Les choses de la vie, les petites madeleines, la somme des souvenirs, une très belle mélancolie… Il y a tout ça et plus encore dans le dernier recueil signé Philippe Delerm. Une vie en relief ou quand l’écrivain de La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules touche à l’universel.
Fallait-il vieillir pour écrire ce livre ?
Philippe Delerm : « Il y a des compensations au fait de vieillir. En dépit de la rétivité, du manque de souplesse physique, de l’agacement du comportement des gens, il y a comme une opération presque miraculeuse. Je ressens à l’intérieur de moi, non pas de la sérénité – car je ne le serai jamais -, mais une sorte de transformation du passé par le présent. Ce n’est pas facile à expliquer mais ça l’est devenu en écrivant ce livre. C’est cette notion de Vie en relief. On ne regarde pas un match de foot de la même manière à 65 ans passés qu’à 13 ans. On déguste des glaces au parfum raffiné tout en sentant la présence des premiers esquimaux au citron à 35 cts de sa jeunesse. C’est une vraie richesse.
Vous écrivez « C’est ça mon vrai métier, bouilleur de cru du temps qui m’est donné »…
« Quand j’avais une dizaine d’années, je sentais qu’il y avait des discussions mystérieuses dans la ferme de mes grands-parents paternels autour de cette histoire de bouilleur de cru, des paysans qui n’avaient plus le droit de faire leur alcool, qui se sentaient privés de leur liberté et qui le faisaient en douce quand même. C’est une métaphore de ce que je souhaite faire en écriture : capturer la vie en douce et la transformer.
« Le goût du fruit plus fort que le fruit », écrivez-vous encore. Est-ce ainsi que vous envisagez votre façon d’écrire ?
« Si c’était le cas, j’en serais plus qu’heureux, c’est le rêve absolu. J’ai longtemps gardé en moi cette métaphore. Celle de l’eau-de-vie. Dans cet alcool de fruit, il y a une espèce de magie. Cette eau pure contient aussi tout le fruit. J’aime mieux boire un verre de poire le soir que d’en manger une. Cette espèce d’incantation, de transparence, est merveilleuse. J’ai souvent écrit sur les choses qui se mangent et se boivent. C’est aussi lié au moment de la dégustation : le fruit que l’on mange sur l’arbre qui n’a pas la même intensité qu’il soit mangé à table ou bu dans une eau-de-vie le soir avec des amis.
C’est un truc de famille d’espionner ? Vous semblez à l’affût de tout ?
« Il y a une transmission de cela avec mon fils Vincent, en effet. Vous êtes avec les gens, mais en même temps, pas seulement avec eux. Pour moi, l’ennui est très constitutif, j’en garde un très grand souvenir. On est dans une conversation, mais en même temps on porte un jugement sur les autres et sur soi, on est sensible à plein de détails.
Quels souvenirs gardez-vous de votre métier de professeur de Lettres ?
« Être profs de lettres, ce n’est pas n’importe quel type de professorat. C’est permettre à ces jeunes de découvrir qui ils sont eux-mêmes, d’apprendre à lire et à écrire. Ce sont des choses fondamentales dans la vie. C’était enivrant, on avait envie de prolonger ça. Le club de théâtre, c’était encore mieux que les cours de français ! On brisait des timidités, on faisait des choses très fortes. Je jouais aussi au foot avec mes élèves et certains jouaient mieux que moi, on avait des rapports différents ensuite en classe, alors qu’ils étaient moins bons en français…
Y a-t-il un livre, un auteur que vous vous sentez fautif de ne pas avoir lu ?
« Fautif, non, mais il y en a dans lesquels je n’ai jamais réussi à rentrer. Nombreux sont ceux qui me ressemblent pas mal et qui adorent Montaigne. Ils m’ont dit que je devrais aimer ça, mais je n’ai jamais eu de sympathie pour lui. C’est trop moralisant pour moi. Et puis je n’ai jamais pu lire Ulysse de James Joyce non plus. Je ne peux physiquement pas rentrer dedans et ce n’est pas un gros regret, je ne pense pas y trouver du biscuit pour moi. »
*Copyright photographie de Philippe Delerm : Thesupermat sur Wikipedia.
—
Paru le 4 février 2021 – 240 pages