Critique

The Riddler – Année un : aux origines de l’énigme

02 février 2024
Par Thomas Laborde
“The Riddler – Année un” est disponible depuis le 2 février dans les librairies.
“The Riddler – Année un” est disponible depuis le 2 février dans les librairies. ©DC Comics Black Label/Urban Comics

Urban Comics sort en one-shot une minisérie consacrée à l’Homme-Mystère inspiré de l’univers du film The Batman. Un prequel spin-off introspectif, dense et sombre, écrit par l’acteur Paul Dano (Little Miss Sunshine, Prisoners), qui a incarné The Riddler à l’écran.

Il n’a jamais compté. Il n’a jamais compté pour personne. Il n’a aucune valeur. C’est son sentiment le plus ancré, le plus présent, le plus entêtant. Les chiffres, eux, ont de la valeur. Les chiffres, eux, il les compte. Edward Nashton travaille comme expert-comptable dans le plus gros cabinet de Gotham City et met sa grande intelligence au service de patrons qui le dénigrent ou ne le considèrent pas. Edward Nashton avance dans l’obscurité.

Son seul salut, les jeux et énigmes en ligne, plaisirs qu’il partage sur des forums confidentiels. Ailleurs, le jeune homme est invisible, il ne compte pas. Mais il voit, il regarde ceux qui s’évertuent à faire de Gotham le paradis du crime organisé, de la corruption, cette ville gangrénée par l’arrogance, le mépris, la violence, le vice, la drogue. Il les scrute et peut révéler leurs ténébreux secrets et sombres manigances. Grâce aux chiffres qui, eux, ne mentent pas.

Orphelin, il a cru à ce que lui promettaient les huiles de la ville lorsqu’il était enfant. Aujourd’hui, son seul espoir, sa seule ambition résident dans l’écroulement de leur système malade. Il va les faire tomber, eux tous qui se gavent sur son dos. Et lui comptera.

Comment un petit génie de la comptabilité transparent est-il devenu l’un des pires psychopathes de Gotham City, capable de soulever les foules ? C’est le récit que tisse The Riddler – Année un, minisérie de six épisodes sortie en one-shot chez Urban Comics en France.

Journal intime violent et névrosé

Au scénario, un artiste pour le moins impliqué dans le parcours et l’aura du personnage de l’homme-mystère ou The Riddler : l’acteur Paul Dano, lui-même. C’est lui qui prête ses traits anxieux à Edward Nashton dans The Batman de Matt Reeves, à l’opposé de la performance extravagante de Jim Carrey, en 1995, dans Batman Forever de Joel Schumacher. Au dessin, l’artiste serbe Stevan Subic, dont c’est la première incursion dans les comics.

©DC Comics Black Label/Urban Comics

L’acteur-scénariste et l’auteur-illustrateur parviennent à tisser une dense toile de psychoses, de chaos mental, de vertige croissant, d’émotions de plus en plus virulentes et étouffantes. Un labyrinthe de pensées tortueuses qui peu à peu nourrissent une violente volonté de vengeance sans limites contre tout ce que Gotham porte de pourris, de mafieux, de politiciens menteurs et manipulateurs, d’entrepreneurs machiavéliques, tous cupides et corrompus, aux mains salies du sang de la plèbe asservie.

Les créateurs reprennent l’univers du film de Matt Reeves, son ton, sa noirceur pour composer une œuvre miroir. Dans ce prequel spin-off, on lit la voix intérieure d’Edward Nashton, son cheminement. Un orphelin miséreux qui s’est rêvé en miroir du jeune Bruce Wayne, un adulte obsessionnel qui se rêve justicier et se construit en miroir de Batman.

©DC Comics Black Label/Urban Comics

L’ombre de celui-ci traîne ici et là, tout au long de l’ouvrage, comme un fantasme, comme un objectif, comme une lumière au bout d’une nuit noire qui n’a pas vu de lune depuis des années. L’ensemble se lit à la fois comme une enquête – celle d’un jeune expert-comptable à l’affût de preuves de corruption, de liens entre crime et politique – et comme un journal intime dont de nombreuses pages prennent la forme de feuilles de compte jaunies par le temps et gribouillées par un esprit névrosé d’injonctions colériques.

Impressionnisme radical

Pour illustrer la rancœur, la psychose, la folie, Stevan Subic pose un trait moderne et graphique, fait de silhouettes et formes floues, de tâches et de nuances de couleurs qui se superposent, une sorte d’impressionnisme radical, non sans rappeler le travail, à la limite d’un traitement horrifique, de James Tynion IV (Department of Truth, The Nice House on the Lake…).

Une saisissante mise en image de l’obsession et de l’angoisse dont certaines cases révèlent le monstre qui habite, hante, ronge chacun pour une narration enivrante, pourtant sans action. En toile de fond, l’éternelle Gotham, meilleur décor et théâtre le plus vivant de la pop culture, personnage à part entière, matière sale et mouvante, crasseuse pieuvre vorace qui brise les corps et brûle les esprits.

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Dans ces rues pour le moins malfamées, The Riddler, comme souvent dans les univers liés à Batman, pose aussi la question de la légitimité d’un autoproclamé justicier et des moyens d’action. Et c’est bien là ce qui dérange dans le cas du Riddler : il a raison, ses intentions, à l’origine, sont louables, et ses cibles méritent d’être stoppées.

The Riddler plonge dans une psyché malade, malade d’avoir été sans cesse rejetée, rabaissée, narguée par une société dépravée. Un étonnant comics qui ne peut laisser indifférent tant il questionne les blessures intérieures d’un personnage en mal d’amour. Une œuvre qui, elle, compte.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste