Entretien

Laurent Lafitte pour La femme la plus riche du monde : “J’ai toujours de l’empathie pour mes personnages”

31 octobre 2025
Par Pablo Baron
Laurent Lafitte incarne le photographe Pierre-Alain Fantin, l'équivalent de François-Marie Banier dans “La femme la plus riche du monde”, en salle le 29 octobre 2025.
Laurent Lafitte incarne le photographe Pierre-Alain Fantin, l'équivalent de François-Marie Banier dans “La femme la plus riche du monde”, en salle le 29 octobre 2025. ©Manuel Moutier

À l’occasion de la sortie de La femme la plus riche du monde, L’Éclaireur a rencontré Laurent Lafitte qui incarne le photographe Pierre Alain Fantin et le réalisateur Thierry Klifa afin de parler des ultrariches, de comédie et d’Isabelle Huppert.

Le personnage de Pierre-Alain Fantin, librement inspiré de François-Marie Banier, est flamboyant, provocateur, insaisissable. Selon vous, est-il aussi haut en couleur dans la réalité que dans le film ? 

Laurent Lafitte : Je pense qu’on est pas loin. En tout cas, le souci n’a pas été dans le mimétisme. Pour avoir lu beaucoup de choses dans la presse et avoir quelques amis en commun, quand j’ai lu le scénario j’ai senti qu’on était très proche d’une réalité. Après, on invente notre propre vérité, je pense que c’est quelqu’un de très puissant, intelligent et flamboyant, à la fois libre et en même temps prisonnier de son personnage. En tout cas, avec Thierry, on n’a jamais cherché à faire un travail de copier-coller.

Thierry Klifa : On n’a jamais cherché à faire un biopic. On n’a jamais été bloqué par ça. Ce qui est intéressant, c’est l’esprit d’un personnage. 

La bande-annonce de La femme la plus riche du monde.

Avez-vous pu le rencontrer ?

L. L. : Non, je n’en avais pas le besoin. Pour mon rôle de Bernard Tapie non plus, d’ailleurs. Je ne suis pas sûr que ça aide à le jouer, puisque les spectateurs ne le rencontrent pas de toute façon. Je trouve ça important qu’on n’ait pas plus de longueur d’avance. J’ai toujours de l’empathie pour mes personnages, je suis obligé, car si je commence à jouer ce que je pense d’eux, ça ne marche plus… [Rires]

Laurent, vous excellez dans ces rôles ambigus, charmeurs et parfois détestables – après Classe moyenne, vous y revenez. Qu’est-ce qui vous attire dans ce type de personnage ? Qu’est-ce que cela vous permet d’explorer, humainement et artistiquement ? 

L. L. : Dans le film de Thierry, c’est vraiment un personnage à part, il a quelque chose de Tartuffe et de Dom Juan, avec un côté vampirisant. Contrairement au personnage de Classe moyenne, qui est très content de lui, ici, je ne pense pas que Fantin le soit. Je pense qu’il fait avec ce qu’il est et qu’il capitalise un maximum sur ce qu’il est.

T. K. : Ce qui était intéressant, c’est de jouer sur une certaine forme d’amertume de tout ce qu’il n’a pas été et qu’il aurait voulu être. Par rapport à Classe moyenne… Là, il y a un panache. 

L. L. : Classe moyenne, c’est la petite bourgeoisie. Ici, ce qui change c’est la disproportion des enjeux ; évidemment, 900 millions d’euros, finalement, c’est beaucoup plus drôle que 90 000 euros !

Thierry, pourquoi avoir choisi ce sujet ? C’est un drame familial, certes, mais qui s’intéresse aux “ultrariches”, un sujet difficile à traiter et assez épineux en France.

T. K. : Lorsque le scandale a éclaté, j’ai d’abord été assez intrigué, car, pour moi, c’était la première fois qu’on pouvait donner un visage aux ultrariches. Très vite, je me suis rendu compte qu’il y avait toute une partie qu’on pouvait exploiter. Raconter cette histoire par le début et non pas par la fin comme la presse l’avait fait, passer par l’intime, raconter un monde qui n’avait jamais été vraiment raconté de cette façon-là, m’animait.

Laurent, votre performance fait basculer le film vers la comédie par moments. Était-ce une volonté commune de jouer dès le départ sur cette frontière entre drame et comédie ?

L. L. : Le comique est déjà présent dans l’écriture. J’ai un peu de mal avec le terme “performance”. La comédie existe malgré eux, c’est ce qui est drôle dans la comédie. Là, les enjeux sont tellement énormes et les personnages hors sol que ça en devient drôle, surtout pour nous qui sommes à priori plus ancré dans la réalité. Et heureusement, car c’est tout ce qu’il nous reste face à ces gens-là. Ce n’est pas pour rien que Molière écrivait des comédies et qu’il a été fondateur de “l’esprit français”. En tout cas, en tant qu’acteur, il ne faut surtout pas la prendre en charge, ça c’est vraiment un dosage d’écriture et de mise en scène. 

La femme la plus riche du monde.©Manuel Moutier

Thierry, comment dirige-t-on une actrice comme Isabelle Huppert ? Est-ce qu’on la “dirige” vraiment, ou est-ce qu’on l’accompagne, on s’accorde à sa musique ?

T. K. : L’essentiel du travail se fait à partir du moment où je propose un rôle à un acteur et qu’il l’accepte. D’ailleurs, on a commencé par une scène assez forte, celle du déjeuner en Grèce, où chacun a pris sa place par rapport à l’autre. Mon amour du cinéma tient beaucoup aux actrices et aux acteurs, ce sont eux qui me l’ont fait aimer. Isabelle ne parle jamais de sa carrière. Il y a de toute façon un côté très artisanal dans le cinéma ; en tournage, on est tous dans une forme de fragilité et il en va de même pour Isabelle. Diriger un acteur qui débute, oui, ici non. Je ne fais d’ailleurs jamais de répétitions, je ne me sens jamais dépossédé par un acteur. À partir du moment où on est en confiance et qu’on avance avec de bons acteurs, c’est aussi comme ça qu’on trouve du plaisir, pas que dans la difficulté. 

L. L. : Lorsqu’on choisit un acteur, c’est d’abord un choix d’écriture, surtout avec une actrice comme Isabelle, qui apporte une singularité unique au personnage.

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Selon vous, un écart de richesse ou de pouvoir fausse-t-il forcément une amitié ? 

L. L. : Ça dépend des deux protagonistes, mais, en l’occurrence, c’est ce qui fait que cette femme se retrouve si seule et isolée. Autour d’elle, tous veulent un morceau de ce qu’elle possède. Forcément, ça donne un rapport à l’humanité qui doit être un peu… difficile. 

T. K. : Elle donnait un conseil à son petit-fils que je trouve assez intéressant : “Les rendez-vous, c’est une demi-heure de plaisir et un quart d’heure la barbe !” Car, à la fin de chaque rendez-vous, on lui demandait un chèque.

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