Le réalisateur derrière Perdrix (passé par La Quinzaine des cinéastes), La Fille de son père (qui s’est invité dans la Semaine de la critique) et la série Arte Sous contrôle est de retour avec Le Monde n’existe pas, un show pour lequel il s’aventure dans une direction nouvelle, sans pour autant perdre de son originalité.
C’est l’une des séries les plus attendues de cette rentrée sur Arte. Réalisée par Erwan Le Duc et coécrite avec Mariette Désert, il s’agit d’une libre adaptation du roman signé Fabrice Humbert (2020). Le Monde n’existe pas s’intéresse à Adam Vollmann (Niels Schneider), un journaliste trentenaire à Paris, dont le quotidien est bouleversé par un fait divers.
Il apprend qu’au sein de la petite ville de Guerches-sur-Isoire, dont il est originaire et qu’il a fuie, une jeune fille, Lola Montès, a été assassinée. Axel Challe (Thomas Debaene) est soupçonné d’être le meurtrier. Lorsqu’ils étaient adolescents, Adam a bien connu Axel et était même fasciné par lui. Il en est persuadé : cet homme ne peut être l’assassin. Adam part donc enquêter à Guerches-sur-Isoire pour son média et se retrouve envahi de souvenirs douloureux. La petite ville, où rien ne semble réel, l’étouffe. À quelques jours de sa diffusion, L’Éclaireur s’est glissé dans les coulisses du show pour interroger son réalisateur, Erwan Le Duc.
Comment avez-vous découvert le roman de Fabrice Humbert ?
C’est la productrice de la minisérie, Nicole Collet, qui me l’a conseillé. En le lisant, j’ai été touché par Adam Vollmann, ce personnage qui implose, vacille. Il est le narrateur du récit et, au fur et à mesure, on comprend qu’il doute de ce que disent les autres et de lui-même. Cette perte de repères qui l’assaille m’a passionné.
J’ai eu envie de le filmer et j’avais cette même envie pour les autres personnages dont il croise la route, que je trouvais puissants. Par ailleurs, Adam est un journaliste qui veut être écrivain. Cela m’a intimement parlé parce que j’ai moi-même été longtemps journaliste, tout en rêvant de devenir réalisateur.
Le thriller est un genre très codifié. Comment s’en accommoder ?
Quel que soit le genre auquel je m’attaque, ce qui m’importe, c’est de le secouer, de le faire trembler, de lui donner une nouvelle forme. Toutefois, le danger quand on questionne un genre est de le dénaturer. Le Monde n’existe pas, c’est avant tout une enquête sur un meurtre. Il fallait respecter ce côté noir.
En parallèle, j’ai insufflé des moments d’humour et d’absurde, mais qui racontent toujours quelque chose d’Adam, notamment de sa paranoïa. Par exemple, la voiture qu’il loue en arrivant à Guerches-sur-Isoire est équipée d’un GPS qui s’adresse à lui et se montre intrusif. C’est un élément de comédie qui crée en même temps une inquiétude. Comment ce GPS connaît-il toutes ces informations sur Adam ? Paradoxalement, tout ce qui sortait du genre devait le conforter.
Vous filmez cette petite ville imaginaire de Guerches-sur-Isoire comme un lieu asphyxiant, où les individus qui y vivent sont tous étranges. On a l’impression d’assister à un huis clos en plein air…
C’était le but. Quand il revient, Adam est dans une angoisse absolue. Il fallait la faire ressentir. C’est dans cette direction que l’on a pensé chaque décor, comme l’espèce d’Airbnb où Adam s’installe. Nous avons réfléchi à le rendre malaisant en mêlant plein d’éléments qui n’allaient pas ensemble, comme du vieux mobilier et du mobilier plus récent, un peu toc… Rien n’est cohérent. Tout, dans cette petite ville, devait être visqueux.
Durant le tournage, qui a eu lieu en mai et juin 2023, principalement autour de Lens, nous avons dû affronter la chaleur et cette même chaleur a participé à cette atmosphère. Quant aux habitants, ils ont tous une violence sous-jacente, une frustration, qui s’exprime de manière différente. Et chacun a “fictionné” sa propre histoire.
Aviez-vous des références en tête pour cette minisérie ?
David Lynch, particulièrement son long-métrage Lost Highway (1997), a été une inspiration majeure. C’est une œuvre littéralement fiévreuse. J’aspirais à retranscrire le même effet dans Le Monde n’existe pas. Shutter Island de Martin Scorsese (2010) était une autre référence, car il y est question d’un narrateur qui n’est pas forcément fiable. Enfin, la série Atlanta de Donald Glover (2016-2022) a également compté, parce qu’elle montre des personnages avec lesquels on ne sait jamais sur quel pied danser. Elle a été une influence dans l’écriture.
Dans la peau d’Adam Vollmann, Niels Schneider délivre une prestation habitée. Comment l’avez-vous dirigé ?
Ce que je lui ai d’abord demandé, c’était de prendre du muscle. Après s’être “arraché” de Guerches-sur-Isoire, où il a grandi et tant souffert, Adam s’est reconstruit à Paris. Il a accompli cette démarche, entre autres, en faisant évoluer son physique. Il s’est donné les moyens de devenir imposant. Cette musculature est une composante capitale du personnage. Niels a ainsi pris entre 15 et 20 kilos de masse musculaire. Pour une raison dévoilée au cours des épisodes, je lui ai aussi demandé d’apprendre le japonais. En ce qui concerne la psychologie d’Adam, nous avons eu plusieurs discussions.
Mais je n’ai pas eu à lui donner beaucoup d’indications. Niels l’a cernée d’emblée. Au départ, Adam a l’air sûr de lui, mais on saisit rapidement qu’il s’est forgé une carapace, qu’il cache des traumatismes, a des rapports difficiles avec les autres et lui-même. Il y a une part tragique chez lui. Niels a formidablement traduit son trouble, son mal-être, son intensité, son caractère taiseux, mais aussi sa grande capacité d’écoute, essentielle pour la conduite de son enquête. Il a relevé un vrai défi d’interprétation. D’ailleurs, en acceptant le rôle, il avait l’intuition qu’il pourrait explorer quelque chose de fort en matière de jeu.
La minisérie, comme le roman, pointe des travers de notre époque. Il y a une séquence sidérante et si crédible où une équipe de tournage investit Guerches-sur-Isoire pour faire des repérages en vue d’adapter “L’Affaire Lola Montès”, pas encore résolue, en une série de fiction…
En plus de narrer le trajet intime d’un personnage, rendre compte de l’époque et notamment du lien qu’elle entretient avec le réel est un axe fondamental du Monde n’existe pas. Cette équipe de tournage qui arrive pour des repérages témoigne de ce phénomène que l’on connaît depuis quelques années où l’audiovisuel s’accapare la réalité et où on a le sentiment que celle-ci n’existe plus que pour être au service de la fiction. Cela m’intéressait de mettre en avant cet aspect délirant et la vitesse avec laquelle tout va.
En mars, à la dernière édition du Festival Series Mania, JuIie Roué, autrice de la musique du Monde n’existe pas, a été distinguée pour son travail. Vous collaborez avec cette artiste depuis vos débuts. Comment avez-vous abordé ensemble la minisérie ?
Je lui avais fait part de quelques références que j’avais à l’esprit, comme les compositions de Jonny Greenwood pour les films de Paul Thomas Anderson, ou celles de Trent Reznor et Atticus Ross [qui officient notamment sur les films de David Fincher, ndlr]. Il y a quelque chose de dissonant dans leur musique qui me plaît beaucoup. Julie a fait de nombreuses propositions, avec ce souhait d’apporter du nouveau à chaque épisode. Elle a achevé une partition à la fois romanesque, mélodique et grinçante, qui amène une autre dimension aux images.
Quel sera votre prochain projet ?
J’écris actuellement un long-métrage qui s’inscrit dans la veine du thriller. Le Monde n’existe pas m’a ouvert à ce genre. Je veux continuer à le creuser.