Critique

Squid Game : mettre sa vie en jeu pour la gagner

01 octobre 2021
Par Héloïse Decarre
Squid Game : mettre sa vie en jeu pour la gagner

Depuis mi-septembre sur Netflix, Squid Game bat tous les records. Peut-être parce que ce jeu du calamar s’approprie un thème universel, celui des inégalités sociales, et porte une réflexion sur la valeur de la vie. Une question dérangeante mais fondamentale, alors que les écarts entre riches et pauvres se creusent partout sur la planète.

100 millions de wons coréens. Environ 72 000 euros. C’est ce que vaut une vie dans Squid Game, la nouvelle production coréenne de Netflix. Ce prix est fixé par l’organisateur d’un mystérieux jeu auquel sont conviés 456 participants. Des joueurs tous criblés de dettes. Parmi eux, Seong Gi-hun (joué par Lee Jung-jae), un chauffeur de 47 ans, flambeur irresponsable, en passe de perdre tout contact avec sa fille de 10 ans. L’homme accepte de se prêter au jeu. Le principe : six épreuves, et une grosse cagnotte à la clé. Dès qu’un joueur est éliminé, les 100 millions qu’il représente sont ajoutés à la tirelire. À la fin, le gagnant pourra donc rafler 45,6 milliards de wons, soit 33 millions d’euros. De l’argent facile ? Pas si sûr, car, dans cette compétition, perdre équivaut à une mort certaine.

Des gagnants qui existent grâce au sacrifice des perdants

Dans ce jeu, une seule issue est possible : la victoire. Une victoire qui ne s’acquiert qu’au sein d’une compétition mortelle, par le sacrifice des autres joueurs, et ce, en dépit des amitiés, des attirances et des liens d’entraides qui se tissent. Si, au début, les participants sont tués par le jeu, ils sont ensuite très vite amenés à s’entretuer. D’abord par équipe, comme dans le jeu de tir à la corde, qui voit les perdants précipités dans le vide.

Numéros et uniformes : les participants sont déshumanisés dès leurs premiers pas dans le jeu.©Netflix

Plus on s’approche de l’épreuve finale, et donc du gain, plus les personnages deviennent inhumains. Dès le début de l’aventure, toute individualité leur est retirée. Ils n’ont plus de noms et sont désignés par des numéros. La tenue est la même pour tous : un jogging et des baskets blanches. Dans cette ambiance concentrationnaire, les personnes deviennent peu à peu des animaux.

Pour certains, la peur de mourir submerge toute humanité et les pousse à tricher ou à profiter des faiblesses de leurs amis. Des actes qui conduisent la plupart d’entre eux à un profond désespoir : certaines scènes sont tragiques, portées par un très beau jeu d’acteurs. Mais d’autres laissent leur colère prendre le contrôle, avec une parfaite conscience de la conséquence définitive de leurs actes. Face à une mort certaine, l’instinct de survie prend le dessus. Mais ceux qui survivent ne sont jamais ceux auxquels on s’attendait.

Perdre sa vie ou la gagner

L’idée d’un jeu mortel a très souvent été utilisée – dans les films Le Prix du danger, Cube, Battle Royale, Hunger Games, ou encore dans la série Alice in Borderland – mais le contraste entre jeux d’enfants et sacrifice ultime n’a jamais été aussi pleinement exploité. Principal élément de ce décalage : les décors graphiques, extrêmement détaillés et bien réalisés. Dans le dortoir des joueurs, les lits empilés en demi-cercle, comme dans une arène, ne laissent aucun doute : c’est un combat à mort qui est en train de se dérouler. L’utilisation des couleurs pastel et vives jure d’une façon étrangement satisfaisante avec les – très nombreuses – éclaboussures de sang (si la violence vous rebute, passez votre chemin). Dans cet univers enfantin fait de formes géométriques, de fresques joyeuses et de jeux historiquement amusants, la violence dépeinte ne fait que renforcer l’horreur de ce jeu macabre.

La mise en scène et les décors illustrent parfaitement le contraste entre jeux d’enfants et sacrifice ultime abordé dans la série.©Netflix

Le réalisateur Hwang Dong-hyeok propose une histoire prenante et angoissante, sans aucune longueur. Difficile de ne pas engloutir les neuf épisodes d’un coup, l’histoire regorgeant de suspens et de tournures improbables. Mais l’efficacité de l’histoire est avant tout portée par des personnages en constante évolution, et surtout très bien interprétés. Le réalisateur a encouragé ses acteurs à improviser, leur a laissé beaucoup de liberté, et ça se sent. Grâce à ce ton naturel et à une pointe d’humour, on s’attache dès le premier épisode à ces endettés, ratés ou menteurs. 

C’est d’ailleurs par ces personnages acculés par leur désespoir financier que Squid Game va plus loin dans la représentation du fossé entre riches et pauvres. Leur différence ne réside pas dans leur manque de libre arbitre, mais bien dans leurs choix de vie délibérés. Les uns choisissant de passer le temps en jouant avec des vies humaines, les autres signant de leur plein gré un formulaire mettant leur vie en jeu pour la gagner. Une vision critiquée, mais peut-être moins éloignée de la réalité qu’on pourrait le penser, dans un monde où 1 % de la population possède près de la moitié de la fortune mondiale.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste