
Après deux EP et un prix Joséphine en 2023, Tuerie dévoile Les amants terribles, un premier album réussi, profond et dense qui témoigne de la virtuosité de l’artiste.
En 2023, Tuerie a remporté le prix Joséphine, concours récompensant les nouveaux talents de la scène musicale. Grâce à Papillon monarque, son deuxième EP, le rappeur s’était imposé, dévoilant un univers foisonnant mêlant hip-hop, jazz et gospel. Deux ans plus tard, l’artiste polymorphe est de retour avec son premier album, baptisé Les amants terribles. Au fil des 14 titres qui le composent, Tuerie développe ses réflexions sur les relations humaines, le couple, la sexualité ou encore la parentalité.
Des textes aussi riches que personnels empruntant autant au rap qu’à la soul, qui démontrent toute la générosité de Tuerie. Si le public avait déjà pu plonger dans son univers musical foisonnant grâce à ses deux premiers EP (Bleu gospel et Papillon monarque), Les amants terribles confirme le talent d’auteur-compositeur de l’artiste.
Dès les premières notes du titre éponyme et introductif, le rappeur montre qu’il ne fera aucune concession. Les amants terribles donne le ton d’un opus soul et RnB qui n’hésite pas à puiser du côté des chorales gospels ou à proposer de véritables envolées mélodiques et instrumentales. Grâce à cet ensemble, il ressort une puissance immédiate dans laquelle on découvre toute la virtuosité de l’artiste.
De la musique électronique sur Pièce maîtresse à l’hommage à peine déguisé au hip-hop américain sur Boulbi State of Mind, en passant par la ballade pop & folk Carton – dédiée à son fils –, Tuerie livre un album particulièrement dense. Le rappeur, qui a commencé dans un groupe de rock avant de rejoindre l’univers des battles, offre ainsi une démonstration musicale diversifiée pour développer son propos sur les relations humaines et amoureuses.
La force des histoires
Un fil conducteur qui permet à l’artiste d’explorer les mille et une facettes de sa personnalité et de son groove, tout en proposant une structure narrative solide. La force de l’album réside avant tout dans son storytelling. Tuerie parvient tout au long des 14 morceaux de son album à implanter des images fortes dans nos esprits, entre légèreté et gravité. S’il réussit ce pari grâce aux titres Boulbi State of Mind et Troll, c’est avec Bruno que l’artiste frappe le plus fort.
Ce titre catalyse toute l’intelligence d’écriture de Tuerie qui, malgré une fantaisie dans le rythme, raconte avec profondeur les violences sexuelles faites aux femmes. En utilisant le slam, le chanteur déploie une narration aussi passionnante que glaçante autour de « ce sacré Bruno ». Un exploit bluffant qui fonde l’un des meilleurs titres de l’album.
Tout est question de contraste
Avec ce morceau, Tuerie n’hésite pas à se frotter aux sujets les plus graves et profonds ; un choix thématique qui contraste avec la voix aigüe si caractéristique de l’artiste. Ceci étant dit, Les amants terribles est construit autour d’une dichotomie constante ; une hybridité musicale qui trouve sa source dans la complexité de son auteur.
Ainsi, le timbre perçant de l’artiste se mélange avec brio au fracas de punchlines rap bien senties sur Sorcière, tandis que le hip-hop US côtoie le jazz sur l’amusant titre Sauve-moi. D’ailleurs, c’est quand Tuerie mélange les genres et s’autorise un pas de côté qu’il surprend le plus. En outre, le titre Kobe, imaginé comme un interlude dédié au joueur de basket, dans lequel on entend résonner une trompette jazzy étonne autant que Flop, dans lequel la guitare s’invite aux côtés de sonorités rap et de beats entraînants.
Si Tuerie propose une introspection, Les amants terribles n’en reste pas moins particulièrement rythmé. Pièce maîtresse propose ainsi un mouvement plus sensuel, lancinant et lumineux porté par une voix féminine rappelant celle de Sade Adu. Sur Boulbi State of Mind, le chanteur gonfle les poumons dans plusieurs envolées lyriques, tandis que sur Lundi, sa verve efficace montre qu’il n’a rien à envier aux autres rappeurs.
Grâce aux séquences rap et à certains textes acérés, Tuerie dévoile sa part d’ombre. Un univers profond dans lequel il déploie de réelles réflexions sur l’amour, le sexe ou encore son rôle de père. Si cet aspect contraste avec la direction artistique « rose bonbon » de l’album, il montre surtout que Tuerie est un artiste complet, complexe et inclassable.
Avec Les amants terribles, il poursuit son exploration des relations humaines tout en déployant un univers multiple et puissant qui repose sur une force de narration inédite. Entre ombre et lumière, entre angoisses (on pense notamment à The Boring Song) et virtuosité, ce premier album s’inscrit parfaitement dans la continuité des deux premiers EP de Tuerie. Surtout, il apparaît comme l’affirmation d’un artiste sans arrêt en quête de lui-même.