
Récompensée du Grand prix à Séries Mania 2025, la série espagnole « Querer » débarque en France sur Arte dès ce 12 juin. A travers le combat de Miren qui accuse son mari de viol conjugal, cette oeuvre en quatre épisodes suffocants examine les rouages d’un patriarcat qui broie et bâillonne les femmes. Aussi implacable qu’indispensable.
Miren Torres (Nagore Aranburu) a le visage fermé, le regard déterminé. Elle se tient droite face à ce bureau : « Sait-il que vous êtes là ? ». Non, il ne sait pas qu’elle est là, au commissariat de Bilbao. « Il » ? C’est son ennemi intime, son mari Íñigo (Pedro Casablanc), avec qui elle est mariée depuis 30 ans. Et Miren est en train de porter plainte contre lui pour viol.
Cette décision va provoquer une onde de choc dans son entourage, à commencer par ses deux fils, Aitor (Miguel Bernardeau) et Jon (Iván Pellicer). Parce qu’elle soulève un impensé (le viol conjugal, reconnu comme crime en France en 1990, 1992 en Espagne), des traumatismes longtemps enfouis, des douleurs silenciées. Et qu’elle va faire vaciller les certitudes.
La bande-annonce de Querer
Au cours de ses quatre épisodes-chapitres (« Aimer », « Mentir », « Juger », « Perdre ») à la mise en scène remarquable, la série Querer suit l’instruction, puis le procès. Mais au-delà du récit judiciaire, la réalisatrice espagnole Alauda Ruíz de Azúa se charge aussi d’examiner les liens familiaux et amicaux qui se disloquent ou se resserrent, les loyautés, les doutes. Elle nous plonge au cœur de la fameuse « zone grise »– ce territoire du consentement aux contours flous, où peuvent se déployer non-dits, violences sexuelles et psychologiques, souvent sans laisser de traces visibles.
Car dans Querer, Miren n’a pas de bleus, ne reçoit pas de coups de son époux. Jamais nous ne verrons de flashbacks. Mais si elle n’est pas graphique, la violence s’immisce pourtant partout dans la série, à travers des gestes un peu trop nerveux, une voix qui s’élève, une silhouette qui s’avance, un silence pesant ou un regard qui glace le sang. Elle est tapie dans le quotidien, omniprésente, insidieuse, sourde. Et c’est ce qui fait la réussite de Querer : sans musique, sans fracas, elle instille un climat de terreur latent, se muant peu à peu en véritable thriller émotionnel.
Lever le voile sur l’indicible
La mini-série tire également sa force des performances des acteurs et actrices, extraordinaires. Nagore Aranburu campe une Miren à la fois fragile et combative, interprétation justement récompensée par un Feroz de la meilleure actrice. Face à elle, le colosse Pedro Casablanc excelle dans un rôle ambigu à souhait, prouvant que le monstre peut bel et bien s’inviter dans la sphère intime. Quant à Miguel Bernardeau (acteur de la série Netflix Elite) et Iván Pellicer, ils sont parfaits dans les nuances qu’ils offrent aux fils du couple, déboussolés par l’effondrement de la figure paternelle. Quand l’un se place assez rapidement en allié, l’autre, héritier malgré lui de la violence intrafamiliale, se réfugie dans ses vieux réflexes patriarcaux (« Mais vous étiez mariés »).
Querer se révèle d’autant plus impactante qu’elle entre en résonnance avec l’actualité. Quelques mois après la déflagration du procès des viols de Mazan, impossible de ne pas percevoir un peu de Gisèle Pélicot derrière le visage fermé de Miren. Même gravité, même dignité, même refus de continuer à se taire. Querer semble prolonger le combat de celle qui souhaitait que son cauchemar serve à libérer la parole, lever le voile sur l’indicible. « Pour que la honte change de camp », comme le souhaitait Gisèle Pélicot.
Récompensée au festival Séries Mania 2025, Querer, comme la magistrale Adolescence, est une grande série sociétale qui secoue et interroge. Et pour certaines, elle pourrait bien constituer une bouée, un miroir, un sursaut vital.