
Moitié de Her jusqu’à la fin du groupe en 2019, Victor Solf mène depuis une aventure solo. Après un premier album présenté il y a quatre ans, le trentenaire tourne une nouvelle page palpitante ce 24 janvier. Second album ou premier album en français – comme vous préférez –, Tout peut durer, hommage à la soul qu’il chérit depuis toujours, frappe pour son énergie pop et la sincérité de ses textes.
Il fait partie des artistes dont on suit l’évolution avec attention, car avec plus de 15 ans de carrière derrière lui, Victor Solf a eu plusieurs vies. D’abord, avec son groupe rennois créé au lycée, The Popopopops, puis l’aventure Her, lancée en 2015. Un projet cofondé avec son meilleur ami du lycée, Simon Carpentier, immédiatement salué par la critique, mais subitement arrêté par le décès du musicien de 27 ans, en 2017.
Victor Solf termine donc seul l’album commencé à deux, poursuit la tournée en 2018, avant de mettre un point final, au Zénith de Paris, le 2 février 2019. Il n’avait pas prévu de se lancer en solo, mais sa réinvention séduit. Elle est d’abord solaire et se nomme Still. There’s Hope (2021).
Après un premier album cathartique en anglais, le second, Tout peut durer, est sorti ce 24 janvier. Un opus qu’il mentionne à plusieurs reprises comme un « premier album » solo quand L’Éclaireur le rencontre, quelques jours plus tôt. Et à raison : à 34 ans, le Franco-Allemand, qui a surtout grandi avec des références anglo-saxonnes, chante pour la première fois en français. Entouré d’une nouvelle équipe de (nombreux) musiciens, il explore davantage encore la soul qui lui tient à cœur depuis des années et avait déjà convaincu les inconditionnels de Her. Mais différemment. Sourire aux lèvres, l’artiste pour qui la « liberté, l’authenticité et la sincérité » guident son travail, se raconte.
Chacun de vos nouveaux projets est marqué par des influences musicales assez différentes. Avez-vous grandi dans cet éclectisme ? Quel rôle avait la musique pour vos parents, puis pour vous ?
Mes parents écoutaient un peu de tout. Pour ma mère, c’était davantage de la musique classique, j’ai grandi avec des figures hyper intimidantes : Bach, Mozart, Debussy, Schubert… Mon père était plus tourné vers le rock progressif, il aimait beaucoup Pink Floyd et Frank Zappa. Ce grand éclectisme m’a permis d’être très curieux. Aujourd’hui, j’aime le jazz, la soul, le hip-hop, la pop, la musique française, la musique américaine, la musique japonaise. En funk, au Japon, il y a eu des titres incroyables dans les années 1970 et 1980.
« Musicalement, j’ai rapidement eu le déclic de faire un album de soul en français qui n’a pas encore été fait. »
Victor Solf
Sans être professionnels, mes parents jouaient un peu de musique : mon père prenait sa guitare et ma mère se mettait devant son piano. Voir cela m’a aidé à considérer que la musique pouvait être accessible. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir un professeur de blues en piano qui m’a vraiment détaché des partitions, qui m’a dit que je devais m’approprier mon piano. Il m’a appris des grandes règles d’improvisation et d’harmonie, sans partitions. Ça a été une révolution, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à aimer composer. Pourtant, le piano est un instrument qui m’intimide ; encore aujourd’hui, je ne me considère pas comme un pianiste. Pour moi, être un pianiste c’est quelque chose de très sérieux.
Alors que vous le pratiquez régulièrement ?
Tous les jours, pendant des heures, mais sans être passé par 15 années de conservatoire. Pour moi, un pianiste est quelqu’un de complet qui connaît vraiment son instrument, qui peut faire du classique, du jazz, du contemporain.
Avec Her, je ne me sentais pas du tout légitime pour jouer du piano. Le clavier et les synthétiseurs me semblaient beaucoup plus accessibles. Mais, en même temps, je sentais que j’arrivais vraiment au bout de cette formule, j’ai donc accepté le piano et j’ai retrouvé l’excitation, l’authenticité et la liberté que j’avais pu ressentir quand on a sorti Quite Like, ou même Blossom Roses.
On sent une rupture, ou du moins une nouvelle proposition musicale avec cet album. Vous avez un nouveau style (des cheveux longs !), une nouvelle identité visuelle… C’est essentiel pour écrire un nouveau chapitre ?
