Entretien

Zilo (DreaMaker) : “Les rêves ne sont pas réservés aux gosses, ce sont les épices de la vie”

06 août 2023
Par Agathe Renac
“DreaMaker”, de Zilo, nous plonge dans un monde où les rêves ont disparu.
“DreaMaker”, de Zilo, nous plonge dans un monde où les rêves ont disparu. ©Zilo, Ki-oon

Drôle, sensible et touchant, DreaMaker est l’un de nos coups de cœur de l’année. On a profité de la Japan Expo pour rencontrer son autrice, Zilo, qui nous a fait entrer dans son monde fantastique le temps d’une interview.

Zilo a une passion : raconter des histoires. La mangaka imagine des récits aussi fantastiques que farfelus, même quand on lui demande de se présenter : « J’ai 3 600 ans, je suis gourou d’une secte et je suis venue en France avec mes petits crayons pour essayer de rassembler à ma cause le plus de fidèles possible. » Son but ? « Construire une église à mon culte, où tout le monde pourra venir comme il le souhaite. On ne discriminera personne chez moi. »

On reconnaît là l’humour et la bienveillance qui nous ont séduits dans son dernier manga, DreaMaker. On a profité de sa venue à Paris lors de la Japan Expo pour l’interroger sur son parcours, ses rêves, et l’univers qu’elle a créé.

Votre manga parle d’un monde dans lequel les humains ne rêvent plus. Pourquoi souhaitiez-vous aborder cette thématique ? Les rêves ont-ils une place particulière dans votre vie ?

Je voulais juste créer un monde où j’étais libre d’imaginer plein de créatures. Je les adore. Le rêve, dans son sens général, a une place très importante dans ma vie. Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que je me suis accrochée à ceux de mon enfance. Certaines personnes me conseillaient de lâcher l’affaire. Elles me disaient que les rêves, c’est comme le goûter de 16 heures : c’est que pour les gosses. Je ne suis pas d’accord. Pour moi, c’est comme les épices de la vie, on en a besoin pour avancer. On ne vit qu’une fois, et ça peut être court, alors autant s’éclater !

Comme les personnages de DreaMaker, seriez-vous prête à dépenser tout votre argent pour retrouver cette capacité à rêver, si vous l’aviez perdue ?

Oui, je pense. J’aime la fantaisie et je suis constamment en train d’imaginer des petites histoires avec des créatures dans ma tête. Si on me retirait cette capacité, je serais toujours sur les nerfs et super aigrie. Je pense que je prendrais moins le temps de comprendre certaines personnes ou certaines choses.

©Zilo, Ki-oon

Êtes-vous plutôt du genre à faire des rêves très terre à terre, ou complètement perchés ?

Ah non, ils partent toujours trop loin ! C’est vraiment n’importe quoi. La dernière fois, j’ai rêvé que je faisais une compétition de basket contre l’équipe de Beyoncé et elle s’est envolée pour faire un dunk (rires). J’ai l’impression d’être tout le temps sous ecsta dans mes songes.

Dans le monde que vous avez imaginé, les Dreamakers fabriquent des rêves. Quel est celui que vous auriez imaginé, si vous en étiez un ?

Est-ce qu’on peut dire que j’en suis déjà un parce que j’ai créé une histoire qui fera peut-être rêver les gens ? Certaines personnes qui ont subi des violences ou de la discrimination pourront aussi y trouver un début de réponse ou un havre de paix.

La violence faite aux enfants est effectivement l’une des thématiques de votre œuvre. Pourquoi souhaitiez-vous en parler ?

Ce sont des situations qui se déroulent dans de nombreux foyers français. Pourtant, c’est encore dur d’en parler. C’est comme si tout ce qui se passe dans la maison devait y rester. On commence à parler des violences faites aux femmes (et ça a pris du temps), mais les enfants n’ont pas cette voix-là. J’ai donc voulu donner la parole à cette catégorie silencieuse.

Cependant, j’ai trouvé très peu de sources ou d’histoires quand j’ai fait des recherches sur le sujet. L’émission Ça commence aujourd’hui a réalisé une ou deux émissions sur les violences qui ont lieu dans la sphère familiale, mais ils parlent surtout des féminicides. Les infanticides sont encore trop tabous en France, et ça me tenait à cœur d’en parler.

©Zilo, Ki-oon

Lors de mon service civique, je travaillais dans une école primaire et je m’occupais de la bibliothèque. Quand je regardais les gamins qui m’entouraient, je me demandais comment je pouvais les mettre suffisamment en confiance pour qu’ils me confient ce genre de problème.

Je me suis rendu compte que les maîtres et maîtresses pouvaient aussi avoir des mots durs, sans vraiment s’en rendre compte. Ils sont fatigués et ils peuvent oublier qu’ils ont des gosses en face d’eux. Mais quand cette violence fait partie de notre quotidien, on finit par croire que c’est normal – et ce n’est pas le cas. Ce sujet est très important pour moi. Il y a un petit bout de mon histoire dans chacun de mes personnages.

Vous avez gagné le dernier tremplin Ki-oon. Ce métier faisait-il partie de vos rêves d’enfant, ou vous aviez-vous un tout autre projet de vie ?

Quand j’étais petite, j’avais trois grands projets de vie : je voulais faire du journalisme, du droit ou du dessin. Finalement, le dessin est resté. Ce tremplin m’a sauvé, car c’était la dernière chance que je me laissais avant d’abandonner les mangas.

Vous aviez rencontré de nombreux échecs avant cette expérience ?

