Critique

Gagné ou perdu : la première série originale de Pixar est-elle un home run ?

19 février 2025
Par Marion Olité
“Gagné ou perdu”, le 19 février sur Disney+.
“Gagné ou perdu”, le 19 février sur Disney+. ©Disney+

Moins d’un an après le succès de Vice-Versa 2, les studios Pixar sont de retour avec leur première série originale, mise en ligne sur Disney+ à compter du 19 février. Un pari gagnant ?

Affaibli par la pandémie de Covid puis la grève des scénaristes de 2023, le studio qui a révolutionné l’animation 3D dans les années 1990-2000 avec des classiques comme Toy Story, Le monde de Nemo ou Wall-E peinait à retrouver des cimes créatives. Sortis en 2022 et 2023, Buzz l’éclair et Élémentaire avaient été froidement accueillis et la stratégie de proposer ces films à la fois en salle et sur Disney+ ne s’est pas révélée payante. Pixar a alors pris une décision : licencier 175 salariés.

À la tête de l’entreprise depuis 2014, le vétéran de Hollywood Jim Morris avait alors choisi de se reconcentrer sur les salles obscures. Le succès public et critique de Vice-Versa 2, sorti en juin 2024, lui a donné raison. Cette suite du hit de 2015, qui personnifie les émotions d’une fillette bientôt adolescente, est devenue le plus gros succès de l’histoire de Pixar et des films d’animation, dépassant le milliard de dollars de recettes.

Face à ce triomphe inattendu, Disney+ a alors avancé la sortie de Rêves de production, une courte série dérivée de l’univers de Vice-Versa, mise en ligne en décembre dernier. C’est donc avec un peu de retard que sort Gagné ou perdu, un nouveau challenge pour Pixar, qui a l’habitude de créer des séries d’animation ou des courts-métrages dérivés de ses succès cinématographiques, comme Car Toons (2008-2014) ou Pixar Popcorn (2021).

Une galerie de personnages attachants et réalistes

Écrite et réalisée par Carrie Hobson et Michael Yates, deux talents maison ayant travaillé sur Toy Story 4 et Vice-Versa 2, Gagné ou perdu suit les péripéties des membres d’une équipe de softball mixte au collège, les Pickles, alors qu’elle atteint le championnat d’État. L’originalité de cette fiction repose sur sa structure narrative à la Rashomon : chacun des huit épisodes se focalise sur le point de vue d’un ou d’une protagoniste, avant et le jour du grand match.

Gagné ou perdu©Disney+

« Tout le monde court après la sensation de gagner. Mais si on gagne, quelqu’un doit perdre. Ou peut-être que gagner n’est qu’une question de perspective », philosophe un enfant gavé de Fanta, installé sur les gradins d’un match de softball. Mais ce n’est pas lui le héros du premier épisode de Gagné ou perdu. C’est Laurie, la fille maladroite et un peu « loseuse » de Coach Dan, qui peine à se montrer à la hauteur de son statut de « nepo baby ».

Tandis que ses camarades reçoivent à chaque match de nouvelles étoiles à coller sur leurs casques de softball, qui symbolisent leur apport déterminant au match, celui de Laurie reste désespérément lisse. La voilà bientôt flanquée d’une boule de stress de plus en plus grosse, qui ne la quitte plus et manque de l’absorber toute entière.

Gagné ou perdu©Disney+

Cette idée d’une émotion symbolisée par une entité envahissante n’est pas sans évoquer le procédé de la série d’animation Big Mouth (depuis 2017), dont les pré-adolescents apprennent à vivre avec leurs « monstres hormonaux ». L’idée n’est donc pas nouvelle, mais elle fonctionne ici très bien pour illustrer à quel point l’anxiété peut nous bouffer la vie, et ce, dès le plus jeune âge.

Quoi de pire que l’angoisse de ne pas être à la hauteur de ce que vos parents attendent de vous ? Ou de ce que vous pensez que vos parents attendent de vous ? Peut-être la honte publique auprès de ses camarades, que Laurie doit aussi gérer dans cet épisode.

Gagné ou perdu©Disney+

La richesse de Gagné ou perdu réside dans la multiplicité de ses points de vue. Le personnage secondaire grognon du premier épisode devient la star du deuxième et l’on comprend alors ses états d’âme. L’idée est simple, mais efficace. Il y a Frank, l’arbitre de softball et amateur de romans de fantasy, dont l’armure imaginaire l’habille illico presto dès qu’il sort de sa zone de confort dans sa relation aux autres ; Rochelle, la débrouillarde, en cheffe qui enfile son costume imaginaire de CEO stylée pour gagner de l’argent et gère beaucoup trop de choses pour son jeune âge ; ou encore sa maman, Vanessa, célibataire avec deux enfants, qui tente de joindre les deux bouts et trouve un peu de réconfort dans sa vie virtuelle.

Un retour aux sources

Le point culminant de la série, la finale du championnat, n’est finalement qu’un outil au service de ces personnages attachants et superbement caractérisés, auxquels on s’identifie volontiers. Carrie Hobson et Michael Yates jouent sur les points forts de Pixar depuis ses débuts : la faculté à creuser les émotions contradictoires qui nous traversent, de l’enfance à notre vie d’adulte.

L’effet de projection joue à plein, autant du côté d’un public jeune, qui pourra s’identifier aux jeunes héros, que de celui des adultes, qui ont le choix entre se souvenir de leurs années collège ou se sentir solidaires des épreuves traversées par les personnages adultes dans la série.

Gagné ou perdu©Disney+

Si Gagné ou perdu est effectivement une production originale, son univers résonne particulièrement avec celui de Vice-Versa, où la jeune Riley pratique du hockey sur glace et découvre de nouvelles émotions fort désagréables, comme l’embarras ou l’anxiété, dans le deuxième volet. Créée par des vétérans de l’animation, Gagné ou perdu se distingue par ses dialogues truculents (on sourit, voire on rit devant la série) et une musique signée Ramin Djawadi (le génie derrière le thème de Game of Thrones).

Gagné ou perdu©Disney+

Si on ne boude pas notre plaisir devant ce show tout public aux messages bienveillants et empathiques, le choix du design des personnages laisse davantage perplexe. Alors que Pixar doit sa réputation de précurseur de la 3D à son attention portée aux textures et aux détails complexes, la direction artistique de Gagné ou perdu ne donne pas dans le réalisme. Elle simplifie à l’extrême les traits de ses protagonistes, notamment au niveau de leur visage, au nez « patate ». Son design général n’est pas sans rappeler les personnages des pubs américaines Kroger.

Cette tendance à aller vers du character design aux traits plus grossiers n’est pas nouvelle chez Pixar. On la retrouve sur les volets de Vice-Versa ou Élémentaire. En revanche, on attendait un peu plus de prise de risque de ce côté-là. Mais la société, rachetée par le géant Disney en 2006, n’a pas forcément la liberté de ses ambitions.

En 2022, des employés de Pixar dénonçaient dans une tribune la censure exercée par Disney sur les personnages LGBTQ+ dans ses productions. Une politique qui a visiblement perduré : la trajectoire d’un personnage transgenre a été coupée de Gagné ou perdu. Au vu du récent positionnement de Disney, qui a décidé de réduire sa politique de diversité et d’inclusion et ses avertissements avant ses films les plus problématiques, le conservatisme, politique comme créatif, est de mise.

24,99€
33€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par