Critique

Squid Game : pourquoi la saison 3 n’aurait jamais dû exister

27 juin 2025
Par Thomas Ducres
“Squid Game”, saison 3, le 27 juin 2025 sur Netflix.
“Squid Game”, saison 3, le 27 juin 2025 sur Netflix. ©Netflix

Alors que la dernière saison débarque le 27 juin sur Netflix, retour sur les coulisses d’un phénomène prévu au départ pour ne durer qu’un seul round. Dents perdues, nuits blanches et pression planétaire : voici l’histoire méconnue d’un succès écrit – presque à contrecœur – par Hwang Dong-hyuk.

Quand Hwang Dong‑hyuk commence à écrire Squid Game en 2009, il dort encore chez sa mère. Pire, il a même dû vendre son ordinateur pour payer les factures familiales. Dos au mur, le Sud-Coréen joue alors son va-tout sur une idée saugrenue : imaginer un jeu mortel dénonçant la violence d’un capitalisme à bout de souffle, le même qui les ronge lui et ses proches, dans un pays où 40 % de la population vit alors en dessous du seuil de pauvreté.

Pendant dix ans, et malgré le succès de son deuxième long-métrage (Silenced, 2011), tout le monde lui claque la porte au nez devant cette drôle d’histoire avec 456 joueurs prêts à tout pour effacer leurs dettes : « Trop violent », « Pas crédible », « Pas bankable ». Dépité, Hwang Dong‑hyuk range le script dans un tiroir. Mais, en 2019, Netflix l’appelle. Et quatre ans plus tard, la plateforme le supplie presque d’écrire une saison 3, à laquelle il n’avait jamais pensé. Mais comment en est-on arrivé là ?

Une idée folle, un succès qui l’est encore plus

Quand la première salve sort en 2021, personne – pas même Hwang – n’imagine le raz de marée qu’elle va provoquer. Cent quarante-deux millions de foyers, d’après people.com, dévorent la série en seulement un mois. C’est, à l’époque, le meilleur lancement de l’histoire de Netflix. Budget initial : 21 millions de dollars. Taux de rentabilité : stratosphérique. En comparaison, la saison 2 est produite avec près de 60 millions de dollars, selon les données internes révélées par des analystes de production sud-coréens. Soit l’équivalent de 100 milliards de wons. Un record pour un show sud-coréen.

Les coulisses de Squid Game.©No Ju-han/Netflix

Mais tout a commencé dans la douleur. Lorsqu’il écrit la saison 1, Hwang travaille seul, sans salle d’auteurs ni coréalisateur. Il reconnaîtra plus tard avoir perdu six dents à cause du stress, dont deux pendant la production du pilote : « J’étais tellement tendu que je grinçais des dents en dormant. Elles ont juste fini par tomber », révélait-il à CBR, en 2021. Comme son héros Seong Gi-hun, le succès ne l’apaise pas. Il l’écrase.

La suite ? Elle n’existait pas

Malgré un final ouvert, Squid Game n’était pas censé continuer. Hwang en parle notamment dans cette interview pour Entertainment Weekly : « Au moment d’écrire la première salve, je n’avais pas prévu de suite et l’histoire me semblait déjà se suffire à elle-même. En Corée du Sud, il est assez inhabituel qu’une série se décline sur plusieurs saisons. Comme l’écriture m’avait déjà épuisé, je ne pensais pas avoir la force de continuer en assumant simultanément toutes les casquettes. »

Les coulisses de Squid Game.©No Ju-han/Netflix

Mais, surprise, ou « tudum » comme on dit sur la plateforme, Netflix insiste. Le monde entier réclame une suite et Hwang finit par céder. Il écrit le deuxième chapitre, seul, et réalise chaque épisode. Et bingo, il souffre à nouveau, se jurant qu’il ne refera plus jamais une série comme Squid Game, car c’est humainement impossible.

Une fin par obligation ?

C’est là qu’intervient la saison 3. Ce que peu de gens savent, c’est qu’elle n’a pas été pensée comme un rebondissement, mais comme une conclusion nécessaire. En réalité, Hwang avait prévu un arc narratif en deux parties, conçu dès l’écriture de la deuxième salve. Mais le tout était trop dense, trop long. « On a décidé de le couper en deux », a-t-il confié à Entertainment Weekly en 2025.

Résultat : le deuxième chapitre est une chute, le troisième est une reconstruction. Ou ce qu’il en reste. Car ce dernier volet en six épisodes est bien plus violent que le précédent, et l’arrivée du bébé de Kim Jun-hee dans le jeu complique évidemment la donne dramatique.

Squid Game, saison 3©Netflix

Pour Hwang, comme pour les joueurs, la pression est énorme. Le père de Squid Game veut conclure. Il veut aussi se venger du succès : montrer que la série n’est pas qu’un jeu, mais une tragédie. Non seulement pour les joueurs, mais aussi pour lui-même, comme il le soulignait dans une interview accordée à El Pais au moment de la sortie de la deuxième salve : « Je suis épuisé ; je veux partir me reposer un peu sur une île isolée… Une île où il n’y aura pas de matchs. » À défaut d’avoir dormi ces cinq dernières années, le cinéaste a conservé son sens de l’humour.

Éviter l’impasse de La casa de papel

Contrairement à tant d’autres cherchant le succès de box-office à tout prix, Hwang Dong-hyuk n’avait donc pas prévu de devenir le visage d’un phénomène mondial. Il voulait juste parler de la société coréenne, de dettes, de désespoir et de sa propre vie. Il l’a fait au prix de sa santé mentale et d’une partie de sa dentition. Il a (jusque-là) résisté aux sirènes du spin-off, du blockbuster et du Squid Game Cinematic Universe. Et, in fine, il a réussi à éviter le piège dans lequel est tombée La casa de papel, avec au moins trois saisons de trop.

Squid Game, saison 3©Netflix

Que vaut réellement la saison 3 de Squid Game ?

En clôturant rapidement son histoire, il échappe également aux critiques émises sur la dernière saison poussive de Lost (qui l’a pourtant influencé avec cette histoire d’île introuvable). Et même si ce troisième chapitre ne répond pas à toutes les interrogations et que le premier épisode (Clés et poignards) est un peu poussif, ce baroud d’honneur pousse encore un peu plus loin le machiavélisme et le vice humain en imaginant des « jeux » encore plus cruels que dans les deux saisons précédentes. Il faudra évidemment attendre l’épisode 6 pour connaître le grand final du jeu, mais, sans trop divulgâcher – comme on dit en bon français –, cette troisième salve offrira trois conclusions aux fans.

Squid Game, saison 3©Netflix

Un : le dernier cercle des joueurs encore en vie ne comporte que des hommes, façon de rappeler qu’ils ont depuis la nuit des temps une belle carte de fidélité niveau violence et cruauté. Deux : le vrai gagnant du jeu, c’est Hwang Dong-hyuk. Il sort de cette série en un seul morceau, à la fois riche, célèbre et sans avoir jamais trahi l’idée originale.

Enfin, en 22 épisodes, le Coréen a su livrer une fable très éloignée du procès en boucherie adressé dès la saison 1. Les éliminations gratuites, comme les effusions de sang, révèlent paradoxalement la part profondément humaine en chacun de nous. Mission réussie. Seize ans après sa création, le réalisateur peut enfin souffler : il vient de trouver la porte de sortie de son propre jeu.

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