Oubliées ou évoquées avec nostalgie, les grandes séries télévisées du passé ont ouvert la porte à celles que nous regardons aujourd’hui.
Restées dans les mémoires de toute une génération, les séries des années 1980 ont posé les jalons de ce format aujourd’hui consacré par l’avènement des plateformes de streaming. Cependant, les créations actuelles puisent encore l’inspiration dans ces pionnières en termes de thèmes, ressorts narratifs ou mécaniques des personnages. Entre deux tranches de nostalgie, nous vous proposons de revisiter l’héritage que ces grands moments de télévision nous ont transmis.
Avant de se lancer, précisons que nous sommes bien conscients que chacun regrettera de ne pas y trouver sa série fétiche. Mais, parmi les tonnes de programmes centrés sur un véhicule (K2000, Tonnerre mécanique, Supercopter, Shérif, fais-moi peur) ou quelques rares exemples ayant connu une redite (souvent ratée) tels que MacGyver, L’Agence tous risques ou Magnum, nous avons préféré nous concentrer sur les plus significatives.
1 Dallas, l’univers impitoyable du pouvoir
La diffusion de la série Dallas a commencé aux États-Unis en 1978, mais ce n’est qu’en 1981 qu’elle a débarqué en France, et un peu partout dans le monde. Son succès aux États-Unis étant acquis, c’est à l’international que la saga des Ewings, riche famille de Texans exploitants pétroliers et éleveurs de bétail, a bâti sa légende.
Son histoire narre les luttes de pouvoir autour du pétrole, avec une multitude de coups bas, de rebondissements et de moments clés. Le souvenir que la plupart des téléspectateurs en ont gardé tient en deux lettres : J.R., un visage inoubliable, coiffé de son éternel Stetson. Le visage que le monde entier s’apprêtait alors à détester…
Texan foi ni loi
De son nom complet, John Ross Ewing II, J.R. incarne tout simplement le mal absolu. C’est probablement la naissance du méchant dans toute sa splendeur à laquelle on assiste. La détestation du public s’explique par son comportement face à une galerie de personnages tantôt naïfs et gentils jusqu’à la caricature, tantôt conscients de faire face à un génie du mal, impuissants devant son inventivité froide.
Misogyne, avide de pouvoir, trahissant y compris sa propre famille par intérêt, il catalysera une haine féroce partout dans le monde. À l’époque, le retentissement de la série est tel que des quotidiens (on est loin des réseaux sociaux) publient des pages entières pour décrypter les épisodes clés, comme celui de son assassinat. Familles, collègues : tout le monde commente alors les tribulations des Ewings.
Spin-offs et influence du public
La série a donc ouvert la voie à tout ce que l’on peut compter de guerres de pouvoirs, qu’il s’agisse de la plus politique, House of Card, ou de Game of Thrones, avec une galerie de personnages aussi haïssables que le magnat du pétrole. Autre fait intéressant, la mort de Bobby, jeune frère considéré comme l’incarnation du bien par antithèse au personnage de J.R., a scandalisé le public.
À tel point que les producteurs ont utilisé un procédé improbable : le faire revenir subitement, prétextant un cauchemar de sa femme après une absence d’une trentaine d’épisodes… Une première preuve du poids du public sur les scénaristes et producteurs. Enfin, le spin-off Côte ouest, basé sur la vie d’un frère mal aimé de la famille exilé en Californie, constitue l’un des premiers exercices du genre – lui aussi repris par Game Of Thrones, avec House of the Dragon.
2 Arnold et Willy, les minorités enfin visibles
Dans le cadre du luxe de rigueur à Manhattan, un vieux milliardaire et sa fille voient leur gouvernante mourir, et lui promettent de s’occuper de ses deux jeunes fils. C’est ainsi que Philip et Victoria Drummond adoptent Arnold et Willy Jackson, deux jeunes afro-américains ayant grandi dans la misère du quartier de Harlem. Un changement de train de vie, de cadre, mais aussi une sensation de déracinement attend les deux garçons.
À force de bonne volonté, les Drummond parviennent à les convaincre qu’ils peuvent former une vraie famille. Série pleine d’humour, mais qui ne rate jamais une occasion de donner quelques leçons de morale et de vivre ensemble, elle est un prélude à toute une vague de shows mettant en avant des minorités longtemps oubliées du petit écran, fort heureusement aujourd’hui très représentées, dans des productions plus adultes (Power, Empire, Atlanta…).
Des destins tragiques
À l’opposé du ton léger et du bonheur ambiant propre à la série, une véritable malédiction a touché ses jeunes acteurs. La star incontestée Arnold (Gary Coleman), petit garçon brillant, a été ruinée par ses parents, il a fait faillite et connu des déboires pour violence conjugale qui l’ont amené à devenir gardien de parking.
Il est décédé en 2010 à seulement 42 ans, d’une hémorragie cérébrale. Celui qui incarnait son frère Willy (Todd Bridges) a connu une longue addiction à la drogue, finissant lui aussi ruiné et atterrissant même en prison pour délinquance. Enfin, Virginia Drummond (Diana Plato), a connu, elle aussi, une descente aux enfers, entre drogue, vols et productions érotiques. Elle est morte d’une overdose à 34 ans, en 1999.
3 Starsky et Hutch, l’ancêtre du buddy movie
Encore une fois, c’est avec du retard que les téléspectateurs français ont découvert cette série américaine, diffusée de 1975 à 1979 aux USA. Elle est arrivée en 1978 dans l’Hexagone, mais sa diffusion jusqu’au milieu des années 1980 sur TF1 en a fait un rendez-vous incontournable des amateurs d’action et de poursuites en voiture.
Dans une ville imaginaire de la côte ouest américaine, deux détectives, coéquipiers que tout oppose en apparence, forment un redoutable duo d’enquêteurs pour la police locale. Avec des caractères très différents, soulignés jusqu’à leurs styles vestimentaires, mais aussi une belle complémentarité, ils parviennent à venir à bout de toutes les affaires. Cependant, l’une des figures iconiques de la série restera sans doute la Ford Gran Torino 74 rouge rayée de blanc de David Starsky…
Un personnage “Ford”
Un véhicule surprenant pour un inspecteur de police, mais qui fait la fierté de son propriétaire. Son ami Hutch, lui, conduit une véritable épave, et les deux hommes ne cessent de se quereller à ce sujet, sur le ton de la plaisanterie. Un joli placement de produit pour le constructeur américain, qui fait écho aux voitures emblématiques des films James Bond, les espions changeant régulièrement de marque ou de modèle de prédilection au fil des époques… et des deals commerciaux.
Au-delà de cette belle muscle-car qui a fait rêver tant d’amoureux de jolis bolides, c’est surtout ce duo dynamique, inséparable malgré les différences, qui a fondé le genre des buddy movies tels que 48 Heures, L’Arme fatale ou encore Rush Hour.
4 Miami Vice, symbole des années 1980
Diffusée de 1984 à 1990 sur la chaîne NBC, cette autre série policière n’est arrivée en France qu’en 1986, rebaptisée pour l’occasion Deux flics à Miami. Difficile de trouver une imagerie ou une bande-son qui fleure autant les années 1980 que celle-ci, et pour cause.
En effet, la production a pu s’appuyer sur le catalogue de MTV pour accompagner les épisodes de morceaux tendances de l’époque et de guest-stars issues de la scène musicale. Deux inspecteurs de police rattachés à la brigade des mœurs, mais aussi des narcotiques, livrent une guerre sans merci contre dealers et souteneurs. La violence y est souvent de mise, dans un cadre somptueux, Miami devenant presque un personnage à part entière du show.
Du jeu vidéo au grand écran
Si Philip Michael Thomas, qui jouait Ricardo Tubbs, n’a pas vécu une grande carrière par la suite, son comparse Don Johnson (Sonny Crockett) a connu un meilleur sort, même s’il n’a pas toujours été associé à des chefs-d’œuvre. Plus récemment, Rodriguez a fait appel à lui pour Machete ou encore Tarantino pour Django Unchained. L’héritage de la série tient en deux œuvres très différentes.
D’abord avec un jeu vidéo culte, GTA Vice City (2002), qui reprend l’esthétique et même une partie du titre de la série, preuve que Scarface n’était pas la seule influence de Rockstar, son développeur. Le prochain GTA VI devrait renouer en partie avec cette ambiance floridienne. Ensuite, avec le fameux long métrage de Michael Mann, jadis producteur de la série originale, avec un Miami Vice (2006) où Colin Farrell et Jamie Foxx reprennent les rôles du duo, dans une ambiance plus sombre, portée par une réalisation de haut vol.
