Avec Batman: Caped Crusader, l’artiste souhaite aller encore plus loin dans son approche du héros DC, après la série animée de 1992, déjà considérée par beaucoup comme l’une des versions les plus cultes de Batman.
Après de nombreux rebondissements, Batman: Caped Crusader débarque enfin sur les écrans des fans impatients de découvrir cette nouvelle création de Bruce Timm. À lui seul, le nom de l’artiste avait provoqué l’émoi des spectateurs à l’annonce du projet, en 2021, lui garantissant un succès immédiat. La raison de cet engouement est assez simple à expliquer : en 1992, l’artiste et son équipe d’alors ont créé la meilleure version animée de Batman.
Certains diraient même la meilleure version, tout court. Et ce n’est pas juste une vue de l’esprit de la part de grands enfants nostalgiques de leur jeunesse. Batman, la série animée (aussi connue sous l’abréviation Batman T.A.S. en VO) est tout simplement culte, car elle est, objectivement, excellente.
La touche Timm
« Je pense que ce qui a fait le succès initial de la série et qui a contribué également à sa durabilité, c’est le style graphique, estime Xavier Fournier, co-auteur d’un guide encyclopédique de Gotham City à paraître chez Monolith. Il évoque une époque un peu rétro, avec un côté baroque, que ce soit dans les tenues des personnages ou l’architecture de la ville. » Selon le spécialiste, l’autre singularité de cette production est l’apparence de Batman.
« Bruce Timm lui a donné un côté beaucoup plus carré, qui rappelle le dessin de Jack Kirby », explique-t-il. Or, jusqu’à présent, le héros n’avait jamais été représenté avec une telle influence. « Tout cela a permis à son œuvre d’échapper aux comparaisons, tout en adoptant un style intemporel et donc indémodable, susceptible de plaire aux enfants comme aux adultes », conclut l’auteur.
Cette patte graphique a su captiver la rétine de millions de jeunes téléspectateurs qui ont tout de suite adhéré à un style pourtant radicalement différent de celui des films de Burton, qui ont déclenché la Batmania quelques années auparavant, et tout aussi distinct de ceux choisis pour les séries animées suivantes.
D’ailleurs, comme le précise Xavier Fournier : « Quand on les regarde, on a l’impression que les studios avaient beaucoup plus envie de faire des choses qui correspondaient à la mode du moment, en lorgnant, par exemple, sur les mangas. Paradoxalement, ces séries plus récentes sont déjà démodées. »
Voilà notamment pourquoi la série de 1992 est restée dans les esprits, tout en permettant à Bruce Timm d’intégrer le panthéon des artistes ayant œuvré sur l’Homme chauve-souris. Pourtant, il serait faux de réduire ce show au coup de crayon de son cocréateur. Si Batman T.A.S. a marqué l’histoire du personnage, c’est également parce qu’elle lui a offert de merveilleuses aventures servies par d’excellents scénarios.
Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le dessin animé
En effet, Bruce Timm n’était pas le seul à l’œuvre. Épaulé par Eric Radomski, il a rassemblé une équipe de scénaristes chevronnés des studios d’animation Warner, au premier rang desquels Alan Burnett et Paul Dini, déjà remarqué pour son travail sur les Tiny Toons. Celui-ci a prouvé toute l’étendue de son talent en changeant de registre pour la série Batman, où ses apports ont eu un impact non négligeable sur la qualité de l’œuvre animée, mais aussi sur l’histoire canonique de certains personnages, notamment ceux formant la galerie de vilains qui font tout le sel des aventures du héros.
L’exemple le plus célèbre est bien entendu celui d’Harley Quinn, totalement inventée pour la série animée, et désormais personnage phare de l’univers DC, que ce soit dans les comic-books ou au cinéma. Loin d’être un simple faire-valoir féminin, la truculente compagne du Joker s’est taillée une place à part dans le cœur du public, en offrant un personnage complexe, embourbé dans une relation toxique capable d’émouvoir les jeunes téléspectateurs tout en parlant à un public adulte.
Mais d’autres méchants ont eu le droit à un traitement tout aussi subtil de la part des scénaristes, qui leur ont donné une profondeur telle que ces monstres de foire hauts en couleur sont devenus des individus attachants. C’est le cas de Mr. Freeze et de son amour au destin si tragique, ou encore d’Harvey Dent, que l’on voit passer au fil des épisodes du rang de jeune procureur populaire, ami avec Bruce Wayne, à celui de psychopathe à moitié défiguré.
Leurs histoires – comme celles de tant d’autres – sont si bien racontées par le dessin animé qu’elles renforcent le ridicule des itérations présentes dans les films de Joel Schumacher. « En quelques minutes, la série animée a fait dix fois mieux que des longs-métrages qui ont coûté des millions de dollars », constate ainsi Benjamin Schrepf, chef monteur chez Mikros Animation et grand fan d’une production sur laquelle il ne tarit pas d’éloges. Et ces dernières sont loin d’être volées, tant l’anime se démarque de la concurrence.
Bien plus qu’un simple produit dérivé
En effet, lorsque Warner lance cette production censée surfer sur le succès des films de Burton, le monde des dessins animés est déjà bourré d’adaptations plus ou moins mauvaises, destinées à faciliter la vente de figurines et autres jouets aux enfants. Batman TAS aurait pu se limiter à cela.
Mais ses créateurs avaient d’autres ambitions et ont réussi à les faire transparaître dans leur émission, et ce malgré les nombreuses contraintes imposées par les studios concernant les contenus pour enfants.
Résultat, « chaque épisode est presque un petit film à part entière, qui raconte vraiment quelque chose, avec des enjeux et une fin superbe, apprécie Benjamin. C’est remarquable de faire ça sur un format de 22 minutes, surtout en prenant le temps de raconter des choses profondes et même d’introduire des hommages à ce qui a pu être fait avant avec ce héros. »
Un tour de force qui permet à l’équipe créatrice de présenter en seulement 109 épisodes toutes les facettes d’un personnage qui a déjà plus d’un demi-siècle d’existence au moment de la diffusion de l’émission.
« Même le doublage est de grande qualité, en anglais comme en français, et apporte véritablement quelque chose aux personnages », poursuit le professionnel de l’animation, admiratif du travail de ses aînés. La tessiture de Kevin Conroy a, en effet, tellement marqué le public qu’il est resté la doublure voix iconique de Bruce Wayne/Batman, dans les adaptations animées ou vidéoludiques, jusqu’à sa mort en 2022.
Et que dire du célèbre rire du Joker inventé par Mark Hamill ? Tous ces éléments ont contribué à faire de la série un produit véritablement à part pour son époque et même encore aujourd’hui. De là à dire qu’il s’agit de la meilleure version de Batman, il n’y a qu’un pas.
Pourtant, Xavier Fournier se montre réticent au moment de le franchir : « C’est sans aucun doute sa meilleure version animée, nuance le spécialiste des super-héros. Mais Batman est un personnage tellement polymorphe qu’il est difficile de dire quelle adaptation est la meilleure, car celui incarné par Adam West dans la série des années 1960 n’a rien à voir avec celui de Nolan ou du film, plus récent, The Batman. »
La version de 1992 reste en tout cas une référence mythique, à l’aune de laquelle sera jugé Caped Crusader. Mais cette nouvelle production ne devrait pas décevoir les fans de la première heure, car, même si Paul Dini n’est plus de la partie, elle peut compter sur une solide équipe de scénaristes comme Greg Rucka ou Ed Brubaker qui sauront offrir à Batman des aventures dignes d’être sublimées par le trait de Bruce Timm.