Henry Cavill cède sa place à Liam Hemsworth dans ce quatrième chapitre, disponible sur Netflix le 30 octobre. Un passage de relais risqué pour une série déjà fragilisée, qui tente de se réinventer sans trahir son mythe.
« Comme on pouvait s’y attendre… » : c’est ce sentiment de déjà-vu qui m’a poursuivie tout au long du visionnage des premiers épisodes de la quatrième saison de The Witcher. Après deux ans d’attente, le Sorceleur reprend enfin sa route sur Netflix avec huit nouveaux chapitres diffusés le 30 octobre, prélude à une ultime salve déjà en préparation.
Pourtant, l’excitation d’autrefois s’est muée en appréhension. Les deuxième et troisième chapitres, moins inspirés, avaient déjà atténué la magie d’une première saison qui s’était révélée être une belle surprise. S’ajoute aujourd’hui à cette inquiétude une nouvelle interrogation : comment la série peut-elle retrouver son souffle alors qu’elle a perdu le visage même de son mythe ?
Le passage de témoin
Car oui, on l’attendait au tournant. Après trois volets dans la peau de Geralt de Riv, Henry Cavill a passé le flambeau à Liam Hemsworth, notamment connu pour son rôle dans Hunger Games et son air d’éternel second. Le défi était immense : succéder à un acteur qui a non seulement façonné le personnage, mais lui a donné une aura quasi mythique.

Consciente du choc à venir, la production a tenté d’intégrer ce changement dans la narration. Deux personnages ouvrent la saison en retraçant les événements passés, entrecoupés de flashbacks revisités où le visage de Hemsworth se substitue à celui de Cavill. L’idée, ingénieuse sur le papier, laisse pourtant un goût étrange. On mesure le soin mis à adoucir la rupture, sans pour autant pouvoir effacer le souvenir d’un Geralt qui avait trouvé sa juste mesure : brute et mélancolique à la fois.

Hemsworth, lui, cherche une autre voie. Son Geralt est plus vulnérable, plus inquiet, presque habité par le doute. La sincérité du jeu est indéniable, mais quelque chose se perd : le mystère, cette manière d’imposer une présence sans mots.
Après la tempête
La saison reprend sur les ruines laissées par la précédente. Le héros, grièvement blessé après son combat contre Vilgefortz, se remet lentement avant de repartir sur les routes, décidé à retrouver Ciri. Persuadé qu’elle est tombée entre les mains de Nilfgaard, il ignore encore que l’empereur détient une imposture, tandis que la véritable princesse, égarée dans le désert de Korath, rejoint un groupe de hors-la-loi sous le nom de Falka. Pendant ce temps, Yennefer tente de reconstruire l’ordre des mages dans un monde au bord de la guerre.

Un triple récit ambitieux, en somme, mais difficile à faire tenir. Le montage enchaîne les points de vue sans relâche, empêchant les arcs narratifs de respirer. Entre Geralt, Ciri, Yennefer et Emhyr, la série multiplie les transitions jusqu’à étouffer, et la richesse du monde s’effrite sous le poids d’un rythme trop haché.
Le charme érodé du voyage
Cette nouvelle saison renoue pourtant avec sa formule d’origine : un Geralt itinérant, entouré de compagnons fantasques et de quêtes secondaires. On retrouve Jaskier, toujours impeccable en contrepoint comique et affectif. Mais le charme s’est érodé : l’aventure, autrefois dense et habitée, devient mécanique.

Quant aux combats, ils abondent sans que le danger se ressente vraiment. Les scènes d’action restent spectaculaires, mais trop souvent gratuites. Quelques moments, comme le deuxième épisode, rappellent la beauté visuelle de la série, mais ces éclairs isolés ne suffisent pas à masquer une mise en scène fatiguée.
Des personnages à la dérive
Freya Allan poursuit l’évolution de Ciri, mais son arc, lent et ennuyeux, la rend moins attachante, parfois agaçante. Anya Chalotra conserve la force de Yennefer, sans retrouver la complexité de ses débuts. Les antagonistes, Vilgefortz et Emhyr, sombrent quant à eux dans la caricature du mal absolu.

Certains seconds rôles, en revanche, parviennent encore à émerger. C’est le cas de Joey Batey, dans le rôle de Jaskier, mais aussi de la nouvelle recrue, Laurence Fishburne. Dans le rôle d’un vampire mystérieux, il offre un contrepoint fascinant à Geralt, à la fois sage et dangereux, et redonne un peu de chair à l’univers.
Le sortilège brisé
Quelques trouvailles laissent entrevoir un sursaut – l’arrivée d’un chasseur de primes, la relation spirituelle entre Geralt et Ciri, nourrie par la peur et la loyauté –, mais elles ne suffisent pas, pour l’heure, à ranimer la flamme. À force de lisser son propos, la série perd ce qui faisait sa force : sa rudesse, sa morale trouble et sa violence poétique.

The Witcher n’a donc pas perdu son âme à cause du départ d’Henry Cavill. Elle l’a égarée dans une fuite en avant visuelle et narrative. Une malédiction intrinsèque à bien des productions de la plateforme : rythme soutenu, image irréprochable, mais un cœur désespérément vide. À trop vouloir séduire, l’œuvre s’est standardisée, coupée de la rugosité du matériau d’origine. L’univers de Sapkowski méritait une adaptation de chair et de sortilèges ; il ne reste ici qu’un divertissement policé, efficace, mais sans souffle.