5 21 Jump Street, première vague des séries pour ados
Arrivée en France tardivement, 21 Jump Street a d’abord posé son empreinte aux États-Unis de 1987 à 1991. Le scénario assez invraisemblable tourne autour d’une brigade spéciale, constituée de très jeunes inspecteurs, à même grâce à leur look de s’infiltrer dans la jeunesse américaine. Leur camp de base est une ancienne église, basée au numéro 21 de Jump Street.
Enquêtes sur des gangs, des dealers, mais aussi retour au lycée ou à l’université sont donc le quotidien de cette équipe d’apprentis détectives. Si les séries pour ados existaient déjà, peu d’entre elles évoquaient avec autant de clarté les problèmes d’alcool, de drogue, de violence sexuelle et autres plaies de la société. Des thèmes omniprésents dans les teen dramas des plateformes de streaming actuelles.
Deux films et une méga star
21 Jump Street a donc fait sauter la barrière de ces tabous et a même séduit un public plus large grâce à son ton plus adulte. Mais, après avoir ouvert une brèche dans laquelle d’innombrables séries pour la jeunesse se sont engouffrées, comme la cultissime Beverly Hills (1990), le show semblait destiné à retomber dans l’oubli.
Pourtant, Jonah Hill (Le Loup de Wall Street, War Dogs) a réalisé et joué dans deux longs-métrages inspirés de la série, 21 Jump Street (2012) et 22 Jump Street (2014). Reste que le plus gros héritage du show reste la découverte par le grand public d’un jeune acteur promis à un bel avenir : un certain Johnny Depp.
6 Fame, la musique au cœur du show
Diffusée sur NBC aux États-Unis dès 1982, et, chose rare, la même année en France, Fame est l’ancêtre des séries musicales. Dans l’immense High School of Performing Arts de New York, les téléspectateurs pouvaient suivre les destins de jeunes musiciens, danseurs, chanteurs ou acteurs, tous venus d’horizons très différents. Leur union vient souvent du travail nécessaire, le talent ne suffisant pas à s’imposer dans cet établissement de prestige. Il s’agit aussi de l’adaptation du film éponyme d’Alan Parker, sorti en 1980.
L’ouverture du bal
Après Ford et Starsky et Hutch, ici, c’est le fabricant d’instruments de musique japonais Yamaha qui a réussi à imposer la présence de ses produits à l’écran. Mais le succès de la série, outre une mixité inhabituelle sur tous les plans, fort rafraîchissante, repose surtout sur les nombreuses scènes musicales, les chorégraphies, tout ce qui pouvait transformer un épisode en véritable spectacle. Une influence qui a porté sur toutes les séries du genre, si nombreuses à être apparues par la suite, telles que Glee ou High School Musical.
7 V, la résistance au fascisme revisitée
Un imposant vaisseau spatial fait planer son ombre au-dessus de la Terre. Acteurs comme téléspectateurs sont longtemps restés pétrifiés à la découverte de cette première scène choc de V, série de science-fiction qui a fait date dès sa première diffusion en 1985 en France.
Son format se découpe de façon originale en deux miniformats de deux et trois épisodes, puis une saison régulière de 19 épisodes. L’arrivée de ces extraterrestres sur Terre est d’abord perçue comme une bonne nouvelle. Les visiteurs, de leur surnom, expliquent être venus en paix, promettant d’apporter des solutions à nombre de problèmes humains, tels que le cancer. Mais ces invités avancent masqués à plus d’un titre.
Double identité
Derrière leur apparence humaine, les visiteurs sont en fait des reptiles, amateurs de chair fraîche. Ils cherchent également à prendre rapidement le contrôle du monde entier. Toute la symbolique qu’ils portent, entre la formation de la jeunesse en forme d’endoctrinement, la recherche de « collaborateurs » ou les rafles de scientifiques, rappelle forcément le régime nazi, jusqu’à leurs uniformes.
Le créateur de V, Kenneth Johnson, avait proposé à son diffuseur une série sur la résistance, alors que ce dernier voulait surfer sur le succès de Star Wars. C’est donc un compromis spectaculaire qui a vu le jour. Aujourd’hui encore, le choix de transposer dans un monde fictif les dérives du fascisme se retrouve dans de nombreuses séries, telles que The Handmaid’s Tale ou The Man in The HighCastle.