
Épopées médiévales, romans de chevalerie et sagas fantasy… Tous s’offrent une cure de jouvence en librairie. Retour sur quelques-uns des nouveaux récits de cape et d’épée à découvrir pendant la saison estivale.
Au lendemain de l’immense succès rencontré par Le comte de Monte-Cristo (2024) – plus de 9 millions d’entrées et une place dans le Top 20 des films français les plus vus de l’histoire –, le producteur Dimitri Rassam et les réalisateurs Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière ont fièrement annoncé leur nouveau projet. Ils souhaitent adapter en une série de films ambitieux et internationaux le chef-d’œuvre de Maurice Druon, Les rois maudits. Cette saga romanesque et historique en sept tomes, parue entre 1955 et 1977, offrait une plongée à grand spectacle dans la France médiévale du XIVe siècle, entre tractations politiques, jeux de séduction et combats sanglants épée à la main.
Tout sauf une coïncidence quand on sait l’importance que cette saga a pu avoir sur certaines figures emblématiques de la pop culture récente, au premier rang desquels George R. R. Martin, l’auteur de Game of Thrones. Alors qu’on pensait les histoires de cape et d’épée kitsch et dépassée, voilà qu’elles s’offrent un retour en force sous l’impulsion de la fantasy, de la fascination jamais émoussée pour l’histoire secrète des templiers ou encore d’une réécriture perpétuelle des légendes arthuriennes. En garde !
Terre sainte, de Sharon Kay Penman
Il a fallu attendre la disparition de Sharon Kay Penman, morte en 2021 d’une pneumonie, pour que les éditeurs français consentent enfin à s’intéresser à l’œuvre de celle qui restera comme l’une des plus grandes médiévistes du roman contemporain. Premier livre traduit en français de l’autrice de chevet de George R. R. Martin, qui signe d’ailleurs le « blurb » sur la couverture, Terre sainte nous offre une plongée en immersion dans un lieu qui depuis toujours suscite toutes les convoitises, à une époque parmi les plus tourmentées de l’histoire, au cœur d’une guerre de religion dont les drames et les cicatrices continuent plus que jamais à répandre la mort et fracturer le monde.
Jérusalem. 1174. Près d’un siècle après la fin de la première croisade, qui a vu Godefroy de Bouillon s’emparer de la ville sainte, la mort du roi Amaury de Jérusalem déclenche une impitoyable lutte pour sa succession. Alors qu’il n’est encore qu’un enfant, son fils Baudoin est pris en étau entre sa mère et sa belle-mère, dont la rivalité gangrène la ville. Fragilisé, il l’est encore plus quand une rumeur éclate à son sujet : il souffrirait de la lèpre, une maladie impure et terrifiante qui le rendrait inapte à régner. Pour parachever la tragédie qui guette, un nouveau chef de guerre, Saladin, est parvenu à fédérer les armées sarrasines et compte bien reprendre la ville des mains des chrétiens.
Avec la minutie d’une historienne passionnée et la fougue d’une romancière, Sharon Kay Penman offre une reconstitution sidérante. Les manipulations politiques, les implications religieuses, les stratégies militaires sont toutes passées au peigne fin dans un roman aussi épique que lyrique, sur les traces d’un enfant lépreux devenu l’une des plus grandes figures de l’histoire et un homme profondément bon qui ne rêvait que de paix pour Jérusalem.
Royaume en péril, de Thomas D.Lee
Voir un chercheur en lettres réputé, « spécialiste des interprétations contemporaines de la Matière de Bretagne, des légendes arthuriennes et du folklore britannique », écrire un premier roman aussi audacieux, original et foutraque que Royaume en péril a quelque chose de particulièrement savoureux. Le chevalier Keu, frère adoptif du roi Arthur, s’est vu confier une mission qui dépasse les âges. Depuis des siècles, lui et ses compagnons de la Table ronde sont ressuscités chaque fois que le royaume d’Angleterre est en péril. De la guerre de Cent Ans à l’invasion de l’Afghanistan, en passant par les deux Guerres mondiales et même les Malouines, ils ont toujours répondu présent. Cette fois, ce n’est pas une urgence militaire qui les rappelle à la vie, mais bien le naufrage certain d’une société en proie à une terrible crise climatique et une corruption généralisée de toutes les strates du pouvoir. Leur premier objectif : abattre un autre genre de monstres cracheur de flammes… une plateforme pétrolière.
Avec un talent certain pour les rebondissements, Thomas D. Lee bâtit une histoire haletante, poignante et très drôle, s’amusant des archétypes qui collent depuis toujours à la peau des grands personnages des légendes arthuriennes comme Lancelot ou Morgane. Avec malice, il s’autorise même à donner une coloration plus féminine à ce monde d’hommes avec la figure de Mariam, militante écolo féministe qui désarçonne nos vieux chevaliers macho en leur annonçant l’avènement d’un monde nouveau.
Le chavalier aux épines, de Jean-Philippe Jaworski
Il n’y a qu’à voir la fierté des éditions Denoël en annonçant l’arrivée dans leur catalogue de Jean-Philippe Jaworski pour mesurer l’importance dans notre paysage littéraire d’un auteur devenu la figure incontournable de la fantasy. Avec Le cycle des rois du monde (entamé en 2013 par Même pas mort), Première branche, prix Imaginales du meilleur roman francophone, et surtout avec sa série de romans et nouvelles du Vieux royaume, dont le point d’orgue fut Gagner la guerre, lui aussi couronné du prix Imaginales du meilleur roman francophone en 2009, il s’est taillé une solide réputation auprès d’une critique louant son habileté narrative hors du commun, mais également auprès d’une large communauté de fidèles tombée raide dingue de ses univers foisonnants.
Publiée en poche dans la très belle collection de genre « Folio Fantasy », la trilogie Le chevalier aux épines est la dernière incursion de Jaworski dans son Vieux royaume. Là où Gagner la guerre racontait, à travers le regard d’un assassin virtuose, la guerre entre la République de Ciudalia et le souverain de Ressine, ainsi que les manipulations politiques du podestat Leonide Ducatore, Le chevalier aux épines nous emmène plus à l’est, dans le Royaume de Leomance et, plus particulièrement, le duché de Bromael. Un an après le scandale d’adultère qui a touché la duchesse Audéarde de Bromael, son supposé amant, le chevalier Ædan de Vaumacel, qui avait pris la fuite, revient pour laver son honneur et celui de sa dulcinée. Mais son étrange attitude interpelle. D’autant que la cour est déjà en proie au tumulte et qu’une guerre entre clans rivaux est prête à éclater.
Toujours avec cet équilibre parfait entre jeux de dupe politiques, affrontements dantesques et aventures aux lisières du réel, Jean-Philippe Jaworski réussit son pari et nous rejoue habilement le coup du personnage empêtré au milieu d’un conflit qui le dépasse ; un homme animé par les meilleures intentions, mais obligé pour survivre de contourner les ordres de la morale chevaleresque. Un éblouissant manifeste pour l’imaginaire et une de ces plongées littéraires hors du monde qui se font de plus en plus rare à l’heure du sacre du roman du réel et de l’autofiction.