Alors qu’en librairie et à l’écran le polar semble se porter pour le mieux, plongeons aux origines du polar littéraire.
Comme pour beaucoup de courants littéraires, il n’est pas simple de déterminer l’origine exacte d’un genre. Quel est le premier roman policier ? Est-ce le fascinant Emma de Jane Austen paru à Londres en 1815 ? Faut-il aller le chercher du côté des chroniques judiciaires du Juge Ti au XVIIIᵉ siècle ? Ou plus loin encore dans le conte médiéval des Trois Pommes dans les Mille et une Nuits, souvent considéré comme le premier « whodunit » jamais publié ? Néanmoins, sans se lancer dans une frustrante quête sans fin, on remarque que beaucoup de choses se codifient et se cristallisent au début du XIXᵉ siècle.
Un genre qui s’épanouit avec l’essor du roman et de la presse
Avant même qu’Edgar Allan Poe ne crée son personnage de détective fantasque, Auguste Dupin, dans les années 1840, de nombreux auteurs s’essaient aux récits de crime et d’enquête. Il faut dire que l’époque s’y prête. Avec les progrès de l’alphabétisation et l’essor du marché de l’imprimerie et de l’édition, l’Europe et l’Amérique du Nord se couvrent de journaux populaires et bon marché. Pour en remplir les colonnes, feuilletons, légendes urbaines et faits divers font bon ménage et passionnent les foules.
En l’espace d’une dizaine d’années, plusieurs récits qui fonderont les archétypes du style policier émergent un peu partout en Europe. E. T. A. Hoffmann publie Mademoiselle de Scudéry en 1819, qui décrit une enquête mystérieuse autour d’épouvantables attentats, sur fond de vol de diamants dans la haute société parisienne.
En 1827, c’est le poète Thomas Skinner Surr qui publie Richmond, or Stories in the Life of a Bow Street Officer, le premier recueil de nouvelles policières. Et au Danemark, c’est le roman Præsten i Vejlbye qui s’impose en 1829 comme un ancêtre du true crime en réécrivant un fait divers sordide qui avait passionné la société danoise deux siècles plus tôt.
Balzac et les sociétés secrètes
En France, le genre émerge bien plus tard, à partir des années 1860, quand le romancier Émile Gaboriau crée pour son roman L’Affaire Lerouge le premier personnage de policier apparaissant dans plusieurs romans et travaillant à élucider des mystères : l’agent Lecoq.
Mais en remontant un peu plus loin, on s’aperçoit qu’un de nos grands hommes de lettres était déjà proche d’inventer le roman policier sans en avoir l’air. Un certain Honoré de Balzac a en effet livré quelques récits qui pourraient se voir sans rougir accoler le qualificatif de polar.
On peut ainsi citer ses romans mettant en scène le personnage de Corentin, créé en 1829. Ce personnage louche, tantôt policier, tantôt agent secret, travaille avec les forces de l’ordre dans les bas-fonds de Paris pour déjouer des crimes et élucider de sombres affaires. Mis en avant dans quatre « romans de mœurs » (Les Chouans, Une ténébreuse affaire, Splendeurs et misères des courtisanes et Les Petits Bourgeois), Corentin préfigure en quelque sorte le détective dur à cuire évoluant dans les bas-fonds qui feront la gloire du roman noir un siècle plus tard.
Moins connu, on peut également citer le cycle romanesque de l’Histoire des Treize, en particulier son premier tome, Ferragus, paru en 1833. Dans ce protoroman d’espionnage teinté de mystère et flirtant avec le fantastique, on suit un jeune officier se retrouvant dans un engrenage infernal et devant faire toute la lumière sur l’existence d’une société secrète multipliant les crimes dans Paris.
Des thèmes voisins étaient par ailleurs abordés dans le très obscur et oublié roman L’Espion de police d’Étienne Léon de Lamothe-Langon, édité en 1826.
Le polar se codifie dans les années 1850
Tous ces premiers récits, qui concordent par ailleurs avec le déploiement des forces de police modernes et l’essor du métier de détective (il n’y a pas de hasard !), finissent par donner lieu à un ensemble de nouvelles et de romans plus structurés et codifiés. Ce genre est nommé selon les plumes roman de détective, roman noir ou histoire criminelle. Chez les Anglo-saxons, le terme de crime stories apparaît rapidement pour chapeauter l’ensemble. En France, il faudra attendre le début du XXᵉ siècle pour que le terme « roman policier » s’impose et les années 1960 pour voir émerger le terme « polar ».
En attendant, c’est bien dans les années 1850 et surtout 1860 que vont apparaître dans de nombreux romans tous les codes du genre, comme le souligne Jean-Claude Vareille dans un célèbre article sur l’histoire de ce genre littéraire : la notion de mystère à résoudre, la figure de l’enquêteur remarquable, les énigmes à démêler et la confrontation entre un esprit brillant, mais pervers (le criminel), et son adversaire (le détective). Des traits que l’on va voir également émerger dans la littérature écrite par des femmes, souvent oubliée de l’histoire de la littérature policière. On peut se souvenir, par exemple du roman Le Secret de Lady Audley, publié par la romancière britannique Mary Elizabeth Braddon en 1861.
En somme, quand émergent les premières grandes figures d’enquêteurs et de détectives au tournant du XXᵉ siècle, les Sherlock Holmes, Rouletabille et autres Arsène Lupin, tous les archétypes sont déjà bien en place. Et ils ne demandent plus qu’à devenir un des genres les plus populaires de la littérature mondiale.