[Rentrée littéraire 2024] Trois romancières et romanciers majeurs de cette rentrée d’hiver se plongent dans leurs racines algériennes, ravivent les souvenirs et racontent les cicatrices d’un pays hanté par les fantômes.
Il y a comme une évidence à voir les écrivains franco-algériens tenir une place à part dans notre paysage littéraire. La relation entre les deux pays est si étroite, intime, douloureuse qu’elle a fait naître plusieurs générations de romanciers marqués au fer rouge. Des enfants de l’indépendance, de la guerre ou de l’immigration, des hommes et des femmes entre deux pays, deux cultures, riches de l’un et de l’autre, mais jamais tout à fait chez eux.
Cela donne des plumes rares, sensibles et brutales, solaires et rageuses, des écrivains qui ne cessent de questionner l’identité, les fractures et la transmission. Cet hiver, trois livres éblouissants, écrits par des romanciers et des romancières de presque trois générations perpétuent cette incroyable flamme littéraire, et donnent du grain à moudre au roman des origines.
Nina Bouraoui, au nom du père
Romancière française, d’origine algérienne par son père, Nina Bouraoui a passé ses jeunes années à Alger avant que ses parents ne fuient brutalement vers la France à la fin des années 1970, par crainte d’un nouvel embrasement du pays. Sa littérature est marquée par ce déracinement et cette perpétuelle quête d’identité. Sa voix unique, à la fois solaire et rageuse, interroge l’enfance, l’amour, le désir ou encore la féminité à travers des récits imprégnés d’autofiction.
Il y a trois ans, dans Satisfaction (LgF), récit en écho à son histoire familiale, elle nous emmenait sur les traces de madame Akli, une Française émigrée en Algérie avec sa famille au lendemain de l’indépendance du pays. Sous la forme d’un journal intime, elle racontait les tourments d’une femme rongée par une profonde mélancolie qui se servait de l’écriture comme d’un exutoire pour lutter contre les démons qui l’assaillent, et peignait une fresque inquiète d’un pays qui sombrait dans la radicalisation.
Aujourd’hui, c’est à travers son texte le plus intime qu’elle renoue avec ses racines algériennes. Un livre à part, le récit d’une lente agonie, celle de son père. Alors qu’il est au seuil du trépas commence une aventure qui dépasse la simple attente de la mort. Pendant 11 jours, elle lui rend visite, elle recompose le puzzle de la vie de ce Grand Seigneur (JC Lattés) particulièrement secret, elle convoque les souvenirs qui les rassemblent, tente de mettre des mots sur la force indescriptible qui les relie.
Ce faisant, c’est à elle-même qu’elle se confronte, c’est son reflet dans le miroir qu’elle ausculte. Quête des origines et quête d’identité s’entremêlent alors dans un chant bouleversant. La mort du père, c’est la mort du dernier lien de la romancière avec l’Algérie. Grâce à l’écriture, elle se raccroche aux branches de cet arbre généalogique qui disparaît, elle sauvegarde une partie d’elle-même vouée à s’effacer.
Lolita Sene, le culte du fils
On a bien cru que Lolita Sene rejoindrait les rangs des étoiles filantes littéraires. Ces romancières et romanciers habités par un seul et unique livre, animés furtivement par une pulsion d’écriture. Depuis 2015 et son entrée fracassante avec C. La face noire de la blanche (Robert Laffont), confession autobiographique furieuse, bourrée de style, sur son addiction à la cocaïne, on n’avait plus de nouvelles de la jeune écrivaine. En tout cas plus au rayon littérature puisqu’en parallèle, Lolita Sene est devenue une vigneronne respectée, installée dans le sud de la France. Il faut croire que, comme le bon vin, son inspiration avait besoin d’une lente macération pour fournir son précieux nectar.
Elle revient aujourd’hui avec un premier roman déchirant, récit d’une enfance brisée, celle d’Esther, petite-fille d’une famille de Harkis, violée par son oncle pendant toute son enfance. Un été chez Jida (Le Cherche Midi) retrace le parcours d’une combattante, une victime adolescente devenue une femme déterminée, prête à briser les tabous dans l’espoir d’une justice pour elle et pour toutes les autres. En clair-obscur, Lolita Sene lève le voile sur une culture kabyle schizophrène, solaire, joyeuse, qui se nourrit des rires, des danses et des chants, mais dont les mœurs archaïques – le culte de l’homme et silence de la honte en tête – sont responsables des plus odieux drames intimes.
Akli Tadjer, retour au pays natal
Trois ans après D’amour et de guerre (Pocket) et deux ans après D’audace et de liberté (Pocket), Akli Tadjer clôt sa trilogie algérienne avec De ruines et de gloire (Les Escales). Après le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale et les prémices de l’Indépendance, place désormais à la guerre d’Algérie et à ses conséquences tragiques. Au lendemain de la signature des Accords d’Évian, le 19 mars 1962, Adam El Hachemi Aït Amar et son père retournent dans leur pays pour se forger une nouvelle vie. Ils découvrent une Algérie déchirée par la violence et la haine, un quotidien rythmé par les attentats perpétrés par les deux camps, une société qui ne sait pas par où commencer pour se reconstruire.
Avocat formé en France, mais fervent défenseur de l’Indépendance, Adam se retrouve chargé d’une première affaire qui va secouer ses principes et questionner profondément ses valeurs. Il doit défendre Émilienne Postorino, membre de l’OAS et ardente partisane de l’Algérie française. De son côté, son père retourne dans son village. Un lieu chargé de souvenirs et de souffrance où il a rencontré son seul amour, Zina, la mère d’Adam, morte tragiquement dans un incendie.
En miroir, on suit le retour au pays natal de deux générations, une plus jeune qui doit décider de l’avenir de son pays, une plus ancienne qui doit d’abord se débarrasser des fantômes qui la hantent. Avec cette nouvelle fresque historique ambitieuse et documentée, Akli Tadjer vient clore une trilogie bouleversante conçue comme une ode à un pays riche, complexe, qui panse encore ses blessures.