences conjugales dans toute leur complexité

Le sujet des violences conjugales est au cœur de la série, mais elle ne sombre ni dans le pathos, ni dans la caricature. Maid décrit avec intelligence un large éventail de ces violences. Ces dernières ne passent pas toujours par les coups physiques, d’ailleurs absents à l’écran. Elle évoque ceux du père d’Alex contre sa mère, dans un passé refoulé qui refait surface au fond d’un placard. La violence qu’Alex subit de la part de son petit-ami passe par une emprise psychologique et une relation de dépendance qui contient malgré tout des instants de bonheur fugace. Leur relation en devient d’autant plus complexe. On saisit à quel point il est difficile de se défaire de ce genre de lien toxique. La série met en lumière toutes les difficultés pour prouver ces violences face à un juge. La dimension psychanalytique de la série est habilement amenée, notamment à travers les schémas familiaux qui se répètent d’une génération à l’autre et que chaque personnage tente de briser : l’alcoolisme du petit-ami, la violence de la relation passée avec ses parents qu’Alex tente de ne pas reproduire pour le bien de sa fille…

Une mise en scène tout en nuances

Le récit se construit tout en nuances : il narre une histoire ordinaire crédible, réaliste, sans effet de manche, mais avec un ton à la fois grave et léger. Il n’est pas exclu de passer du rire aux larmes dans une même scène. Quand Alex décroche le toit de ses rêves, on a littéralement envie de danser avec elle, et quand elle baisse les armes face au trop-plein d’obstacles, on voudrait la prendre dans nos bras pour lui insuffler un regain d’énergie. Dans Maid, il n’y a pas de héros ni de salauds, mais une galerie de personnages riches de leurs forces et de leurs faiblesses. Et c’est là que tient en grande partie la réussite de la série.

Si Alex se montre pugnace, endurante et digne tout du long, elle finit cependant par craquer, quand le poids des épreuves devient trop lourd. Du reste, elle doit assumer nombre de choix, pas toujours les bons, et lourds de conséquences. Au fil des épisodes, les personnages se révèlent dans toute leur subtilité. La riche avocate chez qui Alex fait le ménage devient une amie et une alliée précieuse, après avoir montré son mépris de classe. Le petit-ami reste attachant, malgré ses crises, et la mère n’est pas qu’une bipolaire illuminée ingérable. Tous se montrent dans l’expression de leur humanité. À ce titre, le dernier épisode est réussi, chaque personnage assumant ses décisions pour créer une sorte d’équilibre précaire plein d’espoir.

Un casting sans faille

Maid, c’est aussi un casting parfait, à commencer par Margaret Qualley (Alex), que les fans de Tarantino auront apprécié dans son rôle d’auto-stoppeuse aguicheuse face au Brad Pitt de Once Upon a Time in Hollywood. Touchante, elle forme un formidable duo avec sa mère – à la ville comme à l’écran –, Andie McDowell. Il existe une véritable connivence entre les deux actrices, qui apportent toutes les nuances de la relation entre leurs personnages. Quasiment présente à chaque plan, Qualley porte la série sur ses épaules. La caméra s’attarde le plus souvent en des plans très serrés, car intimistes, sur son visage. Ce dernier est noble dans sa dignité, troublant dans ses moments de doute, fragile dans les heures les plus sombres.

Alex tient parfois le rôle de mère quand la sienne se comporte comme une ado inconsciente et inconséquente et, pourtant, celle-ci peut représenter son dernier recours quand plus rien ne va. L’autre duo qu’elle compose avec brio, c’est évidemment celui avec Rylea Nevaeh Whittet, qui prête ses traits à la jeune Maddy. L’enfant est ballotée de foyers en refuges, en passant par le camping-car de la grand-mère et autres toits de transit. L’amour sans faille qu’elles cultivent l’une pour l’autre transpire à l’écran : dans les instants de grâce qu’elles partagent, tout comme dans les épreuves qu’elles rencontrent. Que ce soit dans ses silences ou dans le feu de l’action, Margaret Qualley irradie sous les traits d’Alex en lui apportant un équilibre entre ses qualités et ses défauts. Une actrice à suivre de près.

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Moland Fengkov
Moland Fengkov
Journaliste
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