Je m’interroge beaucoup sur cela. Je pense que, dans ma vie d’artiste, il y a une part de destin. La disparition de Simon m’a forcé à changer, alors qu’à cette époque-là, je me serais bien vu faire plusieurs albums de la même manière avec lui. Il y avait un alignement des planètes, on avait trouvé à la fois notre public et notre style. Je pense avoir fait mon premier album solo pour me prouver que j’étais capable d’être artiste sans lui. J’avais ce besoin de changer et je remets le couvert avec celui-là.
J’ai pris un plaisir incroyable à le faire et j’ai envie de m’inscrire dans quelque chose de plus long parce que je trouve que c’est beau de construire quelque chose, d’avoir un catalogue, d’avoir un, deux, trois albums à jouer en concert.
La grande nouveauté, c’est que votre album est intégralement en français. Vous avez été aidé pour les textes, notamment par Vincha…
Quand je me suis lancé sur ce disque, j’ai été très intimidé par l’approche du français. Je me questionnais : “Est-ce qu’il me faut beaucoup de mots ?”, “Est-ce qu’il m’en faut peu ?” Je griffonnais des textes, mais ça ne donnait rien du tout. Je savais que je ne pouvais pas être parolier sur cet album, que je ne serai pas au niveau de ce que j’imaginais. Même avec Her, j’ai mis du temps à être capable d’écrire les paroles en anglais.
Vincha est un super parolier que j’ai rencontré quand je me suis fait une rupture du tendon d’Achille, que j’étais un peu déprimé et que je me suis concentré sur la musique. On a travaillé pendant quelques mois à distance et, en trois mois, on avait 15 titres. On a eu une vraie connexion. Il connaissait Her, il m’avait aussi vu en solo à la Cigale, à la Maroquinerie, et ça nous a fait gagner beaucoup de temps, parce qu’il voyait ce que j’aimais.
Concernant la manière dont je voulais chanter en français, tout s’est fait avec Barbara Pravi, parce qu’on est très amis. Sur Figur, on a commencé le travail en studio par une discussion. Je lui ai parlé de l’absence de mon père et on a décidé d’écrire sur ce sujet. J’ai marché un peu dans Paris, j’étais en larmes, à la fois parce que je trouvais incroyable que j’ose parler de lui et parce que j’ai compris que je tenais l’album, en termes de paroles. C’était de l’ultra-intime, de l’ultravulnérabilité.

Une énergie hyperpositive émane du disque, notamment grâce aux mélodies. On s’imagine déjà vivre Que le cœur et Plus jamais rentrer en live. Les textes posés dessus sont beaucoup plus vulnérables. Était-ce une manière de contrebalancer l’introspection, d’éviter la mélancolie ?
J’ai beaucoup de mal avec l’obscurité ; en tout cas, je ne suis pas ce genre d’artiste. Pourtant, je suis un grand fan de Thom Yorke. J’ai lu une interview de lui qui m’a fait méditer sur ce sujet. Il disait qu’en partageant son obscurité la plus sombre, on apporte forcément de la lumière, parce que quelqu’un se sentira moins seul.
S’il y a bien un groupe qui a fait cet effet à tellement de gens, c’est Radiohead. Ça me fait réfléchir. Malgré tout, je crois que je n’y arrive pas encore aujourd’hui. Je le ferai peut-être à l’avenir. Dans l’album, quand je parle de sujets sombres, comme l’absence du père et le deuil, j’essaie de chercher la douceur, la bienveillance, la lumière.
Le single Que le cœur et son clip lèvent le voile sur la manière dont vous avez enregistré l’album. On imagine une liesse collective, l’omniprésence de la soul…
Musicalement, j’ai rapidement eu le déclic de faire un album de soul en français qui n’a pas encore été fait. Je ne voulais pas tomber dans les clichés de la soul, un truc trop revival avec des gros sabots. Je voulais vraiment mettre de la subtilité. Il fallait donc m’ouvrir à la new soul, à tous les Frank Ocean et James Blake, même au trip hop – il y a des choses très soul chez Massive Attack.
J’ai d’abord avancé seul, en faisant les arrangements, en écrivant les batteries, les basses, les pianos, les cuivres, tous les chœurs. Ensuite, mon label Glorybox m’a aidé à monter une équipe de dix musiciens au total, dont trois choristes, trois personnes aux cuivres, l’équipe basse-batterie-piano, la colonne vertébrale qui sera sur scène avec moi, et un contrebassiste.
