
Dans son premier roman graphique, Claire Translate révèle un univers percutant du New York queer des années 1960-1970. Une œuvre hommage à la culture underground américaine, illustrée avec brio par Livio Bernardo (En toute conscience, La vie moderne).
Lire Candy Superstar et les muses du pop, c’est voyager dans l’effervescence artistique et créatrice du New York des sixties et seventies. Le récit suit trois muses de la culture underground – Candy Darling, Jackie Curtis et Holly Woodlawn – dans un parcours rétrospectif et biographique, porté par un univers de couleurs et d’excès que Livio Bernardo capture avec succès. Sous les doigts des deux collaborateurs se façonnent alors les figures élancées et les présences captivantes de ces icônes qui ont marqué l’histoire.
Des références iconiques
L’œuvre foisonne de références à l’art pop et à la scène underground, d’Andy Warhol à Valérie Solanas en passant par Lou Reed. Les paroles de Take a Walk on the Wild Side deviennent ainsi le fil conducteur du récit et rendent hommage à ces trois femmes, immortalisées dans cette chanson. Il relate alors la lutte haute en couleur de la communauté LGBTQIA+ pour ses droits, retraçant les évènements marquants de cette quête de liberté, des émeutes de la Compton’s Cafeteria à celles de Stonewall Inn, un soulèvement spontané qui a duré six nuits.
Au fil des planches, Claire Translate brosse des portraits intenses. « Candy incarne une forme de diva authentique et enjouée, avec du chien ; Jackie est la jeune prodige du théâtre ; et Holly, l’individualiste », détaille-t-elle dans le communiqué de presse. Malgré cette volonté de donner vie à des icônes queer, porteuses d’une vision propre et d’une lutte constante, le développement de leurs caractères reste néanmoins superficiel.
Une réalité sociale édulcorée
C’est indéniable : l’œuvre a été réalisée avec un effort sincère de respect et de reconnaissance envers ces figures. Cependant, Claire Translate semble parfois basculer dans la facilité, tombant dans l’écueil d’une stéréotypisation trop appuyée des personnages au cœur de l’intrigue. Les trois icônes ne sont définies que par leurs excès, leurs trajectoires se réduisant souvent à des archétypes flamboyants, presque figés dans un imaginaire de démesure et de glamour.

On regrette le peu de place accordé aux tourments, aux doutes et aux enjeux d’identités, mais aussi aux répercussions de la haine et des violences contre la communauté LGBTQIA+, omniprésentes à cette époque. De plus, les drogues ne sont montrées qu’à travers un prisme récréatif et euphorique, l’œuvre omettant de mentionner l’addiction à ces substances illicites, qui est pourtant une vérité pour beaucoup de ces figures du monde de la nuit.
La prostitution, qui fut une réalité brutale pour nombre de femmes trans à cette époque, est quant à elle abordée de façon superficielle et comme point de départ d’une intrigue amoureuse. Elle réduit ainsi une expérience marquée par la contrainte, les violences et la précarité à un ressort narratif romantique, la vidant de sa charge sociale et politique.

Romantiser une telle réalité sans en montrer les implications concrètes – psychiques, économiques, physiques – revient à nier la violence structurelle qui l’entoure, surtout dans le contexte de la marginalisation trans. On aurait aimé davantage découvrir l’envers du décor, les abus et souffrances que ces femmes ont pu vivre.
En choisissant de concentrer le récit sur l’aspect flamboyant de la culture underground, l’œuvre néglige ainsi certains aspects plus sombres – pourtant cruciaux pour comprendre la complexité de ces figures. Candy Darling a par exemple été photographiée sur son lit de mort par un artiste, qui en a fait toute une collection, peu de temps après sa mort.
Une œuvre riche et importante
Le dessin constitue l’une des grandes réussites de l’ouvrage et joue un rôle essentiel dans la force du récit. Les couleurs, très présentes et souvent éclatantes, traduisent l’intensité et l’énergie de la scène queer new-yorkaise. Les personnages sont représentés avec élégance, parfois de manière exagérée, mais sans tomber dans la caricature. On sent dans le trait une volonté de capter à la fois la beauté, l’extravagance et la fragilité des muses. Certaines planches évoquent clairement l’esthétique du pop art, renforçant ainsi les références culturelles du livre.

De plus, le style graphique accompagne avec justesse le ton du récit : vivant, intense, mais aussi traversé par des moments plus sombres ou mélancoliques. Le travail de Livio Bernardo apporte une vraie richesse visuelle, en cohérence avec le sujet traité. Finalement, Candy Superstar offre une relecture visuellement vibrante de figures cultes de la scène queer new-yorkaise, mais cette volonté d’hommage se heurte parfois à une esthétique trop lisse, qui gomme les violences, les douleurs et la complexité de ces trajectoires. Elle s’impose ainsi comme une œuvre importante, mais à questionner avec lucidité.