
Nouvel épisode de notre série d’entretiens au long cours avec les écrivains. Pour parler écriture et littérature, mais aussi pour percer la carapace de ces raconteurs d’histoires.
Clean, le titre de votre livre, fait puissamment écho avec propre vie. Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire ?
Dans deux semaines, ça fera cinq ans et demi d’abstinence. Pendant très longtemps, toute ma vie s’articulait autour de la consommation de drogue. Je bédavais énormément, je consommais quotidiennement de la coke et des amphétamines. Chaque moment de ma journée était associé à une prise. Pour dormir, il fallait que je consomme tel truc, pour manger, il fallait que je fume du shit parce que ça me donnait faim, même pour regarder un film, j’avais un rituel. Et c’est sans parler de l’écriture…
Quand on est écrivain et addict, quelle place prend la consommation de drogue dans le processus d’écriture ?
Beaucoup de place. Ce qui est étrange dans mon cas, c’est que la littérature est un art, mais elle devenait avec la drogue une performance sportive. Juste avant d’écrire, je consommais, puis je me fixais des objectifs de page par jour ou 15 000 signes jusqu’à telle heure. C’était devenu une discipline extrêmement exigeante qui impliquait du dopage pour réussir.
Qu’est-ce qui, ce jour d’août 2019, vous a décidé à changer de vie et à tout arrêter ?
Il n’y a pas véritablement d’élément déclencheur. C’est plutôt un processus. J’avais déjà semé des graines ici et là. Les indicateurs étaient au rouge. Je me retrouvais de plus en plus isolé, parano, je commençais à entendre des voix, j’étais tout le temps malade, je me mettais parfois en situation de danger. Cette accumulation de signaux et le bordel ambiant m’ont soudainement fait réfléchir. Mais ça n’aurait jamais été suffisant si je n’avais pas croisé les bonnes personnes au bon moment. Je parle beaucoup de transmission du message dans le bouquin et d’entraide entre les dépendants. Il faut aussi parler de chance, parce que c’est un facteur très important dans la quête pour l’abstinence.
Il y a quelqu’un qui a joué un rôle particulier dans votre quête, c’est Julien Gangnet.
Je tiens à dire que c’est une entreprise collective, il y a beaucoup de personnes qui m’ont tendu la main et qui continuent à le faire encore aujourd’hui. Sans eux, je n’en serais pas là. C’est vrai que c’est lui qui m’a fait découvrir ce milieu-là et surtout le procédé développé par ce qu’on appelle les Alcooliques ou les Narcotiques anonymes. J’ai d’ailleurs tenu à publier son livre dans lequel il détaillait les 12 étapes vers l’abstinence, que ça puisse aider d’autres personnes que moi.
Pouvez-vous nous parler de ces 12 étapes que vous avez suivies ?
En France, quand on est toxicomane, on a tendance à se tourner vers l’addictologie. Une méthode médicale de réduction des risques. On tente de limiter les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux avec un accompagnement, mais surtout avec des produits de compensation. Les 12 étapes sont plutôt un programme spirituel proposé par les Alcooliques anonymes (AA), ce qui explique qu’on soit encore très peu à l’adopter en France, d’ailleurs. Ici, la croyance sous toutes ses formes est encore taboue, elle ne fait pas le poids face à la science.
Dans les 12 étapes, on parle d’une espèce de puissance supérieure. On admet qu’il y a une force supérieure à nous, qui nous pousse à consommer, une espèce de sheitan si vous voulez. Et qu’il va te falloir un truc en face qui va être suffisamment solide pour te tirer vers le haut, ce que les Américains appellent très facilement : Dieu. Pourtant, ça peut prendre plein d’autres formes. Pour les AA, c’est surtout la puissance du groupe. Tu passes d’une soumission à la drogue à une soumission au groupe. C’est-à-dire que dès que j’ai une émotion forte, un truc, j’en parle et surtout, je ne fais pas de secret, parce que ce qui nous mène tous à la rechute, c’est de ne pas dire les choses. La première étape, c’est d’accepter sa dépendance puis de la quantifier, avant d’isoler ce qui pourrait la remplacer. Certains se mettent dans la religion, d’autres dans le sport, dans l’art ou dans la nature. Finalement, la dernière étape, c’est la transmission. C’est parler de cette méthode autour de soi, de parrainer des gens. Par exemple, moi, je vais dans les prisons, les hôpitaux et puis j’écris des livres.
« Je n’aurais jamais pu écrire la fragilité des personnages de Clean sans mon parcours d’abstinent. »
Johann Zarca
Cette expérience est devenue la matière première de votre récit et pourtant vous vous refusez au témoignage à la première personne, vous empruntez la voie du roman. Pourquoi ce choix ?
