Et si on entamait un tour d’Europe littéraire pour assortir vos lectures avec vos destinations de vacances ?
| Pour une virée en Espagne : Le Temps des cerises, de Montserrat Roig
Un court essai paru en 1993. Et puis plus rien. Voilà qui est bien maigre pour une écrivaine considérée de l’autre côté des Pyrénées, en Catalogne, comme une icône parce qu’elle fut la pionnière d’une littérature féministe engagée au pays du machisme roi. La France d’hier n’était pas prête pour Montserrat Roig, mais celle d’aujourd’hui lui tend les bras. Plus de 30 ans après sa mort, La Croisée lui offre une glorieuse revanche avec la publication du Temps des cerises, son roman phare, paru en 1977.
Natàlia Miralpeix avait quitté une Barcelone muselée, écrasée par une chappe de plomb. Lorsqu’elle retourne s’installer dans sa ville natale après 12 ans à Paris et à Londres, elle sent que quelque chose a changé. Au printemps 1974, aux dernières lueurs du franquisme, le régime s’essouffle et a desserré son étreinte. Les jeunes générations pensent à l’avenir, les aînés, eux, pansent leurs blessures après la dictature.
Sa famille, hagarde, morcelée, est le symbole de cette fracture et de cette nouvelle histoire espagnole qu’il reste à écrire. Dans une ville bouillonnante, scène grandiose d’une renaissance politique et artistique, d’une révolution sexuelle qui va redéfinir la place du féminin, Montserrat Roig capture un instantané, celui d’une société à l’aube d’un grand bouleversement. Un roman qui résonne puissamment avec le présent.
| Pour une escapade italienne : Les Jeunes Fauves, de Davide Longo
Il y a d’abord eu L’Affaire Bramard, entrée en matière explosive racontant la quête effrénée, à la lisière de la justice et de la vengeance, d’un jeune commissaire lancé sur les traces d’un redoutable tueur en série qui entaille le dos de ses victimes avec d’étranges dessins. Un affrontement digne des plus grands thrillers entre un génie du mal surnommé Automnal et un prodige de la police endeuillé à jamais. Puis l’œuvre de Davide Longo a encore pris de l’épaisseur avec un deuxième roman plus politique, plus vénéneux, qui nous invite à replonger dans les heures les plus sombres de l’histoire italienne.
Dans Les Jeunes Fauves, le commissaire Arcadipane fait à nouveau appel à Corso Bramard. Des ossements, une douzaine de crânes exactement, ont été retrouvés au fond d’un chantier ferroviaire de la banlieue de Turin. Mais, avant même d’avoir pu commencer l’enquête, il a été relevé de l’affaire, transmise à une équipe spéciale responsable des crimes liés à la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il a retrouvé sur les lieux un bouton de jean, preuve irréfutable que la chronologie ne colle pas. Quelqu’un essaie d’étouffer les véritables raisons de ce charnier et nos deux acolytes veulent découvrir la vérité. Une plongée en eaux trouble dans les années de plomb italiennes.
| Pour un périple grec : La Traversée du temps IV – La Lumière du bonheur, d’Éric-Emmanuel Schmitt
Il y a trois ans, lorsqu’il inaugurait sa Traversée du temps, nombreux sont ceux qui avaient pris Éric-Emmanuel Schmitt pour un fou ou, pire, un insolent. Huit tomes, des milliers de pages, un récit qui s’étale sur des millénaires et parcourt plusieurs civilisations avec une ambition démesurée : raconter l’histoire de l’humanité. N’était-ce pas là un pari insensé ? À mi-parcours, les doutes se sont envolés et la méfiance a laissé place à l’admiration face à un des plus grands conteurs de sa génération.
Après la Mésopotamie et l’Égypte ancienne, Noam, son héros sans âge, poursuit son voyage dans les couloirs du temps et découvre la Grèce Antique, ses croyances et ses doutes philosophiques, son amour pour l’art et la politique. Une plongée érudite et joyeuse aux sources de notre civilisation.
| Pour une aventure portugaise : L’Homme de Constantinople et Un millionnaire à Lisbonne JR Dos Santos
Le Dan Brown portugais, voilà comment la presse et le milieu littéraire surnomment J. R. Dos Santos depuis son premier coup d’éclat avec La Formule de Dieu (2012). Un comparatif élogieux pour vanter sa plume haletante et ses impressionnants succès de librairies – il cumule plusieurs millions d’exemplaires vendus dans le monde –, mais qui s’accompagne également d’une petite pique, un parallèle moqueur avec les frasques sulfureuses de son homologue américain.
Le présentateur vedette du JT portugais s’est fait avec la série Tomas Noronha une spécialité d’une littérature controversée, à mi-chemin entre le thriller scientifique et le manifeste religieux et ésotérique. Néanmoins, il existe un pan de l’œuvre de JR Dos Santos beaucoup moins sujet à la polémique et bien plus abouti. Sa littérature historique, en plus d’être un condensé d’aventure, donne un éclairage différent et novateur sur certaines grandes époques et figures de l’histoire.
L’Homme de Constantinople et Un millionnaire à Lisbonne est un diptyque romanesque passionnant qui nous emmenait sur les traces de Calouste Gulbenkian, survivant du génocide arménien devenu l’homme le plus riche du monde et le premier magnat de l’industrie pétrolière naissante. Au-delà du businessman et du millionnaire, c’est au philanthrope et au collectionneur d’art qu’il rend hommage, celui qui, au moment de fuir la France de Vichy, décide de s’installer à Lisbonne pour faire don de sa collection au Portugal.
La Fondation Gulbenkian est aujourd’hui la plus riche dans son genre en dehors des États-Unis et rassemble entre autres des tableaux de Rubens, Degas, Monet, Turner, des sculptures égyptiennes ou encore de précieux vases Ming. Elle symbolise surtout la figure d’un homme à part qui a gravi une à une toutes les marches vers le pouvoir pour répondre à une simple question : « Qu’est-ce que la beauté ? »
| Pour un séjour croate : Scènes villageoises sans cochon, de Zeljka Horvat čeč
Une autofiction à hauteur d’enfant bouleversante, dans laquelle l’autrice et poétesse raconte, entre naïveté et humour, sa vie d’enfant malade durant la Guerre de Croatie (1991-1995), un conflit engagé par les Serbes contre l’indépendance du pays.
Le dysfonctionnement de l’institution familiale, les railleries de ses camarades d’école à propos de son « défaut dans la tête », les tensions politiques et religieuses : on est emporté par cette guerre des boutons dessinée au cœur des Balkans. Et la langue, sublimement travaillée, oppose à la bêtise et au rationalisme obtus des adultes le franc-parler destructeur d’une jeune fille. Comme pour signifier que le monde se porterait bien mieux s’il était aux mains des enfants.