Critique

The Brutalist avec Adrien Brody : monument man

12 février 2025
Par Lisa Muratore
Adrien Brody dans “The Brutalist”, en salle le 12 février 2025.
Adrien Brody dans “The Brutalist”, en salle le 12 février 2025. ©Universal Pictures

Avec The Brutalist, Brady Corbet signe un film monument sur le poids de l’art et la désillusion du rêve américain à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Porté par un trio d’acteurs bluffant, le long-métrage est un chef-d’œuvre comme le 7e art en produit peu.

Considéré comme l’un des favoris dans la course aux Oscars, The Brutalist est apparu comme un concurrent redoutable tout au long de la saison des récompenses. Après un premier Lion d’argent à la Mostra de Venise en 2024 pour son réalisateur, la fresque américaine de Brady Corbet a su conquérir les critiques outre-Atlantique. Trois Golden Globes plus tard – dont celui du meilleur acteur dans un drame pour Adrien Brody –, le long-métrage débarque, ce 12 février, dans les salles obscures françaises.

Son nom ne devrait pas passer inaperçu sur les marquises des cinémas tant The Brutalist apparaît comme une véritable expérience artistique. Déjà en raison de sa longueur : 3h35 affichées au générique et un entracte de 15 minutes attendu entre les deux parties. C’est là tout le temps qu’il faut à Brady Corbet pour développer une œuvre-fleuve dans laquelle on suit László Tóth (Adrien Brody), un architecte hongrois de renom rescapé de la Shoah. On le découvre sur la côte est des États-Unis, à New York, porte d’entrée migratoire de l’après-Seconde Guerre mondiale. Toutefois, c’est à Philadelphie que László espère trouver son El Dorado.

Adrien Brody dans The Brutalist. ©A24

Là-bas, et alors que l’ère industrielle est sur le point de révolutionner tout un pays, l’architecte va faire la connaissance d’un mécène américain incarné par l’impeccable Guy Pearce. Passionné d’architecture, Harrison Lee Van Buren va alors confier à László un projet d’envergure sur les hauteurs de la ville pennsylvanienne. Une construction pharaonique dans laquelle László voit une chance de refaire sa vie.

La guerre partout

Pourtant, la guerre n’est jamais très loin. Elle se rappelle à lui sous la forme d’une addiction aux opiacés, de nombreuses tentatives pour faire venir sa femme (incarnée par Felicity Jones) encore coincée en Europe, mais aussi dans ce que l’architecte souhaite faire de cet immense institut. Ainsi, si le film fait le choix judicieux de ne jamais montrer l’horreur des camps – se plaçant ainsi comme une réponse au Pianiste (2002) dans lequel Adrien Brody incarnait déjà un rescapé de 1939-1945 en prêtant ses traits au pianiste polonais Władysław Szpilman –, les souvenirs sont plus que jamais présents chez László, porte-étendard du brutalisme des années 1950 outre-Atlantique.

Bande-annonce de The Brutalist.

En s’inscrivant dans ce courant architectural – qui valorise l’expression ainsi que les matériaux bruts avec une absence d’ornements, et qui donne son nom au film –, László montre que la guerre est allée jusqu’à investir son art ; un art finalement lié aux traumatismes des camps, et une création qu’il mettra plus de 30 ans à faire sortir de terre.

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Art contre pouvoir

Il en ressort un film d’une puissance dramatique folle, qui s’incarne dans les plans magistraux et architecturaux de Brady Corbet, mais aussi sur le visage d’Adrien Brody. Iconique « Pianiste », lauréat de l’Oscar du meilleur acteur en 2002 pour son interprétation dans le film de Roman Polanski, l’acteur délivre une performance époustouflante, qui montre parfaitement le poids du passé et les rêves d’avenir. Tantôt naïf, tantôt égocentrique, László est un personnage complexe, obsédé par son art.

Felicity Jones et Adrien Brody dans The Brutalist.©Universal Pictures

À l’image du brutalisme, l’artiste ne cède rien à la fantaisie et aux injonctions de Van Buren. Personnification du capitalisme à l’état pur, ce dernier est le nouveau fléau de László ; une nouvelle itération du pouvoir face à laquelle notre héros va devoir se (dé)battre.

Ainsi, plus qu’un film d’architecture qui interroge la notion de mécénat, The Brutalist est un véritable film de guerre : celle du passé, mais aussi celle qui se joue dans les années 1950 aux États-Unis. La relation ambivalente de Van Buren et de son architecte permet au long-métrage de placer le pouvoir de l’art en tant qu’objet de résilience face à la mégalomanie d’un homme.

Affiche de Guy Pearce pour The Brutalist.©Universal Pictures

D’un côté, le poids de l’intention artistique fait face à la volonté de laisser son empreinte ; la puissance du geste doit ainsi affronter la violence gratuite et désavouante. Des thématiques que Brady Corbet confronte avec subtilité, grâce à une écriture redoutable et sans jamais perdre son spectateur en termes de rythme.

Le réalisateur ne fait aucune concession dans son film. À l’image de son personnage principal, il déploie une véritable fresque sur plusieurs années, prenant son temps pour développer chaque personnage, poser sa caméra, créer une atmosphère grâce à la musique vibrante de Daniel Blumberg – qui offre d’ailleurs une Overture magnifique –, mais aussi pour confronter le spectateur à la brutalité d’un second acte.

Ouverture (Ship), de The Brutalist.

Il était une fois en Amérique

Le brutalisme artistique va, en effet, laisser place à la brutalité de la vie. C’est à ce moment-là que la désillusion opère. Après avoir échappé aux affres de la Seconde Guerre mondiale, voici que László et sa famille sont à nouveau confrontés au racisme ainsi qu’à la xénophobie. Les fondations du rêve américain tant espéré s’effondrent et laissent entrevoir un pays gangréné par la violence, le capitalisme et le mépris de classe.

Un mensonge qui donne à The Brutalist son aspect fantomatique, mais qui en fait surtout une œuvre particulièrement actuelle. En filmant le désenchantement de László dans les années 1950, Brady Corbet fait, en réalité, écho à la société américaine d’aujourd’hui, dans laquelle le rêve américain n’a plus sa place. Entre crise économique et rejet de son prochain sous l’ère trumpienne, le cinéaste dénonce ainsi un système libéral et brutal, dans lequel l’étranger est rejeté.

The Brutalist fait un parallèle avec le sort des immigrés aux États-Unis à travers l’histoire.©Focus Features

À travers une variété de thèmes aussi intimes qu’importants, il sera intéressant de voir comment le film résonne en Europe alors que l’on vient de commémorer les 80 ans de la libération des camps, mais aussi de voir s’il pourra remporter les honneurs à la prochaine cérémonie des Oscars, la première depuis l’investiture de Donald Trump en janvier 2025.

Bien que la polémique autour de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les dialogues en polonais puisse porter préjudice au film, The Brutalist n’en reste pas moins un chef-d’œuvre de cinéma. Porté par les talents de son trio d’acteurs au sommet de leur art, mais aussi la mise en scène aussi moderne qu’épurée de son réalisateur, le film est une fresque vertigineuse comme le 7e art en produit rarement. The Brutalist interroge l’histoire de l’Europe et des États-Unis, mais aussi l’histoire de l’art dans un conte rêveur et sordide, mais surtout capital. Un véritable monument, à découvrir le 12 février au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste