Entretien

Joël Dicker revient sur son nouveau roman, La très catastrophique visite du zoo

01 mars 2025
Par Thomas Louis
Joël Dicker.
Joël Dicker. ©Cyrille George Jerusalmi

Joël Dicker fait son retour en librairies le 4 mars avec La très catastrophique visite du zoo, mais aussi avec l’édition poche de sa première nouvelle, Le tigre, écrite en 2004. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré l’un des écrivains les plus lus du pays, parrain du quart d’heure de lecture 2025.

Quelque chose me dit que si je décidais de présenter ce livre comme un livre exclusivement pour la jeunesse, ça ne vous conviendrait pas…

C’est aussi un livre pour la jeunesse, mais effectivement, je n’aime pas les classifications. Moi-même, en tant que lecteur, je comprends qu’il y a des façons de classer dans les librairies et les bibliothèques, sinon on ne s’en sort pas. Mais je n’aime pas du tout le classement dogmatique obligatoire. 

Pour vous, ce livre représente-t-il cette idée ?

C’est possible. Personnellement, j’aime tout lire. En sport, on peut aimer le foot, le volley-ball, la F1, le ping-pong, ça reste du sport. On peut aimer manger italien, libanais, chinois, japonais, indien, on aime manger. En littérature, c’est pareil. La littérature, pour moi, c’est un grand champ de possibilités, avec des livres qui peuvent se passer de main en main. Il y a des livres que je lis sans me poser de question de genre, de classement et c’est justement ça qui me plaît. De me dire que c’est un livre que je peux partager et c’était un peu l’objectif de ce roman-là : se dire qu’un même objet peut être passé à ses enfants, ses grands-parents, son collègue qu’on n’a pas vu depuis 15 ans et arriver à connecter sur ce même objet.  

Couverture de La très catastrophique visite du zoo de Joël Dicker. ©Rosie & Wolfe

Est-ce dire que ce livre représente une certaine étape, un certain cap dans votre carrière ? 

Non, il n’y a rien de très différent dans cette démarche. Dans la façon de travailler et de l’envisager en tout cas. Après, dans mes précédents livres, je vois bien que le lectorat que je rencontre en librairie ou avec qui j’échange est un lectorat hyper large. Il y a des jeunes lecteurs de tous les âges, jusqu’à 101 ans, et même à partir de 11 ans, ce qui me paraît parfois même jeune.

Ce sont des gens qui sont des lecteurs d’un livre par jour, ou presque, parce qu’ils ont le temps, d’autres qui lisent un livre par an. Et tous ces gens se retrouvent. Je voulais proposer un livre qui permette cette réunion, cette communion dans le vrai sens du terme : trouver un plaisir commun et le partager. Un livre qui puisse aussi créer un pont entre les gens qui lisent et qui aiment lire, et ceux qui ne lisent pas encore et qui ne savent pas encore qu’ils aiment lire.

En parlant de lecture, vous êtes parrain du Quart d’heure de lecture, organisé par le Centre national du livre, qui se tiendra le 11 mars prochain. Vous avez fait une sélection de livres pour l’occasion…

Oui, le quart d’heure de lecture, c’est un concept auquel je crois beaucoup et qui est assez simple : avoir un livre avec soi et lire 15 minutes, pendant lesquelles vous arrêtez ce que vous faites et vous vous concentrez sur un livre. En le faisant chaque jour, vous commencez, 15 minutes par 15 minutes, à développer ce plaisir de lire. C’est ce qui est fou, et que, je pense, on a un peu raté dans le monde du roman, de la littérature, c’est de rappeler à quel point lire, c’est d’abord un plaisir. 

Joël Dicker.©Anoush Abrar

À vous entendre, la démocratisation de la lecture s’imposerait presque comme un combat…

Oui, c’est un combat. En tout cas, c’est un engagement très fort qui est le mien. Parce qu’on voit le plaisir une fois que les gens lisent. Moi, je le vois chez des lecteurs de tous les âges qui me disent qu’ils n’avaient jamais lu avant. Il n’est jamais trop tôt pour lire. Il n’est jamais trop tard pour lire. Il faut également rappeler que la lecture sur papier construit le cerveau d’une façon unique, qui n’est pareille à aucun autre exercice mental, cérébral. Aucun autre support ne peut avoir l’impact sur le cerveau que la lecture a. C’est aussi ça qui est important.  