En réalité, je ne me suis même pas posé la question. Je ne sais pas écrire autre chose que des romans. Je ne veux pas écrire autre chose. Raconter la dépendance et l’abstinence à travers des histoires et des personnages, je trouve ça beaucoup plus fort et impactant. Après, ça ne veut pas dire que je ne mets pas de moi dans le récit. Dans chacun de mes livres, je fais irruption à un moment ou un autre. Souvent, c’est pour brouiller les pistes entre réalité et fiction, c’est un pur plaisir stylistique, comme dans Paname Underground, mais là, c’est différent, je me livre vraiment, sur mon parcours. C’est mon livre le plus personnel.

C’est vrai qu’on se pose toujours la question du vrai et du faux dans vos livres…
Forcément, j’ai toujours joué avec ça. Dans Clean, tout est à la fois réaliste et pas vraiment vrai. Tous les personnages sont des mélanges de personnes réelles que j’ai pu côtoyer. L’idée, c’était aussi de montrer dans un roman choral toutes les facettes de l’addiction et donc des chemins vers l’abstinence. Montrer que la question de la dépendance touche beaucoup plus de personnes qu’on ne le pense. Si on me disait que 40 % des gens étaient dépendants d’une manière ou d’une autre, je ne serais pas choqué. La fiction s’immisce aussi forcément à travers les rebondissements du récit. Certes, il y a des histoires que j’ai pu entendre, mais tout n’est qu’invention dans le livre, pour créer du rythme et de la tension.
Avec toujours en ligne de mire, l’idée d’entraide et de solidarité ?
C’est le pilier sur lequel tout repose. Je n’ai jamais vu une telle solidarité dans un milieu. Tout simplement parce que c’est une question de vie ou de mort. Potentiellement, tu vas t’entraider avec quelqu’un avec qui tu n’as pas d’affinités ou que tu n’aimes pas particulièrement, mais tu as intérêt à l’écouter ou inversement, et tu as intérêt à ne pas le laisser tomber. L’enjeu est trop important.
L’abstinence a-t-elle changé votre manière d’écrire ?
Totalement. L’esprit devient plus clair et ça crée beaucoup de vide. Un vide que tu utilises pour te recentrer sur tes émotions et donc sur les émotions des personnages. Surtout, tu commences à écrire avec des doutes. Avec les drogues, tu te sens invincible dans ton écriture, ce qui est à la fois bien et pas bien. Je n’aurais jamais pu écrire la fragilité des personnages de Clean sans mon parcours d’abstinent.
Est-ce que ça veut dire que vous clôturez votre cycle de l’underground, de ses vices et de ses zones d’ombre ?
Je suis en train de finaliser deux autres romans qui n’auront pas grand-chose à voir et qui traitent de la question de la mort et du deuil. Donc dans un sens, oui. En même temps, cette exploration des marges est toujours très présente en moi. Je viens par exemple de refourguer un scénario qui est dans une ambiance très sombre, très Paname Underground. Ce n’est pas parce que j’ai arrêté la drogue que je suis devenu un saint et que je veux raconter des contes de fées ou des happy end.
Un mot sur le livre dont est extraite la citation en exergue de votre livre. Comment pouvez-vous l’expliquer ?
Avec les alcooliques anonymes de Joseph Kessel est un livre dingue qui a justement contribué à faire connaître les AA en France. Il décrit très bien cet incomparable élan de solidarité. Il voulait comprendre comment des mecs qui sont à la rue, complètement alcoolos, mais vraiment, le dernier degré d’alcoolisme, arrivent, juste en intégrant un groupe, à changer de vie. Quand je suis devenu clean, j’ai lu ce livre-là qui m’a facilité la tâche pour appréhender le monde dans lequel je me retrouvais.
Il existe une littérature psychédélique, de la drogue et de la défonce, mais existe-t-il une littérature de l’abstinence ?
Justement, non ! J’ai lu un seul livre en écrivant Clean. Envoie-moi au ciel, Scotty de Michael Guinzburg. Une sorte de polar assez étrange, un livre assez confidentiel. On ne peut pas parler de référence.
Avez-vous une recommandation de lecture à nous faire, un coup de cœur récent ?
Toujours dans cette quête de puissance supérieure dont je parlais tout à l’heure. Comme je ne suis pas croyant, c’est vrai que la philosophie est quand même une forme de spiritualité laïque, ça aide à répondre à la question du sens. Je lis notamment les livres de Marcel Conche, le mentor d’André Comte-Sponville. C’est un philosophe qui essaie de s’adresser à tous. En ce moment, je lis Épicure en Corrèze, c’est passionnant.