Chaque mois, L’Éclaireur lit entre les lignes afin de percer la carapace d’un auteur ou d’une autrice. Aujourd’hui, l’écrivaine Cécile Coulon se prête à l’exercice de l’entretien décalé, pour parler de littérature et d’intimité.
Cette année, on vous retrouve en janvier. Aviez-vous besoin d’un peu plus de calme ?
Après deux rentrées littéraires de suite, je sentais que je n’avais plus les épaules. Les centaines de rencontres, l’enjeu des prix… Il y a une charge mentale immense qui dépasse la simple question du livre. Surtout, j’ai l’impression que le lectorat de janvier n’est pas le même que celui de la rentrée d’août. Ou bien peut-être que c’est le même, mais qu’il n’attend pas les mêmes choses. On peut se permettre de prendre plus de risques, d’être moins narratif, d’essayer de bousculer les formes romanesques.
Comment s’est déroulée l’écriture de ce nouveau roman ?
De façon très intense ! En parallèle de l’écriture du roman, je suivais un exercice de course théorisé par Murakami dans Autoportrait d’un artiste en coureur de fond. Je courais entre 10 et 15 kilomètres par jour pour voir la manière dont cela influençait mon écriture. Tout ça en plein été, sous une chaleur écrasante, dans le sud de la France. Vraiment que des bonnes décisions [rires] ! Après, je pense que si l’on prend ces décisions, c’est pour aller chercher une écriture différente. De la même manière que j’ai écrit ce livre dans l’urgence, car je savais qu’une fois l’été terminé, je ne pourrais plus y retourner.
En plus d’être écrivaine, vous êtes donc coureuse de fond. Comment ces deux pans de votre vie coexistent-ils ?
La course à pied est un tamis pour l’écriture et la pensée de manière générale. En courant, je fais le tri, je pense à ce que j’écris et à ce que je vais écrire. Je pense à mes problèmes de narration, à mes problèmes de style. L’écriture traverse mon corps et il n’en reste que ce qui fonctionne. J’écris autant lorsque je suis à ma table d’écriture que lorsque je cours.
L’écriture s’améliore-t-elle au fil des livres ?
Chaque roman est un nouveau départ, mais ce n’est pas un gros mot de dire que l’écriture s’améliore. Heureusement qu’elle s’aiguise, qu’on se débarrasse de toutes les béquilles. Je crois surtout qu’on va plus rapidement à l’essentiel en se passant de ce qui jusqu’ici servait de marchepied.
La Langue des choses cachées, qui donne son nom au titre, quelle est-elle ?
C’est la langue de ceux qui ne parlent pas, qui peuvent parler, mais qui ne le font pas et qui s’exercent à écouter, regarder, débusquer, démasquer. C’est comprendre ce qu’on ne nous dit pas, ce qui est secret. Elle relève plus de l’esprit que du langage. D’une certaine façon, ça pose aussi la question de ce qu’est l’écriture de fiction. Quand on déroule et retravaille la langue qui sert à fabriquer nos interactions sociales et notre rapport au monde.
Vous écrivez des romans d’atmosphère avec des décors marquants, des paysages qui fascinent et angoissent. Les lieux sont-ils les points de départ de votre écriture ?
Toujours. J’ai besoin d’avoir un endroit qui soit assez fort pour que l’on puisse y mettre des personnages. Pour l’instant, sans cette idée-là, je ne peux pas commencer de roman. J’aime particulièrement les territoires vastes, vides, où règne le dénuement, où les animaux et les paysages sont les maîtres. Ça rend les rapports humains plus directs, mais tellement plus difficiles.
Dans ce nouveau roman, il n’y a aucun nom, aucune date, aucune indication géographique, pourquoi ?
En commençant ce livre, je me suis dit : “Tu enlèves tout.” J’avais en moi cette peur que ce soit mon dernier livre, que les lecteurs se lassent de mon univers, trouvent la recette redondante. J’ai voulu prendre un risque. Toutes ces indications ne sont finalement que des outils qui aident à la visualisation du lecteur, ce ne sont pas des impératifs narratifs. L’univers du conte que j’aime tant se passe de tout cela. Il a besoin d’actes plus que de définitions.
La noirceur humaine, les violences faites aux femmes, le poids de la transmission, la ruralité et son folklore… Avez-vous conscience que votre œuvre est traversée par des motifs récurrents ?
Ce sont des obsessions qui ne me quittent jamais. J’ai essayé d’imaginer une histoire dans une grande ville, de partir à l’étranger pour chercher une inspiration différente, mais rien n’y fait. Et puis un jour, je me suis rendu compte que les auteurs que je préfère, Marie-Hélène Lafon, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, ne cessent de remettre le même milieu sur le métier.
Avez-vous un rituel d’écriture ?
Pas vraiment. La seule condition, c’est de pouvoir pratiquer une activité physique avant ou après l’écriture. De ne jamais être empêchée dans mon corps.
Quel est le meilleur conseil que l’on vous ait donné ?
Écrire, c’est d’abord lire. Lire les œuvres des autres, mais aussi lire tes propres œuvres à haute voix.
Quel a été votre premier choc littéraire ?
Quand ma mère me lisait Le Prince de Motordu.
Quel est le livre que vous auriez aimé écrire ?
L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar. C’est l’œuvre ultime, la plus grande.
Qui préférez-vous entre Marguerite Yourcenar et Stephen King ?
Ce sont mes deux maîtres. Je suis obligée de choisir Stephen King pour une raison temporelle. Si je n’avais pas lu Stephen King, je n’aurais jamais lu Marguerite Yourcenar.
Quel serait votre dîner littéraire de rêve ?
J’inviterais Gustave Flaubert, même si j’ai peur qu’il monopolise la parole [rires]. Colette, je la veux à ma table. Ensuite, je dirais Marie-Hélène Lafon, Sandrine Collette et Catherine Meurisse pour dessiner la scène et balancer quelques vannes.
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Quel métier auriez-vous exercé si vous n’étiez pas devenue écrivaine ?
Oula ! J’écris des romans depuis que j’ai 17 ans. J’ai fait des études de lettres en me disant si jamais je n’écris plus, il faudra bien faire quelque chose, mais je n’ai jamais eu à faire face à cette décision. Je dirais que j’aurais trouvé refuge dans une librairie.
Quel a été votre dernier coup de cœur ?
Rousse, de Denis Infante. Une langue dingue, un sujet rare, une forme originale. J’ai adoré.
Quelle est la chose dont vous êtes la plus fière ?
D’être encore là 15 ans après mes débuts !