
Troisième production française originale de Max, Malditos est une création singulière en partie portée par des gens du voyage déjà connus au cinéma et menée par le cinéaste Jean-Charles Hue, héraut sur grand écran des communautés nomades.
Aussi écrite soit la fiction, aussi fantasque soit le récit, aussi hallucinée soit l’atmosphère d’un film, d’une série, d’un roman, le réel infuse toujours. Il se glisse dans chaque décor, chaque tenue, chaque mot, chaque émotion. Il navigue d’une scène à l’autre.
Il n’existe pas de vérité artistique sans que le réel n’ait guidé le créateur sur le chemin qu’il ouvre à son public. La quête de vérité habite l’œuvre entière de Jean-Charles Hue, cinéaste et réalisateur de la troisième production française originale de la plateforme Max.
Lui n’a jamais tranché entre fiction et documentaire. Ça ne l’intéresse pas. Ce qui l’intéresse, c’est de papillonner sans cesse au-delà des frontières, entre les genres, les imaginaires, les folklores. Ce qu’il aime, c’est écrire des personnages pour des comédiens amateurs qui joueront, finalement, leur propre rôle. C’est écrire pour libérer ce que chacun porte en lui depuis toujours. Jean-Charles Hue n’invente pas, il transgresse et révèle. La part de réalité et de fiction, dès lors, n’appartient qu’à lui.

Deux films – des fictions hors normes – l’ont fait connaître d’une partie du public : La BM du Seigneur en 2011 et Mange tes morts en 2014, après une présentation encensée à La Quinzaine des cinéastes de Cannes. Deux longs-métrages fiévreux et hypnotisants avec lesquels Jean-Charles Hue immerge les spectateurs dans la communauté yéniche, peuple de gens du voyage méconnu notamment présent dans le nord et l’est de la France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Belgique.
Mœurs et folklores gitans
Pourquoi eux ? Les liens du sang. Par hasard, il y a une vingtaine d’années, un oncle de Jean-Charles Hue se découvre un lien de parenté avec les Dorkel, une famille yéniche. Le jeune artiste d’alors, désormais investi d’un héritage gitan, les rencontre et les filme inlassablement, jusqu’à composer une riche filmographie de courts-métrages documentaires. On découvre l’un d’entre eux, Fred Dorkel, en tête d’affiche au cinéma dans les deux fictions de Hue évoquées plus tôt.

C’est aussi lui, Fred, que l’on retrouve, toujours aussi rond, épais, bonhomme au visage poupon, en second rôle magnétique dans Malditos, la série de Hue pour Max. Une étonnante association entre un cinéaste farouchement indépendant, proche des gens du voyage, et une plateforme américaine. Eh bien, saluons sans tarder l’envoûtant fruit aux saveurs saisissantes de cette rencontre inédite.
Cette œuvre suit une famille dont les caravanes sont installées sur un terrain souvent proie de crues en Camargue. Alors que la préfecture cherche à évacuer les occupants nomades, à les sédentariser en HLM, le clan se bat pour trouver des solutions, quitte à se réconcilier avec une famille sœur ennemie.

Mais les secrets rôdent, le passé patiente, là, tapi dans les dunes, dans les rizières et les marais salants ; à n’en point douter, des fantômes hantent le delta du Rhône, jonché de cadavres. Qu’importent les contraintes formelles de la série pour un streamer, Jean-Charles Hue continue son exploration en profondeur des mœurs et folklores gitans.
La famille, la tradition, la religion, la musique, le voyage, les origines, la transmission, la rivalité, l’argent, la fraternité, l’amour, la survie quoi qu’il en coûte constituent autant des thématiques à décrypter que des vecteurs de liens entre les personnages. Des liens et des moyens pour entraver l’émancipation des individus. Malditos confronte du début à la fin les protagonistes à leurs choix, pris dans des dilemmes à première vue insolubles.
Roméo et Juliette des sables
La Camargue poussiéreuse et sanguine se révèle, ici, un formidable théâtre pour ce western moderne qui n’hésite jamais à prendre son temps, à alimenter le mystère, à scruter, d’un regard en coin du store d’une caravane close, les comportements des uns des autres.

Tout dans la série porte valeur documentaire : la production de Max s’impose comme une radiographie sensible des existences gitanes actuelles. Pour servir son propos, Jean-Charles Hue a sollicité ses compagnons yéniches, réunis comme une grande famille. Ceux-là offrent leur phrasé singulier à Malditos et lui confèrent une langue propre.
Autour d’eux, un casting exceptionnel : Céline Sallette et Damien Bonnard, impeccables en chef·fe·s de clans, Darren Muselet et Raïka Hazanavicius, aussi étincelants que bouillonnants en ambitieux Roméo et Juliette des sables, mais aussi Paco Cobo, ténébreux fils et frère, réduit à ces deux positions non sans attendre son moment.

Pour guider cette galerie de personnages tout en tension, deux autres héroïnes : la Camargue et l’identité gitane. Elles enveloppent la série, à l’atmosphère parfois proche de True Detective, d’une ensorcelante et exotique aura, aussi mystique que brûlante. Des gitans aux streamers, Malditos, association de bienfaiteurs.