À l’occasion de la diffusion de la saison 5 de The Crown sur Netflix, L’Éclaireur a interrogé le journaliste et auteur Joffrey Ricome sur les moments clés qui ont marqué la série culte, pour mieux comprendre la place qu’y occupe la fiction.
The Crown est de retour pour une cinquième saison, ce mercredi 9 novembre. Forte de son succès, la série créée par Peter Morgan a toujours fasciné. L’invitation qu’elle propose dans l’intimité de la famille royale crée l’événement depuis la première saison. Pourtant, la série a également suscité plusieurs critiques, notamment vis-à-vis de sa véracité historique. Malgré une reconstitution fidèle des costumes et des décors, elle s’autorise quelques infidélités, préférant romancer la vie de la famille royale et l’histoire de l’Angleterre au profit du divertissement.
Il est parfois difficile de ne pas prendre pour argent comptant ce qu’on nous raconte. Un constat pointé dans le livre The Crown, le vrai du faux : la série culte décryptée (Gründ, 2021), notamment par Joffrey Ricome, avec qui L’Éclaireur a pu s’entretenir afin de revenir sur plusieurs moments clés de la série, et ainsi distinguer la fiction de la réalité.
1 Quand The Crown tord les événements historiques
Saison 1, épisode 4 : « Catastrophe naturelle »
The Crown raconte l’histoire de l’Angleterre, mais cette dernière a souvent été réinventée pour les besoins de la série. On pense notamment à l’épisode sur le brouillard de Londres. « Bien qu’il ne trahisse pas la famille royale, il montre que les équipes de The Crown ont pris des incidents mineurs pour en faire de grands événements, sur un épisode entier, souligne Joffrey Ricome. On nous montre que Winston Churchill, le Premier ministre de l’époque, ne veut rien faire par rapport à cette épaisse fumée, jusqu’à ce que sa secrétaire se fasse renverser. Dans la série, cet événement va lui faire prendre conscience qu’il faut agir. En vérité, il n’a rien fait. Il y a eu ce fameux brouillard, et Churchill n’a rien eu besoin de faire. Sa secrétaire n’a pas été tuée. »
Saison 3, épisode 3 : « Aberfan »
Cet épisode se concentre sur la catastrophe d’Aberfan. Alors que la Nation est en deuil, l’absence de la reine est vivement critiquée. « Il y a plusieurs choses importantes, avance l’auteur. Tout d’abord, on dit que la reine ne veut pas y aller, puis quand elle y va, qu’elle ne pleure pas. Mais c’est totalement faux. Elle n’est pas venue immédiatement, mais une semaine après. Si elle l’avait fait plus tôt, ça allait empêcher les gens de récupérer les gravats, car elle était accompagnée de journalistes. Quand elle est venue, elle a pleuré. Encore une fois, c’est totalement inventé. On prend un événement qui n’a rien à voir avec la famille royale pour le rattacher à un événement de l’Angleterre, et en faire un épisode important de la série. »
2 Le roi Philip, un personnage romancé
Saison 1, épisode 5 : « Poudre aux yeux »
« Il y a plusieurs choses intéressantes au sujet du roi Philip », annonce Joffrey Ricome. The Crown a souhaité montrer que c’était un personnage en avance sur son temps dans la saison 1. On pense au moment où il a voulu que son mariage avec la reine Elizabeth soit retransmis par la BBC, ou encore à la diffusion du couronnement de sa femme dans l’épisode 5 de la saison 1, intitulé « Poudre aux yeux ». Or, comme le souligne l’auteur : « Ce n’était pas la première fois que la BBC était invitée dans les coulisses de la famille royale. Ils ont ajouté ça comme histoire. De la même manière qu’ils ont ajouté le moment durant lequel le roi refuse de s’agenouiller devant sa femme. En vérité, étant donné le protocole, Philip s’est agenouillé. »
Saison 2, épisode 1 : « Une mésaventure » / Saison 2, épisode 10 : « L’Homme mystère »
À l’origine, le roi Philip est un personnage insipide et la production a donc voulu étoffer son appréhension. On le voit dès le premier épisode de la saison 2, lorsque les scénaristes admettent que Philip est infidèle, et qu’il a notamment eu une aventure avec une jeune danseuse russe. « Là encore, ils tordent l’histoire, car cette danseuse du Bolchoï n’était pas si jeune. En vérité, elle avait 40 ans. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve qu’ils ont couché ensemble, car elle était en tournée seulement durant deux jours à Londres. C’est une histoire inventée, comme celle de la partie fine entre aristocrates à la fin de la saison 2. Ici, on dit clairement qu’il y a une photo qui circule avec un homme de dos et qu’il s’agirait de Philip, sauf que l’on a aucune preuve. »
