Critique

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire : l’autofiction et la violence

09 janvier 2023
Par Sophie Benard
Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire : l'autofiction et la violence
©DR

[Rentrée littéraire 2023] Parue en aout 2021 au Québec, la bouleversante autofiction de
Michelle Lapierre-Dallaire sera disponible en France le 13 janvier prochain.

Dans ce premier texte porté par une langue qui fait résonner à chaque ligne l’urgence de la parole, Michelle Lapierre-Dallaire témoigne de la maladie mentale et des violences sexuelles et familiales. Et c’est une véritable déflagration.

Car Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok est d’abord un livre formidablement frontal. C’est ce dont il ne faut pas parler, c’est ce sur quoi il ne faut pas écrire que l’autrice affronte : les propos sont crus et l’écriture se refuse à maquiller l’inqualifiable réalité.

Voilà pourquoi le livre s’ouvre sur un « avertissement » qui annonce que le « roman aborde des sujets sensibles : troubles de la santé mentale, suicide, agressions sexuelles, pédophilie, violence, troubles alimentaires, alcool et drogues ».

C’est ainsi qu’on découvre une narratrice qui juge durement le monde qui l’entoure et qu’elle trouve « crissement ingrat », « fucking triste pis plate ». Mais aurait-il pu en être autrement, depuis une enfance bercée par une mère « multicolore » qui finira par se suicider, l’inceste et les fellations imposées à cinq ans ?

Je suis vraiment bonne pour sucer. Tout le monde dit que je suce bien. Je m’exerce depuis vingt-deux ans. Pas depuis mes vingt-deux ans ; depuis vingt-deux années. Ma première fellation, c’était à cinq ans. 

Michelle Lapierre-Dallaire
Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok

Comme pour rendre le chaos d’une vie intérieure hantée par le passé – et pour s’assurer que les lecteurs et lectrices ne pourront, comme ce fut son cas, échapper au pire – Michelle Lapierre-Dallaire brise la linéarité du récit.

C’est donc dans un patchwork de scènes souvent à la limite du supportable que l’on découvre le comportement destructeur d’une jeune femme qui tente désespérément de se faire aimer en utilisant la sexualité – une sexualité qu’elle ne (se) refuse jamais, et dans laquelle elle poursuit l’extase et l’anesthésie.

Je ne cherche pas à justifier ou à raisonner quoi que ce soit. Je dis seulement qu’il est faux de penser qu’on peut se remettre de tout. 

Michelle Lapierre-Dallaire
Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok

On devine un trouble de la personnalité limite – jamais explicitement mentionné dans le texte –, ainsi que des troubles du comportement alimentaire. Mais on découvre surtout, avec la narratrice, la misogynie à laquelle elle ne cesse d’être confrontée, dans ses relations amoureuses et sa vie quotidienne. Une misogynie qui, bien sûr, la ramène sans cesse à son passé.

Mais c’est sans fierté morale que Michelle Lapierre-Dallaire se révolte : « C’est beau la révolte, en théorie. C’est en pratique que ça devient plus glissant. »

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire.©Le Nouvel Attila

Et si elle fait référence à Flaubert ou à Tolstoï, c’est bel et bien dans la lignée des autrices féministes que Michelle Lapierre-Dallaire s’inscrit. Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok prolonge ainsi les romans de Marguerite Duras, de Virginie Despentes, ou encore d’Annie Ernaux.

Car, entre oralité et usage des mots et expressions laissés pour compte en littérature, l’autrice laisse émerger la poésie sans difficulté ; surtout, elle affirme sans jamais s’en excuser la transgression que représentent son existence et sa voix.

Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, de Michelle Lapierre-Dallaire Le Nouvel Attila, 160 p., 17 €. En librairie le 13 janvier 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste