Critique

Les Vilaines de Camila Sosa Villada : un magnifique témoignage

11 janvier 2021
Par Anastasia
Les Vilaines de Camila Sosa Villada : un magnifique témoignage

Comme d’habitude, les Éditions Métailié tapent fort avec une très bonne sélection de livres pour cette rentrée littéraire 2021. Ici, intéressons-nous aux Vilaines de Camila Sosa Villada, un premier roman poignant sur un milieu dont on est loin de tout savoir et qui a reçu le Prix Sor Juana Inés de la Cruz 2020.

Comme d’habitude, les Éditions Métailié tapent fort avec une très bonne sélection de livres pour cette rentrée littéraire 2021. Ici, intéressons-nous aux Vilaines de Camila Sosa Villada, un premier roman poignant sur un milieu dont on est loin de tout savoir et qui reçu le Prix Sor Juana Inés de la Cruz 2020.

Les-VilainesUn roman-mémoire

Étoile montante en Argentine ces dernières années, Camila Sosa Villada a aussi vécu sa grande part « d’ombre » lorsque adolescente, elle commence à s’habiller en femme. En s’affirmant non plus comme Cristian mais Camila, elle subit tout ce dont l’homme est capable en matière de cruauté.

Avec Les Vilaines, l’auteure transmet sans conteste à ses lecteurs un grand roman-mémoire. Partiellement romancé, elle nous parle du temps où elle se prostituait au parc de Sarmiento avec les autres filles. Ainsi, on y découvre des souvenirs teintés de peine et de tristesse où la violence des mots et des coups heurte quasiment chacun des paragraphes.

« Nous sommes ça, aussi, en tant que pays : la maltraitance perpétuelle infligée au corps des trans. La trace laissée sur certains corps, de manière injuste, fortuite et évitable, la trace humaine. »

Mais où également, on nous transporte au cœur de la mythologie sur l’univers trans où règne en reine majestueuse la Métamorphose.

Apprendre à pleurer pour résister

Les Vilaines narre aussi cet enseignement : celui d’apprendre à pleurer car les larmes sont souvent le meilleur réconfort.

Camila est marquée au plus profond d’elle-même par son enfance où son père tentait de retrouver un fils qui n’avait jamais existé sous les coups de ceinturon, de gifles, de châtiments.

« Pauvre maman […] avec un gosse sur le dos qui commençait déjà à la décevoir. […] L’horreur d’avoir un enfant pédé. Et pire que ça : un pédé devenu trans. »

Marquée par cette « première fois » qui transforma son corps en une cathédrale du néant dont la perte de sa virginité n’avait rien à voir avec l’amour. Non, la « douleur sacrée » cette nuit-là fut faite par deux policiers et un homme en civil. Cette première fois fut un viol.

Hommage à Tante Encarna

C’est aussi un beau roman d’amour face à cette femme, Tante Encarna, qui pour les filles dont la Maison Rose était le refuge, fut également une mère d’emprunt. Elle chez qui il y a toujours à manger, chez qui on peut se reposer après les horreurs subies, qui veille sur les filles et qui n’hésite pas à les recadrer quand elles se perdent dans les lamentations.

« Elle nous défendait face à la police, elle nous donnait des conseils quand on nous brisait le coeur, par rapport aux mecs, elle voulait nous voir émancipées, elle voulait que nous nous libérions. Qu’on n’aille pas gober ces histoires d’amour à l’eau de rose. Qu’on s’attelle à d’autres affaires, nous, les émancipées du capitalisme, de la famille et de la sécurité sociale. »

Cette même Tante qui découvre, un soir, un beau bébé au regard direct et abandonné à son sort dans un fossé du parc de Sarmiento. Très vite, un lien se tisse entre Tante Encarna et Éclat des Yeux. D’ailleurs, le livre marque de beaux moments comme celui où Tante Encarna dénude sa poitrine siliconée pour que le bébé « draine la douleur historique qui l’habite ». Pas besoin de naître femme pour ressentir la nécessité de ce geste qui relie toute mère à son enfant. Il faut seulement aimer. Et être aimé en retour.

« Même si je n’ai pas une blessure ouverte entre les jambes, je n’en suis pas moins ta mère. »

Camilla parle également de l’humanité que les trans revendiquent sans pour autant se faire entendre.

Oui, comme tout être humain, une trans peut rêver de fonder une famille.

« Parfois, je m’installais sur la terrasse et je me disais : un enfant, un mari, une maison, une cour, des jardinières avec des fleurs, une bibliothèque, recevoir des amis le week-end, arrêter le tapin, me réconcilier avec mes parents. »

Et comme tout être humain, une trans a le droit d’être aimée par un homme qui lui dit chaque matin à quel point elle est belle.

« Dans sa lettre, il lui disait […] qu’il avait été heureux, qu’il se souvenait de sa peau tapissée de bleus comme une carte sur laquelle on apprend à rêver de futurs voyages. »

Quand l’âme est femme et le corps homme

Comment être homme si le masculin se rapporte à l’alcool, la violence, l’abandon, les injures et les coups ? Comment vouloir devenir cette main qui bat ?

« Moi, je dis que peu à peu je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui par pure nécessité. Cette enfance de violence, avec un père qui, à la moindre occasion, balançait sur nous ce qui lui tombait sous la main […] tout ça était trop. Je ne pouvais pas être un homme dans ce monde-là. »

Alors les nuits sont celles de la prière, à espérer que des seins poussent, que les hommes aimés décernent la femme qui est en elle, pour qu’entre ses jambes le « couteau » se transforme en un magnifique réceptacle d’amour. Mais le corps reste prison, destiné à s’applatir en objet de dégoût pour les autres. 

C’est pourquoi dans ces pages, Camila nous donne à lire l’envie d’invisivilité présente chez toutes les trans. 

« Le triomphe consistait à rentrer à la maison après avoir été invisibles, n’ayant subi aucune agression. La transparence, le camouflage, l’invisibilité, le silence visuel étaient notre petit bonheur quotidien. »


Mais ces moments de repos sont toujours brefs. D’autant plus en ce qui concerne Tante Encarna qui devra affronter le monde pour s’occuper dignement de son fils adoptif et qui en subira funestement les conséquences.

« Pour ces gens-là, l’image d’une trans avec un enfant dans les bras est un péché. »

La fin du livre est dure. Dure par les mots. Dure par cette cruauté non méritée. Dure par cette indéniable vérité. Finalement, Les Vilaines n’est pas un roman mais un témoignage : celui sur la condition des trans, sur leur difficulté à vivre dans un monde qui les rejettent, sur ces matins qui leurs rappellent qu’elles sont esclaves de leurs propres apparences, sur ce besoin fort… Plus fort que tout d’être aimée.

« Ça, c’est l’endroit auquel vous appartenez » lui dira un jour un flic en montrant l’hôpital. De même que son père, des années avant lui disait : « Tu vas finir dans un fossé. » Mais les trans ont aussi le droit au bonheur, le droit d’être heureuse. Et ça, Camila en fait son combat.

Un grand livre à découvrir pour cette rentrée littéraire.

Parution le 14 janvier 2021 – 208 pages

Les Vilaines, Camila Sosa Villada (Métailié) sur Fnac.com

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Anastasia
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