3 The Crown et Margaret Windsor
Saison 1, épisode 6 : « Bombe à retardement »
L’un des éléments marquants de The Crown est la place qu’occupe Margaret, la sœur cadette de la reine Elizabeth. D’abord vis-à-vis de son mariage – empêché par le protocole royal – avec Peter Townsend, un roturier divorcé, auquel était finalement favorable Elizabeth. Comme Joffrey Ricome le montre, les choses étaient plus simples que cela : « La reine n’a pas empêché ce mariage, d’après ce que l’on sait. Le temps a passé et a fait que Margaret est passée à un autre homme. Dans ce cas précis, ça reste assez fidèle, car Elizabeth n’a pas exprimé d’opposition à ça, c’était davantage le protocole. D’ailleurs, ce dernier allait être passé, ils auraient pu se marier, mais ça ne s’est pas fait. »
Saison 3, épisode 3 : « Margaretologie »
L’un des épisodes inventés autour de Margaret concerne le sauvetage du prêt des États-Unis à l’Angleterre. « Dans cet épisode, elle va voir le Président Johnson, qui s’y oppose dans un contexte de guerre du Vietnam. Margaret va faire la fête avec Johnson, avec qui elle va même échanger un baiser. Par la suite, The Crown montre qu’il est finalement enclin à accorder le prêt à l’Angleterre. Dans la réalité, Margaret est bien allée aux États-Unis et elle a fait la fête avec le Président, mais le prêt avait déjà été accordé avant sa venue. Donc tout cela n’a rien à voir avec elle. Elle n’a eu aucun poids diplomatique. Ils ont juste inversé les dates pour faire croire qu’elle avait sauvé le Royaume-Uni. »
4 La saison 4, ou le risque du contemporain
D’après Joffrey Ricome, il y a un risque à créer de la fiction autour d’événements contemporains : « La saison 4 a marqué un tournant dans l’appréhension de la série en tant qu’objet de fiction. La famille royale a demandé à Netflix, par l’entremise du ministre de la Culture anglais, de mettre un écran rappelant qu’il ne s’agit pas d’un documentaire. Les dernières saisons vont être plus contemporaines, tournées sur Diana et c’est toujours compliqué de faire de la fiction sur du contemporain. Car, quand on regarde The Crown, malgré les alertes, on peut avoir tendance à croire ce qu’on nous montre. »
On le voit tout au long de la saison 4 dans la relation entre Charles et Diana. Le Prince Charles connaît un revirement : à l’origine montré comme un enfant fragile qui n’est pas fait pour la couronne, « il devient dans la saison 4 un horrible personnage qui veut finalement se marier avec Diana par dépit, mais qui, la veille de son mariage, va coucher avec Camilla. Ce n’est pas vrai, et les historiens s’accordent là-dessus. Charles sait se comporter et ne serait-ce que pour le protocole, il ne pouvait pas découcher. De son côté, Diana avait peur de ne pas être à la hauteur, et c’est probablement pour cette raison qu’elle subissait des crises de boulimie. Ce n’est pas parce qu’elle était seule. Il faut aussi noter le moment où Philip menace Diana pour qu’elle reste dans la famille. Ici, il fallait oser. »
Quand il s’agit d’oser, The Crown s’en donne à cœur joie avec les personnages secondaires. Elle épargne peut-être la reine Elizabeth, mais dresse le portrait peu reluisant de son entourage. Cela n’a cependant pas été le cas de Margaret Thatcher dans la saison 4. Si la série s’est attachée à dépeindre fidèlement l’opposition politique des deux femmes, « le show l’a rendue plus humaine, mais de façon réaliste, ils n’ont rien inventé. Ils ont à la fois filmé la Dame de fer et l’intimité de sa famille. »
Et maintenant, que peut-on attendre de la saison 5 ? Le journaliste et auteur nous explique qu’elle « se focalisera sur Diana et sa séparation avec Charles. La série va très certainement prendre le parti de Lady Di, tout en dépeignant la famille royale sombrement. C’est normal de se focaliser sur son point de vue, elle est légitime. Par ailleurs, c’est là-dedans qu’il y a matière à faire une série, mais il faudra cependant veiller au poids de la contemporanéité. »