Presque inconnu il y a dix ans, Taylor Sheridan est devenu un showrunner star avec des séries qui parlent à l’Amérique, et pas seulement à celle de Donald Trump. Depuis « Yellowstone » et son préquel « 1883 » (aujourd’hui diffusées sur Netflix), il semble avoir mis le monde de la télé à ses pieds. Décryptage d’une œuvre cohérente qui sent bon les grands espaces, le café froid et le bétail.
Mais qui est le showrunner Taylor Sheridan ?
L’histoire de Taylor Sheridan, c’est d’abord celle d’un acteur parmi tant d’autres, qui enchaîne les petits rôles sans jamais faire son trou malgré quelques apparitions remarquées dans Veronica Mars et Sons of Anarchy. Lassé du rôle de comédien mais la tête pleine d’histoires à raconter, ce Texan né en 1970 commence à écrire des scénarios qui tapent immédiatement dans l’œil des studios, et qui donnent naissance aux trois films regroupés par Sheridan lui-même sous l’appellation « trilogie du nouvel Ouest américain » : Sicario (Denis Villleneuve, 2015), Comancheria (David Mackenzie, 2016) et Wind River (réalisé par lui-même en 2017). Trois films qui jouent habilement avec l’imagerie du western tout en amenant des problématiques contemporaines. Trois films qui définissent déjà son style.
Désormais connu des initiés, Taylor Sheridan va faire son entrée dans le salon de millions d’Américains et de téléspectateurs à travers le monde en créant la série désormais culte Yellowstone pour Paramount Network en 2018 (et diffusée actuellement sur Netflix France). Succès immédiat qui lui donne un crédit illimité pour développer à la fois cinq saisons de sa série phare avec Kevin Costner, mais également l’étoffer en racontant les débuts de la famille Dutton dans deux spin-off, 1883 (préquel disponible en France depuis ce 12 mars 2025 sur Netflix), puis 1923.
Et l’avalanche Sheridan ne s’arrête pas là, puisqu’il crée en 2021 la série Mayor of Kingstown (3 saisons), Tulsa King (2022, 2 saisons), Opérations spéciales : Lioness (2023, 2 saisons) et la dernière en date, Landman (2024).
Mais quels sont les ingrédients du succès de ce showrunner amoureux des grands espaces ?
Des séries qui rassurent l’Amérique…
Et si le succès est là, c’est parce que la recette Sheridan va puiser dans son enfance au Texas entre ranchs et puits de pétrole, nourrie des mythes américains qu’on retrouve immanquablement dans ses séries. Pas l’ombre d’une grande ville à l’horizon et encore moins l’odeur des embruns marins, on est dans cette Amérique de l’intérieur, des grands espaces à perte de vue, de cette nature généreuse qu’on idolâtre tout en la pliant à sa volonté, dans ces États qu’on associe généralement au parti conservateur.
On y célèbre l’amour du travail, le bon sens de la campagne, la famille, et la religion n’est jamais très loin. Pas étonnant dès lors que ses séries cartonnent outre-Atlantique dans une Amérique qui s’est redonnée quatre ans de Donald Trump pour tenter de retrouver une illusoire grandeur passée.
Ses personnages incarnent eux aussi un certain type d’idéal. Oubliez les jeunes premiers sans la moindre aspérité. Ses héros, à l’image de John Dutton (incarné par Kevin Costner), ont tous la soixantaine bien tassée, le visage buriné sur lequel il suffit d’enfoncer un chapeau de cow-boy pour entendre de la musique country et s’imaginer assister à un rodéo. Ils sont bourrus, cyniques, se méfient du gouvernement fédéral et font la loi eux-mêmes.
Et les femmes dans tout ça ? Pas de place pour la subtilité puisque qu’elles sont immanquablement sexy ou encore plus féroces que les hommes. Des clichés certes, mais sur lesquels s’est appuyé le cinéma et l’imaginaire américain pendant longtemps. Et qui rassurent un public qui sent son pays lui échapper.
…mais surtout des séries de qualité
Et c’est là la vraie raison du succès des séries signées Taylor Sheridan. En réalité, presque tout le monde regarde Yellowstone, Mayor of Kingstown ou Landman, indépendamment de son positionnement politique, parce qu’il s’agit tout simplement de très bons shows.
Réalisation léchée qui s’attarde régulièrement sur cette nature extraordinaire des grandes plaines du Montana avec montagnes naissantes à l’horizon, plans iconiques de puits de pétrole à contre-jour au Texas, routes droites interminables au milieu de nulle part : on en prend plein les yeux. Les épisodes sont parfaitement rythmés et procurent une bonne dose de rebondissements choquants ou inattendus. On y parle d’une certaine Amérique, sans pour autant invisibiliser les problématiques contemporaines, qu’il s’agisse des minorités ou des nouvelles technologies. On n’est parfois pas si loin de l’excellente série Succession, notamment dans Yellowstone avec son patriarche omnipotent qui manipule ses enfants pour sauvegarder ses acquis tout en essayant d’être un bon père.
Côté casting, Taylor Sheridan donne le beau rôle à des stars d’un Hollywood presque révolu, à la manière d’un Quentin Tarantino, de Kevin Costner à Harrison Ford en passant par Demi Moore, Jon Hamm et Billy Bob Thornton. De beaux visages fatigués qui portent les soucis de l’Amérique mais qui parlent à tout amateur de cinéma et renforcent le charme infini de ses séries.
En bref, pas besoin de posséder des santiags, ni d’être inscrit à un cours de madison pour binge-watcher les créations de Taylor Sheridan.