Le meilleur de toi, écrit en hommage à Simon Carpentier, figure en dernière position de l’album. C’est vraiment bouleversant de finir l’écoute du disque ainsi, surtout quand on a suivi et vu Her sur scène. Pourquoi avoir choisi de terminer le disque avec ce titre ?
Le meilleur de toi devait être le premier ou le dernier titre du disque. C’est finalement le dernier parce que c’était important de finir par ça, d’écrire quelque chose sur lui et sur le rapport à l’absence et aux différentes étapes du deuil. Tout le premier couplet parle de la stupéfaction du deuil et de la culpabilité. Dans le deuxième couplet, des années sont passées. Je suis papa et je suis beaucoup plus apaisé.
Je verrai si je ressens encore l’envie, le besoin de parler de lui. Mais aujourd’hui, je sais que même dans la sphère intime, il sera toujours là. J’avais un stress avec cela, je craignais de ne pas être à la hauteur, de ne pas faire suffisamment, de faire des maladresses, d’être jugé, parce que je porte son héritage, sa mémoire. Aujourd’hui, je crois qu’une page se tourne.
Quel est le titre de l’album qui vous ressemble le plus en ce moment ?
Ce qui compte est un peu l’un de mes titres chouchous. J’essaie de transmettre des valeurs : s’éloigner un peu du consumérisme ou du matérialisme, se rappeler qu’il y a des choses magnifiques qui ne s’achètent pas, comme la vraie vie, l’amour, les câlins, la proximité avec les gens.
À 34 ans, vous avez déjà eu deux groupes fondateurs pour votre carrière solo, et désormais cette nouvelle aventure et ces deux albums. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?
C’est passé très vite. C’est ce que tout le monde dirait ! [Rires] Je me considère comme extrêmement chanceux et privilégié, parce que je peux créer. Je crée tous les jours. Ça apporte tellement de sens à ma vie. En plus, je vois que certains titres résonnent chez d’autres. Que le cœur est un titre que j’ai écrit pour essayer de faire du bien aux autres.
L’album s’appelle Tout peut durer. Quels sont vos conseils pour que les choses durent dans la vie ?
Tout dépend de qui ou de quoi on parle. Si on parle d’amour, je trouve que c’est bien de prendre du recul et de ne pas se laisser guider par le court-terme. Il y a toujours des hauts et des bas dans les relations. C’est dommage de renoncer à une relation parce qu’on a eu une mauvaise semaine ou un mauvais mois. C’est dans les difficultés qu’on teste l’amour et la capacité du couple à résister. Après, il faut toujours faire attention à l’ego et à ce qu’on projette sur l’autre.
Pour les lecteurs et lectrices qui viendront vous voir sur scène, pouvez-vous “teaser” ce qui les attend ?
La tournée commence le 28 février à Brest. On sort de plusieurs jours de répétition et là, il commence à y avoir une osmose. On pourrait jouer les yeux bandés. On a réarrangé tous les titres pour le public. C’est dans la pure tradition de ce que j’ai fait avec Her : de la musique vivante, de la musique où il y a un contact avec le public. Je vais vraiment me concentrer sur les voix. Je pense que je vais essayer de faire chanter le public aussi. Jacob Collier est une de mes influences pour cela.
Avez-vous eu un ou plusieurs coups de cœur culturels ces derniers mois ?
En danse, je suis allé voir à Brest le nouveau spectacle de (LA)HORDE que j’ai trouvé absolument magnifique et plein d’émotions. Il y a un tableau avec deux frères qui se retrouvent. Ça m’a fait penser à Simon, mais aussi à mes enfants. En musique, comme pas mal de gens, j’ai flashé sur Mk.gee que j’écoute quasiment quotidiennement. Il fait tellement de bien dans sa radicalité, dans sa liberté. Je n’avais pas ressenti cela depuis longtemps.
J’ai aussi une admiration folle pour Adrianne Lenker de Big Thief, que j’aime avec son groupe et en solo. Je l’écoute comme un élève. Les textes, l’équilibre entre la mélodie de voix, les accords… Je trouve cela fascinant.
Quelles sont vos attentes culturelles pour 2025 ?
Il est déjà sorti, mais le dernier livre d’Haruki Murakami. Je suis un gros fan et je suis un peu déstabilisé parce qu’il reprend un thème et une métaphore qu’il a déjà utilisés dans un autre livre. En musique, j’attends avec impatience l’album de Yoa. Et, comme tout le monde… le retour de Frank Ocean. J’ai aussi hâte de voir la performance de Kendrick Lamar au Superbowl.