Critique

Anna, un conte initiatique pour vaincre la peur de grandir

19 octobre 2021
Par Héloïse Decarre
Dans le monde d’Anna, les décors idylliques de la Sicile deviennent l’horrible terrain de jeu d’enfants livrés à eux-
mêmes.
Dans le monde d’Anna, les décors idylliques de la Sicile deviennent l’horrible terrain de jeu d’enfants livrés à eux- mêmes. ©Arte France / Régine de Lazzaris AKA Greta

D’ordinaire, univers post-apocalyptique ne rime pas avec poésie. Pourtant, Niccolò Ammaniti a réussi à conjuguer les deux. Avec l’adaptation de son propre roman éponyme paru en 2015, l’écrivain réalise Anna, une fable onirique d’une pure beauté.

Dès les premières secondes de la série, le spectateur est averti : Anna a été tournée six mois avant le début de la pandémie de Covid-19. Son côté visionnaire est un poil perturbant. Tout commence quand un virus s’abat sur la planète. En Italie, pays qui a d’ailleurs été particulièrement frappé au début de la crise sanitaire, les esprits s’inquiètent. Dans la famille de la petite Anna Salemi, le père ne s’alarme pas – il ne s’agit après tout que d’une petite grippe qui ne touche que les personnes âgées. La mère, en revanche, est plus soucieuse. Elle amène sans tarder Anna et son demi-frère Astor dans leur villa nichée en pleine campagne sicilienne pour les protéger. Ils n’en repartiront pas de sitôt. Quelques années plus tard, Anna (Giulia Dragotto) et Astor (Alessandro Pecorella) sont toujours là, survivant au milieu des bois aux côtés des restes de leur mère, victime du virus. Aucun adulte n’a survécu. Une nouvelle société a pris place, faite d’enfants orphelins livrés à eux-mêmes.

Quand grandir devient mortel

Dans cette nouvelle société, les enfants ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Du haut de ses 13 ans, Anna fait partie des doyennes de ce monde. Elle est en fait au crépuscule de sa vie, car, du jour au lendemain, la puberté peut débarquer. Elle sera en sursis : c’est le moment où frappe la maladie, que les enfants appellent simplement « la Rouge ». Face à ce court destin et libérés de la surveillance des adultes, ces derniers n’ont plus aucune conscience du danger. La Terre est devenue un terrain de jeu géant. Problème : quand des petits n’ont plus de limites, même la mort peut devenir un jeu. Le décor paradisiaque de la Sicile – sa chaude lumière et ses palais baroques – est terriblement amoché par la violence qui y règne. On joue à devenir maître et chien, jusqu’à ce que celui qui est dans la cage y reste enfermé pour de bon. On joue à chat, mais si je t’attrape, tu meurs. On prétend qu’on est médecin, mais on va vraiment amputer cette enfant. C’est là que la série devient intéressante : loin de tout angélisme, elle montre sans fard à quel point les enfants peuvent être cruels et dangereux.

Dans l’un des groupes d’enfants, les plus petits, parés de peinture bleue, sont guidés par les plus grands, couverts de blanc pour cacher les signes avant-coureurs de la maladie, la Rouge.©Arte France/Régine de Lazzaris AKA Greta

Là où l’innocence périt, les croyances survivent

Face à cette violence, le seul rempart est l’imagination. Propulsée mère de substitution d’un petit frère qu’elle rejetait avant la disparition de ses parents, la jeune Anna n’a trouvé qu’une solution pour prendre soin de lui : raconter des histoires. Grâce à une mise en scène poétique, faite d’insertions de dessins fabuleux dans les plans en prise de vue réelle, le spectateur entre lui aussi dans ce monde magique. En imaginant des contes de fées, Anna évite qu’Astor franchisse les limites de leur propriété et qu’il ne se fasse kidnapper par une horde de petits « bleus ».

Seul rempart face à la violence de ce monde peuplé d’orphelins : l’imagination.©Arte France/Régine de Lazzaris AKA Greta

Mais il y a forcément un jour où la vérité éclate, et où l’innocence prend brutalement fin. Conséquence : la fratrie est séparée et une quête de retrouvailles s’amorce. Au cœur de cette odyssée, les enfants rejettent les croyances qui les ont jusqu’ici bâtis et guidés pour suivre de nouveaux guides, dépeints à travers une symbolique religieuse ultraprésente. La religion catholique, fondamentale dans l’Italie d’avant la pandémie, est réinventée dans le monde des enfants par des actes de pure création. Démons, anges, nouveaux prophètes ou Christ modernes : le parcours de chaque protagoniste est éclairé de flashbacks judicieusement insérés dans la narration. Grâce au jeu sincère et très professionnel des enfants acteurs, on découvre pourquoi chaque survivant a acquis une place particulière dans ce nouvel univers, en quête de quelque chose de « plus grand » que lui.

La minisérie, en ligne depuis le 10 septembre sur Arte TV, sera diffusée le 4 novembre sur la chaîne franco-allemande. Six épisodes qui nous transportent dans un monde meurtri, parfois ultraviolent, qui retrace le parcours initiatique d’enfants qui doivent vivre avec une peur universelle : celle de grandir. Niccolò Ammaniti offre un récit initiatique envoûtant et fantastique, qui nous rappelle que ce qui compte dans une vie, c’est avant tout la manière dont on la vit au moment présent, sans se soucier du futur.

À lire aussi

Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste