Condamné à tomber dans l’oubli, l’univers de l’éditeur a fait un retour triomphal, dans une forme plus mature, allant jusqu’à explorer le thriller et l’horreur. Aujourd’hui, de nouveaux comics se profilent et la licence s’apprête même à débarquer à Bollywood.
Nous sommes à la fin des années 1930, en plein âge d’or des comics américains. Maurice Coyne, Louis Silberkleit et John L. Goldwater, trois jeunes entrepreneurs américains, décident de lancer leur propre société d’édition, MLJ Magazines.
Dès 1941, ils obtiennent un petit succès avec leur publication Pep Comics, dans laquelle on retrouve les aventures d’un certain Shield, super justicier dont le costume évoque le drapeau américain – avant que Captain America lui vole la vedette quelques mois après.
La société va se faire remarquer avec une série plus terre à terre : les aventures d’un certain Archibald Andrews, un jeune Américain typique, maladroit et attachant, pris dans un triangle amoureux insoluble avec ses amies Betty et Veronica. Un succès qui va faire du personnage la mascotte de la société, qui se rebaptise Archie Comics en 1946.
Des héros devenus has-been
Portrait pertinent et légèrement irrévérencieux de la jeunesse de la classe moyenne blanche dans les années 1940 et 1950, les aventures d’Archie vont développer une galerie de protagonistes iconiques de la période post baby-boom, et particulièrement des personnages d’adolescentes assez avant-gardistes : Sabrina l’apprentie sorcière ou encore le groupe de rock féminin Josie and the Pussycats, qui connaîtront chacune leurs adaptations animées.
Cependant, l’image d’Archie et de son lycée figé dans le temps à Riverdale s’étiole dans les années 1970. Avec ses histoires un peu immuables et ses codes renvoyant davantage à ceux du rockabilly qu’au punk ou à la New Wave, les licences Archie Comics ne semblent plus résonner avec la vie quotidienne de lecteurs et lectrices qui dévorent désormais les aventures des X-Men ou de Daredevil.
Le pire reste cependant encore à venir. La société Archie Comics va se faire une spécialité de renflouer ses caisses en cédant les droits des personnages de ses licences au plus offrant : c’est ainsi qu’en 1973, Archibald et ses compagnons sont temporairement revendus au Baker Publishing Book.
Ce groupe chrétien évangéliste va commencer à publier des récits moralisateurs et approuvés par l’Église sous le nom d’Archie’s One Way, et ainsi abîmer l’image de la série. D’autant plus que les patrons de la maison d’édition multiplient les procès et les actions en justice pour faire interdire tous les hommages et toutes les parodies non officielles impliquant leurs personnages.
De Sonic le Hérisson à Riverdale
Dans les années 1990, le comics dans son ensemble est frappé par une longue crise des ventes et Archie Comics traverse une mauvaise passe. Il ne doit son salut qu’à quelques adaptations télévisées comme la série Sabrina l’apprentie sorcière de 1996, et à quelques partenariats pour le moins curieux. En effet, il devient l’éditeur de séries tirées de l’univers des jeux vidéo japonais, en licenciant des comics Sonic le Hérisson et Mega Man.
Les aventures mettant en scène Betty, Veronica ou Jughead survivent quant à elles grâce à un lectorat devenu relativement confidentiel. Les personnages continuent d’apparaître dans des caméos chez d’autres éditeurs, et il n’est pas rare de voir un Archie faire une petite apparition dans une case du Punisher ou de Batman.
Ils sont devenus des figures cultes de la pop culture américaine, mais plus personne ne tient particulièrement à lire leurs péripéties quotidiennes. Il faudra attendre le début des années 2010 pour que l’éditeur opère un changement d’image pour le moins spectaculaire, alors que des conflits violents éclatent entre les membres de la direction de l’entreprise.
Archie Comics obtient un succès surprise avec la série Life With Archie, imaginant le destin d’un Archibald adulte marié à Betty et Veronica dans deux futurs possibles. Dans la foulée, les auteurs modernisent l’apparence de certains personnages et prennent en compte les questions de diversité ethnique et les problématiques de genre dans leurs nouvelles histoires. Une stratégie qui trouvera son apogée avec la naissance de deux projets : la bande dessinée Afterlife With Archie et la série télévisée Riverdale.
Jusqu’à ce que la mort les sépare
Dans Afterlife With Archie, lancé en 2013, la petite bande se retrouve soudainement confrontée à une invasion apocalyptique de morts-vivants. Un comics violent, cynique et parfois gore qui tranche profondément avec l’image lisse et sage acquise par la franchise au fil du temps. Spoiler alert : elle se vendra comme des petits pains en librairie.
Ce succès pousse les auteurs d’Archie Comics à expérimenter du côté du thriller, de l’horreur, du complot politique, mais aussi à s’autoriser à aborder des questions de société moderne et à explorer des questions telles que le deuil, les violences sexuelles ou les injustices économiques.
En parallèle de ce reboot « sombre et torturé » des comics, l’éditeur va lancer dès 2013 un ambitieux partenariat d’adaptation de l’univers d’Archie en film à gros budget avec Warner Bros. Un projet qui n’aboutira pas, mais qui, in fine, débouchera en 2017 sur la création de la série télévisée Riverdale sur la chaîne CW. L’ambiance est plutôt au polar, voire au thriller érotique teinté de teen-drama particulièrement sombre.
Un immense succès public qui sera diffusé jusqu’en août 2023 et permettra d’enclencher la création d’un véritable « Archiverse » sur le modèle du Marvel Cinematic Universe. Plusieurs œuvres sont liées d’un point de vue thématique et scénaristique, et toutes le sont par cette même esthétique et ce ton résolument plus dark. De la même manière, le feuilleton Chilling Adventures of Sabrina de 2018 n’a plus rien à voir avec la sitcom pour enfants des années 1990 et verse dans le récit horrifique pur et dur.
Une renaissance audiovisuelle qui a (partiellement) relancé les comics
Tous les comics et toutes les adaptations récentes de l’univers d’Archie Comics n’ont pas été couronnés du même succès. On pense par exemple à la malheureuse série Katy Keene, annulée dans l’indifférence générale en pleine pandémie de Covid-19. Mais ces réinterprétations plus matures et plus variées ont néanmoins réussi leur but : dé-ringardiser la galerie de personnages de l’éditeur.
Attendu pour le 7 décembre prochain sur Netflix, le film indien The Archies est ainsi une adaptation officielle Bollywoodienne de la bande dessinée, et s’annonce comme l’un des jolis films musicaux de cette fin d’année. La preuve que les habitants de Riverdale ne sont plus uniquement une peinture idéalisée et vieillotte de l’Amérique rurale des années 1950, mais bien un univers qui se remet à parler à un public large et international.
Du côté du neuvième art, Archie Comics a largement réduit la voilure faute d’avoir retrouvé durablement le lectorat d’antan, mais les succès de Life with Archie et Afterlife with Archie ont donné l’opportunité à l’éditeur de lancer régulièrement des one-shot et autres miniséries sous forme de récits policiers, de drames sociaux, et même de contes horrifiques, à l’image de la nouvelle série Welcome to Riverdale, ou encore de récits de super-héros gothiques et adultes à la manière de Darkling, deux séries attendues pour cet automne.
Difficile de savoir si la maison d’édition tiendra sur la longueur et continuera à tirer parti de cette nouvelle image moderne associée à son catalogue, mais, au moins, son pari est tenu : Archibald et sa bande ont bel et bien quitté le milieu du siècle dernier pour faire leur place dans notre époque contemporaine.