Critique

L’ami de Tiffany Tavernier : réparer son passé pour redevenir vivant

19 janvier 2021
Par Anastasia
L’ami de Tiffany Tavernier : réparer son passé pour redevenir vivant

On connaît tous assez bien cette histoire, celle du voisin souriant qui cache derrière ses murs de bien sombres secrets. Si L’ami de Tiffany Tavernier commence de la même façon, l’auteure n’utilise cet événement que pour amener notre personnage principal à s’introspecter. Un très beau roman de la rentrée littéraire d’hiver 2021 !

L-amiThierry ne fait pas partie de ceux qui vivent au cœur du monde, entourés d’amis et de proches. Oh, non ! À l’image des insectes qu’il affectionne et collectionne, il s’est créé une carapace dans laquelle il s’enferme. Mais pour appréhender son avenir, il est souvent nécessaire de refaire des sauts dans le passé. C’est ce que Thierry apprendra bien malgré lui, après que son voisin et seul ami, Guy, se soit fait arrêter pour le viol et le meurtre de plusieurs petites filles…

Des imposteurs dans la maison voisine…

De sa mère qui ignore sa présence à la mort de son merveilleux grand-père, jusqu’à l’abandon de son frère ; il ne reste presque plus d’espérance à Thierry pour sortir sans fêlures des traumatismes de son enfance.

« Je suis l’enfant qui refuse d’approcher son père, l’enfant qui, des heures durant, contemple le dos immobile de sa mère devant la table de la cuisine, je suis le père de Marc, le mari d’Elizabeth, le type sans histoires sur lequel tous peuvent compter à l’usine. »


C’est pourquoi, dans la vie, Thierry se contente de l’amour de sa femme, des quelques appels de son fils expatrié au Vietnam, du souvenir de sa chienne Jules et des moments passés avec ses voisins.

Alors quand un samedi matin, le GIGN débarque dans son no man’s land pour intercepter ses voisins, Thierry vacille. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien leur reprocher ? Comment parler du fait qu’ils soient en danger, lui et sa femme, alors que ce sont des amis qu’ils sont en train d’arrêter dans la maison d’à côté ? « Ils sont si discrets et Guy est toujours prêt à rendre service. » Comment imaginer qu’hier ne ressemblera plus à demain ?

C’est ainsi qu’une première fissure dans la carapace de Thierry commence à apparaître…

La vérité révélée

Après l’incompréhension et les « pourquoi ? », apparaissent à la télévision le nom des jeunes filles violées et tuées :

– Reine, 20 ans, disparue il y a sept ans,

– Selima, 13 ans, disparue il y a deux ans,

– Violine, 15 ans, disparue il y a deux mois,

– Anne-Cécile, 14 ans, disparue depuis quatre jours. …

Mais si Thierry, bien qu’anéanti, arrive à enfouir la douleur pour continuer de vivre, dans ces prénoms et les informations données par les journalistes, sa femme se noie. Elle ne va plus travailler et ne se prépare plus, incapable du moindre mouvement : elle qui a été si amie avec la femme de Guy et qui cherche à présent ce moment où Chantal, la si fragile Chantal, a tenté de la prévenir des horreurs dans la cave.

« Je revois le regard de Chantal devant la tombe de leur chienne, sa main jetant un peu de terre. Depuis combien de temps savait-elle ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit ? »


Comment continuer à vivre comme si rien ne s’était passé alors qu’ils n’étaient à même pas 500 mètres des bourreaux de ces jeunes filles ? 

Affronter le passé pour comprendre le présent

Mais qui était ce Guy ? Pas celui avec qui il était possible de boire des coups, regarder les insectes vivre leur vie pendant des heures durant, ni même réparer une fenêtre. Non, l’Autre. Pour y répondre, Thierry doit replonger dans ses souvenirs, analyser le moindre élément qui pourra permettre aux enquêteurs de lier son voisin aux disparitions des petites filles et de retrouver leurs corps. Dès lors, les moments quotidiens se trouvent souillés par les présences fantômes dans la cave et la cabane…

« […] Guy, dans la nuit de vendredi, le bras dressé au-dessus de son petit corps tandis qu’au même moment, avec Élizabeth, on regardait une comédie à la télé. Et qu’on riait. »

Il faut aussi répondre aux questions. Pas celles des journalistes mais celles des autres, des gens de l’usine, ses collègues, en somme. Lui qui n’aimait pas se mélanger, être le centre de l’attention. Lui qui n’avait laissé qu’Abdane rentrer dans sa vie, il fallait désormais que les autres chuchotent sur son passage, tendent l’oreille dans l’espoir de glaner une information.

« À peine un mètre nous sépare et pourtant la distance entre nous est immense, comme si, à l’instar des réfugiés [à la télévision], je n’étais plus qu’une actualité à leurs yeux. »

Vient aussi le départ de sa femme.

« Je m’en vais » sont les mots exacts qu’elle prononce dans la cuisine. Ainsi, il allait perdre cette femme, la tant adorée qui, bien des années plus tôt, avait trouvé dans son silence quelque chose à aimer, de doux et de sécurisant… Mais qui aujourd’hui, décidait de partir pour cette même raison. Cette deuxième fissure dans la carapace de Thierry fait des ravages …

Dans son travail comme chez lui, sa froideur et son indifférence épuisent. Il est enfin temps pour Thierry de comprendre que le problème ne vient peut-être pas les autres mais de lui-même. Ainsi poussé dans ses extrêmes retranchements, lui sur qui tout glisse d’habitude, il devra replonger dans son passé au cours d’un long voyage qui commence dans la ferme où il passa son enfance, et qui prend fin devant cette porte décrépie derrière laquelle se cache une femme détruite par les actes des hommes.

Il est enfin temps pour Thierry de dire au revoir aux morts, de pardonner aux vivants et de se faire excuser certains manquements. Si on ne répare pas les vivants comme on répare les machines, il est tout de même possible de dire « oui » à l’avenir.

Parution le 7 janvier 2021 – 264 pages

L’ami, Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser) sur Fnac.com

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