Revenons à votre nouveau roman. Concrètement, qu’est-ce que ça a changé pour vous d’avoir une narratrice qui est une enfant ?  

Ça ouvre une possibilité dans la narration, dont j’ai découvert qu’elle est beaucoup plus ample et beaucoup plus forte que la narration par un adulte.  

En quoi cette enfant est-elle plus forte, selon vous ?

Les enfants ont cette lecture à la fois très directe et très fraîche de la vie. Ils n’hésitent pas à dire les choses telles qu’ils les voient, telles qu’ils les pensent, ce que l’adulte fait moins. De ce fait, il y a, dans leurs observations et leurs réflexions, un rapport qui est moins dogmatique. J’ai le sentiment qu’en utilisant la narration par cette jeune fille, on était dans quelque chose qui n’était pas un moment de moralisation (dans ce qu’elle observe, dans ses commentaires sur les adultes). Le même commentaire venant d’un adulte pourrait être pris comme un jugement. Parce que c’est une enfant, on lui donne volontiers plus de crédit.  

Il a des messages forts dans ce livre, notamment à propos de la démocratie, de l’intolérance, de la diversité. Dans quelle mesure y avait-il une visée pédagogique ?  

J’ai envie de dire qu’il y en a évidemment une. Mais, lorsque j’écris, je ne me dis pas que je vais avoir une visée pédagogique. D’ailleurs, je ne crois pas qu’on puisse viser quelque chose quand on écrit.  

On pourrait se le dire en partant du principe qu’il s’agit d’enfants… 

Oui, mais ce serait trop artificiel pour moi. Alors que ce qu’on retrouve, je crois, entre les lignes, et qui donne envie de lire, c’est justement ce côté très authentique. Évidemment, je prends des thématiques qui me tiennent très à cœur, mais ça peut être l’amour et le sens de la vie comme dans L’énigme de la chambre 622. Ça peut être aussi le sens de la vie tel que je me le représente dans La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Ça peut être une vision de l’humanité dans Les derniers jours de nos pères. C’est une continuité de messages pour moi, qui sont peut-être plus marqués ici, parce qu’il y a cette fille qui martèle son incompréhension. Mais ça n‘est pas le point de départ. 

Couverture du livre Les derniers jours de mon père.©Rosie & Wolfe

La catastrophe finale annoncée dans le titre se produit à cause d’un enchaînement de péripéties. Comment travaillez-vous ? À partir d’un plan ?

Je n’ai pas du tout de plan. À la fin, ce que vous dites est vrai, c’est un livre, comme mes autres romans, dans lequel il y a une enquête et où l’on découvre ce qu’il s’est passé. On a donc l’impression qu’il y a un plan très clair de ce qui se passe, ce qui n’est pas le cas quand j’écris. Quand j’arrive vers la fin ou les deux tiers du livre, tout d’un coup, je comprends ce que je veux faire, et je reviens en arrière pour tout relier ensemble. Mais ça, ça vient bien à la fin.  

Alors pourrait se poser la question du point de départ de vos romans… 

Au début, il n’y a rien. Il y a l’envie d’écrire une histoire. Il y a, ici, ce personnage de Joséphine. Ça commence toujours par le personnage, parce qu’il ou elle donne aussi l’angle de narration. Je creuse ensuite Joséphine, l’enfant, ce que ça amène. Ça me parle, alors j’entre là-dedans. 

À partir de
19€
En stock
Acheter sur Fnac.com

En l’occurrence, Joséphine est une narratrice, qui est la seule fille d’un groupe. 

C’est vrai, mais elle s’est imposée à moi. J’aimais son caractère un peu tranché. On sent que c’est elle et qu’elle emmène avec elle ses cinq camarades de classe, qui sont tous des garçons. Mais ça, c’est vraiment l’étape. Je me demande ensuite ce que je fais d’elle, ce que je fais d’eux. Assez rapidement, je comprends l’idée qu’ils pourraient faire tourner un adulte en bourrique. De là, je me mets à construire. Au départ, je ne me dis pas qu’ils seront dans une école différente. Après, je reconstruis. 

Un vrai aller-retour permanent, donc…

Oui, jusqu’à ce que finalement je me rende compte de ce qui se passe. Mais, à ce moment-là, j’ai déjà beaucoup écrit, il y a déjà beaucoup d’éléments. Après, je m’assure que tout fonctionne bien ensemble. 

Est-ce qu’il y a des grands moments d’actualité qui ont influencé ce livre ? Est-ce que, plus globalement, dans le monde d’aujourd’hui, il y a des grands sujets qui vous inspirent ? 

L’actualité jalonne forcément. Car l’actualité, c’est la prise de conscience, la prise de température du monde dans lequel on vit. Forcément, ça a une influence, qu’on le veuille ou non, sur ce qu’on fait, ce qu’on écrit. Car lorsqu’on écrit (si on a envie qu’il y ait une forme de résonance chez le lecteur), on est des observateurs d’une période, d’une époque. C’est donc un élément important, sans forcément qu’il entre dans le livre, dans les détails du livre. Mais l’observation, la prise de température, est très importante.  

Joël Dicker.©Cyrille George Jerusalmi

Une partie de l’humour de ce livre repose beaucoup sur les jeux de mots, sur les erreurs de vocabulaire. Comment avez-vous travaillé cet aspect ? 

On se prend assez vite au jeu. Tout peut être sujet à jeu de mots. J’en ai retiré beaucoup. Au quotidien, je le fais naturellement et ça dépite souvent mes amis. Mais le fait de jouer sur les mots resurgit un peu dans ce livre-ci. 

En parallèle, une nouvelle paraît : Le tigre. Quel souvenir gardez-vous de l’écriture de ce premier texte ? 

Oui, c’est une nouvelle que j’ai écrite en 2004 et qui est importante pour moi, car c’est mon premier long texte fini. Jusque-là, j’avais essayé d’écrire des romans. Cela faisait quelques années que je voulais absolument écrire un roman de bout en bout. Je m’étais mis ce défi, mais je n’arrivais pas à trouver le souffle et à arriver au bout de l’exercice. Et j’ai décidé d’écrire une nouvelle, qui est devenue Le tigre, une très longue nouvelle ou un très court roman, qui fait environ 80 pages. 

Couverture de la nouvelle Le tigre, le premier texte écrit par Joël Dicker en 2004.©Rosie & Wolfe Poche

Vous pouvez nous le résumer en quelques mots ?  

On est en Sibérie, en 1903. Un tigre attaque un village, tue tous les habitants et commence à sévir dans les villages voisins. Le tsar, qui doit absolument arrêter ce tigre qui sème la terreur dans la population, promet que celui qui le tuera recevra le poids de l’animal en or. Puis Ivan, un jeune chasseur, va essayer de tuer ce tigre. Mais évidemment, rien ne se passe comme prévu.  

Je suis très content de le sortir en poche, de le partager avec mes lecteurs. Il y a une préface dans laquelle j’explique comment j’ai réussi à passer le pas du roman. Et c’est à partir du Tigre que j’ai compris plein de choses, dans le souffle, dans la narration. C’est à partir du Tigre que j’ai réussi à écrire mon premier roman. 

L’efficacité de la nouvelle, est-ce quelque chose qui pourrait vous tenter à nouveau ? 

J’adore l’efficacité et la concision de la nouvelle. Maintenant, j’ai pris goût au roman. Mais c’est un défi de tout dire en quelques pages, j’adore.  

La très catastrophique visite du zoo, de Joël Dicker, Rosie & Wolfe, en librairie depuis le 4 mars 2025, 256 pages, 19 €. 

Le tigre, Joël Dicker, Rosie & Wolfe, en librairie depuis le 4 mars 2025, 96 pages, 4,90€.

À lire aussi

 

Article rédigé par