Je ne vais pas mentir, il n’y a pas eu tant de tentatives que ça. Mais j’étais simplement perdue. Au Japon, tout le monde sait comment proposer son projet d’édition ou entrer en contact avec les éditeurs. En France, c’est très flou. Je ne savais pas à qui envoyer mon book – je ne savais même pas comment en faire un. Tout se fait par le bouche-à-oreille et les connaissances dans ce milieu. C’est simple : je n’avais ni l’un ni l’autre.

©Zilo, Ki-oon

J’avais fait un concours au Magic Monaco où j’étais arrivée deuxième et j’avais participé à une autre compétition, japonaise, qui était ouverte au monde. Je me suis classée nulle part et, pour être honnête, je ne sais même pas si mon dossier a bien été envoyé (rires). C’était trop compliqué ! J’ai donc fait trois tentatives plus ou moins ratées, mais j’étais surtout fatiguée et perdue. Je me suis dit que si je ne parvenais pas à percer, je devais arrêter ce métier.

J’ai l’impression que l’univers vous a envoyé un sacré signe en vous disant de persévérer !

Clairement ! En plus, je devais partir vivre au Japon à ce moment-là. Je suis restée ici car le concours était seulement ouvert aux Français. Si je partais à l’étranger, je devais laisser tomber ce tremplin. Finalement, le Covid est venu régler l’histoire et j’ai pu aller jusqu’au bout de cette aventure.

Comment parvient-on à se différencier et se faire une place dans cette industrie du manga qui ne cesse de grandir ?

Quand j’ai fait mon manga, je voulais juste rester authentique, travailler sur un sujet qui me tient à cœur et que je maîtrise, et parler de certaines minorités qui ne sont pas entendues. Quand j’étais petite, je ne me sentais pas représentée dans les mangas que je lisais. Ils ne me parlaient pas.

« J’avais l’impression que les mangas étaient faits par les Japonais, pour les Japonais. »

Zilo
Mangaka

On a tous des histoires et des traumas différents, et je me suis dit que mon expérience pourrait peut-être parler à des lecteurs qui ne se reconnaissent pas dans les autres œuvres. J’avais super peur de me prendre une vague de commentaires négatifs, parce que j’ai conscience que ce n’est pas le contenu shōnen de baston qui est très populaire en France.

Vous disiez que vous ne vous sentiez pas représentée dans les mangas de votre enfance. Quelle partie de votre histoire ou de votre personnalité ne l’était pas ?

Dans les shōnens, je ne comprenais pas pourquoi la fille devait toujours être représentée par un mec, pourquoi elle devait finir avec le héros, ou survivre dans le manga grâce à la validation d’un homme alors qu’elle est ultra-badass. Tout le côté romance me saoulait aussi beaucoup. Dans ces mangas, l’hétérosexualité est la norme et c’est juste normal que le mec termine avec la fille. Je ne comprenais pas, et je me demandais pourquoi ils ne pouvaient pas être simplement des amis.

Je n’ai grandi qu’avec des garçons et ces histoires me laissaient entendre que toutes ces personnes, que je considère comme mes frères, pouvaient tomber amoureuses de moi. Je ne suis pas d’accord ; on peut être ami avec une personne du sexe opposé !

©Zilo, Ki-oon

J’avais aussi l’impression que les mangas étaient faits par les Japonais, pour les Japonais. Il n’y avait pas énormément de diversité, alors que la France est un pays cosmopolite. Étant donné mes différentes origines, je ne comprenais pas pourquoi les personnages ne ressemblaient pas à mon entourage. Mon frère est mat de peau, mon père est noir, ma mère est blanche, et je ne les retrouvais pas dans les pages que je lisais. Ça ne me parlait pas.

Désormais, vous créez vos propres mangas. Parvenez-vous à en vivre ?

Je ne peux pas parler au nom des mangakas français, car toutes les maisons d’édition sont différentes. Cependant, oui, j’arrive à vivre pleinement de ma passion sans avoir de petits boulots à côté pour arrondir les fins de mois. Aujourd’hui, on peut vivre en étant mangaka en France.

De nombreux mangakas ont dénoncé les conditions de travail au Japon. Qu’en est-il en France ?

Encore une fois, je ne peux parler que de mon expérience. J’ai refusé les propositions de certaines maisons d’édition, car le prix qu’elles m’annonçaient était trop faible. Elles voulaient me payer 4 000 € pour mon premier tome, mais ce travail représente environ une année.

4 000€ pour 12 mois, c’est très peu. Donc tout dépend de la maison d’édition ! Certaines imposent des conditions de travail qui sont pires qu’au Japon. Mais de mon côté, tout va très bien. Dès le début, j’ai décidé de ne pas signer pour trois tomes, donc ça me laisse la possibilité de renégocier mon contrat à chaque parution.

« Mon rêve est super basique : je veux juste une grande maison, des potes et de la tranquillité. »

Zilo
Mangaka

Ki-oon ne m’impose aucune pression, mais je le fais très bien toute seule. Mes parents m’ont élevée avec l’idée que je devais beaucoup travailler. Je suis la fille et l’aînée de la famille, donc j’avais une double dose de stress.

Aujourd’hui, je suis clairement workaholic (addict au travail), et je n’en suis pas fière. Je travaillais énormément et j’ai eu quelques soucis de santé à cause du surmenage, donc j’apprends progressivement à prendre soin de moi, notamment en faisant du sport.

Vous travaillez actuellement sur votre troisième tome. Quelle est la prochaine étape et le prochain rêve à accomplir ?

C’est toujours le même. J’ai toujours voulu être mangaka, vivre de mes dessins et avoir une grande maison au Japon pour y habiter avec tous mes amis. J’ai envie d’être entourée, parce que je n’ai pas toujours eu cette chance, mais j’ai aussi besoin qu’on me foute la paix. Au final, mon rêve est super basique. Je veux juste une grande maison, des potes et de la tranquillité.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste