Olivier Norek vient de remporter le prix Jean Giono pour son roman historique, baptisé Les Guerriers de l’hiver. À l’occasion de sa sortie, en août dernier, L’Éclaireur s’était entretenu avec l’auteur-enquêteur.
Un livre d’Olivier Norek publié en pleine rentrée littéraire, c’est une surprise !
C’est ma première ! Normalement, je suis calibré pour sortir en mars, le mois du polar. J’ai mes habitudes, je sais comment écrire. Là, pour la première fois, il y a une très longue attente entre le point final de l’écriture et le moment de la sortie du livre. C’est un stress que je découvre. Je suis en terrain… pas ennemi, mais miné. Je suis un enfant du polar, je suis un ex-flic, je suis chez Michel Lafon. J’ai un attelage d’outsider.
J’appréhende les critiques aussi, parce que je vais me frotter à un autre public et d’autres journalistes qui ont des canines plus acérées. Mais c’était ma volonté. Je suis un enfant. Quand j’essaie quelque chose, je veux tout goûter. Donc je veux me frotter à la littérature blanche. Encore plus si on me dit qu’on ne s’extrait pas du polar si facilement. Fermez-moi une porte, j’explose les fenêtres ! Et j’opte pour le grand frisson, celui de la rentrée littéraire.
Comment ce roman singulier est-il né ?
Un beau jour de février, il y a deux ans. J’entends Poutine menacer l’Occident s’il aide l’Ukraine. C’est la première fois que je me fais menacer nucléairement dans ma vie. Sur le coup, j’ai peur et je me dis : “Comment une guerre commence-t-elle ?” J’ai fouillé dans les livres d’histoire pour étudier les guerres qui ont été lancées par la Russie. Je tombe sur cette fameuse Guerre d’hiver, je découvre Simon Häyhä et, à ce moment-là, je me fais complètement piéger. Il faut que je raconte cette histoire.
Dites-nous quelques mots sur cette guerre méconnue.
Tout en bas de la Finlande, il y a un accès direct à la Russie et donc un endroit stratégique en cas de manœuvres de l’armée allemande. La Finlande, c’est également un pays convoité depuis toujours, parce qu’elle faisait partie de la Grande Russie tsariste. Alors, un matin de 1939, la Russie se tire dessus pour faire éclater le conflit et envahir la Finlande. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. J’ai eu l’impression d’avoir découvert un trésor. Comme Indiana Jones dont le visage s’illumine. Personne n’a entendu parler de cette guerre alors qu’elle a modifié le cours de l’histoire.
En quoi ce conflit éclair a-t-il joué un rôle clé dans la destinée de la Seconde Guerre mondiale ?
Hitler et Staline se sont toujours regardés droit dans les yeux. En août 1939, avec le pacte germano-soviétique, ils se sont serré la main, mais avec un couteau dans le dos. Quelques mois plus tard, la Guerre d’hiver éclate. En 113 jours, Staline n’avance pas de 10 km en Finlande, il est repoussé par une micronation, le conflit se termine par un traité de paix, ce qui est une honte absolue. Et là, Hitler se dit, l’URSS est un colosse aux pieds d’argile, je comptais envoyer quatre millions de soldats sur le front de l’Ouest, je vais plutôt les envoyer vers la Russie, parce qu’elle est faible. C’est l’opération Barbarossa. Tout le monde a oublié ce que l’on doit à ces 200 000 soldats finlandais qui ont fait entrer la Russie dans la guerre et ont détourné le regard des Allemands de l’Occident.
Il y a un homme au cœur de ce conflit, un héros devenu une légende. Qui est Simo Häyhä ?
Simo Häyhä, c’est quelqu’un qui va être forcé de se sublimer. Il n’y a rien de plus intéressant pour un romancier. C’est un garçon de ferme qui n’est pas programmé pour devenir l’assassin le plus létal et le plus redoutable que le monde ait connu. C’est un formidable chasseur et un formidable tireur. C’est cette capacité qu’on va lui demander d’utiliser pendant la Guerre d’hiver. Sauf que lui, il n’a jamais tué que des loups et des ours pour défendre sa ferme. Il va falloir apprendre à tuer un homme sans sombrer dans la folie. Simo a une particularité : il ne fait qu’un avec la nature. Il la considère comme quelqu’un d’existant.
« Dans ce livre-là, je ne m’attache qu’à une seule chose : l’humanité des personnages. »
Olivier Norek
Il ne triche pas avec elle, ne prend pas plus que ce dont il a besoin. Il est toujours à l’écoute de cette nature-là. Il est rusé, intelligent. Il développe tout un tas de techniques redoutables. Il met de la neige dans sa bouche quand il tire pour éviter de faire de la fumée, il macule son fusil de neige pour éviter le souffle du canon, il ne met jamais de lunette de visée pour que le soleil ne se reflète pas.
Avec son vieux fusil de chasse, il va réussir des tirs de plus de 500 m. Ce qui est normalement impossible. Aucun tireur n’arrive aujourd’hui à reproduire cet exploit. Personne ne sait comment il a fait, il y a une forme de mystique. J’ai envie de dire qu’il tirait avec le cœur. La légende raconte qu’il aurait tué entre 500 et 700 soldats pendant le conflit. Son surnom est devenu « La Mort blanche ». Il est l’incarnation la plus féroce du Sisu, cette force de caractère hors du commun qui caractérise les Finlandais.
Comment qualifieriez-vous ce roman hybride ?
Ce n’est pas une biographie de Simon Häyhä, ce n’est pas un roman historique. Le roman historique va s’attacher aux faits, aux actes, aux conséquences et aux stratégies. Moi, dans ce livre-là, je ne m’attache qu’à une seule chose : l’humanité des personnages.
Comment avez-vous procédé pour l’écrire ?
Avant de me lancer, j’ai besoin de me rapprocher au plus près d’une forme de perfection des connaissances. J’ai besoin de tout savoir. J’ai d’abord établi un maillage de tout ce qui s’est passé pendant ces 113 jours de guerre entre la Finlande et la Russie. Les lieux, les combats, les victimes, les conditions de vie. Puis, vient le travail sur le terrain. J’ai passé trois mois en Finlande, en plein hiver, pour m’imprégner des lieux. Pour rencontrer aussi des personnes qui gravitent autour du conflit et de Simon Häyhä : un instructeur de tir, le directeur du musée Simon Häyhä, un professeur d’histoire franco-finnois qui a été un consultant précieux pendant toute l’écriture.
« Les histoires qui s’oublient sont vouées à se répéter ».
George Santanaya
Mais, une fois sur place, j’ai fait d’autres rencontres, notamment celle d’un vrai sniper de la garde civile finlandaise. Avec lui, j’ai traversé en voiture une grande partie de la Finlande, de cimetières en églises, de bars louches en petits hameaux, pour remonter la trace de notre homme. J’ai entendu sa voix sur un vieil enregistrement, cette voix rauque, abîmée par la balle qu’il a prise en plein visage. J’ai d’ailleurs pu consulter le rapport d’opération. J’ai vu des photos complètement oubliées. C’est un travail de fond et une implication totale pour accéder à des trésors d’archives. On suit des pistes, on subit des revers, on a des moments d’extase.
Vous êtes encore enquêteur, finalement !
J’étais flic de terrain, je suis désormais auteur de terrain ! Je ne fais pas autre chose qu’enquêter. C’est une obsession pour moi. Il y a les livres Wikipédia, les livres Google Earth et puis il y a ceux qui sont écrits sur le terrain, en immersion. À la lecture, ça n’a rien à voir. Les lecteurs et les lectrices se rendent compte qu’on ne se moque pas d’eux.
En écrivant ce livre, avez-vous faire le parallèle avec l’Ukraine ?
Il faut faire très attention. Quand tu arrives sur une scène de crime et que tu es persuadé qu’untel est le suspect, tout ce que tu vas découvrir, tu vas essayer de le relier à ce suspect, parce que tu as décidé que c’était lui. Pour écrire ce livre, c’était pareil. Au fur et à mesure que je me plonge dans la Guerre d’hiver, je me dis que c’est fou, ça ressemble vraiment à tout ce qui se passe en Ukraine. À partir de là, je décide de me couper totalement de l’actualité pour ne pas être biaisé dans mon écriture.
Une fois le livre fini, j’ai fait une session de rattrapage de plus d’un an et, là, la ressemblance a été encore plus violente. Les minorités balancées par la Russie en première ligne de son armée, le recours aux prisonniers et aux malades mentaux qu’on extrait des asiles, la violence et la cruauté des sévices infligés aux populations civiles, la résistance héroïque d’une micronation qui se bat pour ses terres. D’où l’intérêt de raconter cette guerre méconnue dans mon livre. Je crois que la meilleure des citations pour conclure est de George Santanaya : “Les histoires qui s’oublient sont vouées à se répéter.”