Le 19 août dernier paraissait Le Fils de l’homme (Gallimard, 2021). Ce roman tragique dans lequel Jean-Baptiste del Amo explore la transmission de la violence de père en fils s’est vu décerner le Prix du Roman Fnac. Rencontre.
Vous êtes engagé depuis 2016 auprès de l’association L214, qui lutte pour la défense des droits des animaux. Vous avez notamment écrit le texte L214, une voix pour les animaux (éditions Arthaud, 2017). Comment conciliez-vous cet engagement et votre activité littéraire ?
Mon militantisme est d’abord un engagement personnel, citoyen, et j’ai simplement utilisé la tribune qui m’était offerte par mon statut de romancier pour partager ces convictions. Mais je n’ai pas de message à porter à travers mes romans. Je suis d’ailleurs toujours étonné de voir combien on attend cela aujourd’hui des écrivains, qu’ils aient un avis tranché, si possible une théorie, en résonance avec l’actualité immédiate, une lecture didactique du monde. Cela étant dit, j’écris avec ce que je suis, ma sensibilité façonne certainement mes textes, mais sans jamais que le souci du propos précède celui de créer un univers, une langue, une histoire. L214, une voix pour les animaux était un pas de côté, une façon d’affirmer mon soutien à l’association en mettant ma plume à son service pour ce projet qui était une commande des éditions Arthaud.
Votre écriture est particulièrement recherchée, ample ; elle contraste, d’une certaine manière, avec la tendance contemporaine des écritures dites « blanches », qui vont vers la simplification. Avez-vous conscience de ce décalage ? Pensez-vous que le succès de vos textes dénote une appétence du public pour la recherche de plumes très littéraires, très travaillées ?
J’ai conscience de ce décalage car on m’y renvoie sans cesse en m’interrogeant sur mon « lyrisme », mon « classicisme », sur mon utilisation du vocabulaire. Je ne compte plus le nombre de fois où des lecteurs, des journalistes, me disent avoir dû recourir au dictionnaire pour chercher certains mots. Je trouve ça fou, car lorsque je lis Cormac McCarthy, Guyotat, Louis-Combet, Graciano (pour ne citer qu’eux), je suis sans cesse confronté à un vocabulaire que je ne maîtrise pas forcément sans que cela fasse obstacle à ma lecture, à ma compréhension. Je n’utilise pas de vocabulaire par afféterie, mais pour nommer les choses pour ce qu’elles sont. Si je veux désigner une épeire diadème, pourquoi utiliserais-je le simple terme générique d’araignée qui comprend des milliers d’espèces ? Cela me semble dire quelque chose de la simplification de notre langue et de la simplification de notre rapport à la langue. Quant à mon succès, qui reste relatif au vu du succès rencontré par les livres les plus commerciaux, il m’est difficile de savoir sur quoi il repose. C’est une alchimie qui se produit autour d’un livre, un alignement d’étoiles, tout en sachant que rien n’est jamais acquis. Une partie de mon lectorat me suit depuis le début et s’étoffe avec le temps. D’autres me découvrent cette année seulement grâce au Prix Fnac ou au soutien des librairies indépendantes. Je crois que les lecteurs restent à la recherche de nouvelles voix, de livres qui les marquent durablement.
Vous avez écrit plusieurs textes sur l’écrivain et photographe Hervé Guibert, et plusieurs thèmes traversent vos œuvres comme les siennes – la mort, la sexualité, le corps. Hervé Guibert a-t-il été une influence pour vous ?
Guibert n’a pas du tout été une influence, car je l’ai découvert très tard, lors de mon séjour à la Villa Médicis. Je n’avais jamais rien lu de lui plus tôt. J’ai saisi l’occasion de la réédition de son premier roman, La Mort propagande, par L’Arbalète pour lire ses livres, car Thomas Simonnet, l’éditeur de la collection, m’avait proposé d’écrire un article sur ce texte pour la NRF [La Nouvelle Revue française, ndlr]. Dans la foulée, Gallimard m’a proposé de préfacer le livre consacré à son œuvre photographique. Récemment, j’ai aussi accepté de préfacer la réédition de L’Incognito pour la collection « L’Imaginaire » de Gallimard. Je trouve toujours curieux que l’on fasse appel à moi pour parler de Guibert. Sans doute est-ce parce que je n’ai jamais fait mystère de mon homosexualité ? Bien sûr, il y a chez lui une sensibilité qui me touche, la façon dont son désir, son identité homosexuelle, sa fascination et sa prescience de la mort définissent son œuvre. J’ai de l’admiration pour son travail, mais je ne m’en sens néanmoins pas proche.
Le Fils de l’homme, de Jean-Baptiste del Amo, éditions Gallimard, collection « Blanche », 2021, 240 p., 19 €.