
Avant de créer des séries, Samuel Jefferson était médecin urgentiste. Un métier aussi difficile que passionnant qui lui a permis d’imaginer Krank Berlin, la nouvelle production d’Apple TV+. Le cocréateur du show s’est prêté au jeu de l’interview et a accepté de nous faire entrer dans ce monde fascinant.
Les Français sont très concernés par la crise de l’hôpital. Quelle est la situation en Allemagne ?
Wow, cette interview commence fort ! [Rires] Je pense que chaque hôpital a ses propres problèmes et tensions internes. Quand on a commencé à travailler sur la série et que j’ai appris qu’elle se déroulerait à Berlin, je me suis immédiatement demandé si je pouvais transposer mon expérience vécue au Royaume-Uni dans une histoire allemande.
Les fonctionnements ne sont pas exactement les mêmes, mais quand j’ai échangé avec des médecins, des infirmières et le personnel soignant, j’ai réalisé que les vécus, les traumatismes et ces moments hors du temps que nous vivons avec les personnes qui nous entourent sont similaires.
Après ces rencontres, je me suis dit qu’on pouvait raconter cette histoire à Berlin. Que c’était cohérent. Nous voulions exposer le quotidien de ces soignants et la pression qu’ils subissent, mais sans porter de jugement moral sur le système. Nous voulions simplement montrer leur réalité, montrer ces personnes qui se battent tous les jours pour s’en sortir et trouver des moments de joie malgré la difficulté de leur travail. De plus, je ne pense pas qu’il y ait une seule personne machiavélique qui rende le système horrible. Comme toujours, la vérité est bien plus complexe.
Quel a été votre processus de création ? Vous êtes-vous documenté, vous êtes-vous rendu dans des hôpitaux pour prendre le pouls ?
J’aimerais vous dire que c’était un processus très facile, mais en réalité, nous avons fait beaucoup de recherches. J’ai été médecin urgentiste au Royaume-Uni durant huit ou neuf ans, donc j’avais déjà des histoires à raconter. Cependant, nous avons souhaité rencontrer des médecins et des infirmiers allemands – et particulièrement berlinois – pour en apprendre plus sur leur quotidien. On ne souhaitait pas connaître leurs expériences les plus intéressantes, mais en savoir plus sur leur vie.

À quoi ressemble leur journée ? À quel moment ressentent-ils du stress ? Comment se sentent-ils quand ils rentrent chez eux ? Quand on travaille dans ce milieu, c’est très difficile de séparer sa vie professionnelle et personnelle. Quand l’heure a sonné, on n’arrive pas à décrocher. On garde avec nous toutes les émotions et les rencontres de notre journée. C’est ce que je voulais raconter à travers mes personnages.
Cette expérience vous a-t-elle permis de poser un nouveau regard sur le milieu hospitalier ? De renforcer des convictions que vous aviez déjà ?
Je pense que la situation exposée dans Krank Berlin est très proche de celle que j’ai vécue. En revanche, j’étais surpris de voir à quel point la pression ressentie par le personnel soignant pouvait être la même, quelle que soit la ville où les gens exercent. Cette expérience m’a permis de réaliser que ce travail m’avait causé plus de traumatismes que je ne le pensais. Une partie de moi voulait sûrement raconter tout ça à travers cette série.
On dit aux médecins que ce sont des héros, qu’ils sont parfaits et qu’ils ne doivent s’inquiéter de rien. Mais en réalité, ces situations ne nous laissent pas indifférents. Grâce à Krank Berlin, je me suis rappelé ce sentiment, mais aussi l’esprit de camaraderie entre les personnels soignants. Le quotidien était dur, mais j’ai rencontré des personnes extraordinaires et je garde étrangement un souvenir affectueux de cette période.

D’Urgences à Grey’s Anatomy en passant par Hippocrate et The Pitt, les séries médicales ont toujours fasciné les spectateurs. Comment expliquez-vous cet attrait pour ce genre de production ?
Je pense que la principale cause est cet enjeu dramatique très fort de la vie et de la mort. Le métier de médecin est aussi très glamourisé dans ce genre de série – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je voulais devenir docteur quand j’étais enfant. Ensuite, j’ai connu la réalité du terrain et j’ai réalisé que c’était tout sauf glamour. [Rires]
C’est pour ça que je voulais me lancer dans l’aventure de Krank Berlin : je souhaitais apporter du réalisme à ce genre de production. Dire la vérité sur ce métier. C’est une activité extraordinaire qui nous permet d’aider les autres. Il y a aussi beaucoup d’adrénaline, et c’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles ces séries fonctionnent aussi bien.

Elles parlent aussi de l’humanité. Quand vous tombez malade, votre corps devient la chose la plus importante. Qu’il s’agisse de vous-même ou de vos proches, vous foncez à l’hôpital et vous confiez ce que vous avez de plus cher à un étranger. Cette relation est très intéressante. Vous ne connaissez pas ce soignant, et pourtant, vous vous offrez à lui de manière intime.
Peut-on réellement réinventer le genre ? Comment montrer ce qui n’a jamais été dit dans une série hospitalière ?
Si vous vous dites que vous allez réinventer le genre, vous allez vous planter. La clé, c’est l’authenticité. Et je suis fier de proposer une production qui est si juste. Les séries médicales montrent globalement la même chose : on voit le quotidien d’un hôpital. Mais la différence se joue dans le lieu, les personnages, leur caractère et leur humour. Dans le cas de Krank Berlin, toutes les personnes qui ont travaillé sur ce projet – qu’il s’agisse des acteurs, des réalisateurs, des scénaristes ou des producteurs – ont apporté quelque chose de très personnel.

Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal avec les séries médicales, mais j’ai adoré Krank Berlin. J’ai été très touchée par sa justesse et sa sensibilité.
Ça me fait chaud au cœur. Ceux qui ont visionné la série me parlent souvent des personnages comme s’il s’agissait de vraies personnes. Ça me touche beaucoup. En tant qu’auteur, il n’y a pas plus beau compliment qu’un inconnu qui s’investit dans votre show et vous dit qu’il l’a apprécié.
Quel message espérez-vous que les spectateurs emportent avec eux après avoir regardé votre série ?
Nous n’avons pas conçu cette série pour délivrer une certaine morale. Mais s’il y a une chose à retenir, c’est que la vie peut être désordonnée et contradictoire sans que ce soit un problème. C’est ok d’être triste. C’est ok d’être perdu. C’est ok de passer une mauvaise journée au travail, d’être émotif, de se montrer vulnérable, de traverser des périodes difficiles et de demander de l’aide. Krank Berlin montre justement cette entraide et ce besoin de se serrer les coudes quand on est brisé. Il y a beaucoup d’amour, d’espoir et de compassion.
Krank Berlin, une série en huit épisodes à retrouver sur Apple TV+.