Après avoir traqué des criminels pendant 17 ans, Olivier Norek a décidé de raconter ses histoires dans des polars. L’Éclaireur lui a fait passer un interrogatoire pour décrypter les séries policières et percer les secrets du métier.
Du flingue à la plume. Le virage peut paraître étonnant, mais Olivier Norek le trouve logique et sensé. Pendant presque 20 ans, le capitaine a travaillé au service de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. En 2013, peu après son premier succès littéraire (Code 93), il s’est mis en disponibilité. Malgré cette distance, il confie qu’il fera toujours partie de « cette grande famille qu’est la police ». Aujourd’hui, il consacre son temps à l’écriture de livres et de scénarios, notamment pour les séries Engrenages et Les Invisibles (qui a reçu le prix Vidocq à Séries Mania cette année).
Après nous avoir donné son avis d’expert sur la représentation des flics à l’écran, l’écrivain nous raconte leur quotidien et nous dévoile quelques-uns de ses secrets de policier.
Quand les épisodes ou les saisons des séries policières s’achèvent, l’enquête est bouclée et le meurtrier arrêté. Qu’en est-il dans la réalité ? Quel est le pourcentage d’affaires résolues ?
On a l’une des polices les plus efficaces du monde. 80 % des crimes sont résolus, et il faut ajouter à ce chiffre le travail des gendarmes, de la police municipale, etc. Généralement, les enquêtes sont réglées en quelques jours, parce qu’on file vers les preuves : les empreintes digitales, les témoignages… 80 % des mises en causes viennent du cercle direct de la victime. Mais quand on n’a pas résolu l’affaire à la fin de la semaine, c’est qu’on a raté un truc.
« J’ai trois fantômes d’enquêtes sur les épaules, et ils m’accompagnent. »
Ça peut être un témoin ou une victime complexe, ou même des mensonges. À partir de ce moment, on va partir sur un travail de fourmi et tout analyser, mais là ça peut prendre des semaines, des mois, voire des années. Au début de l’enquête, on est sur du flagrant délit, donc on a quasiment tous les droits, comme la perquisition, la filature ou encore la surveillance. Après, on passe en préliminaire et c’est plus long, car on doit toujours avoir l’accord du magistrat pour agir.
Qu’est-ce qu’on ressent quand on n’arrive pas à résoudre une affaire ? Ça peut créer des fantômes ?
Tout dépend de la victime. Ne pas résoudre une affaire de cambriolage est malheureux, mais ça ne va pas me hanter. Les fantômes arrivent quand je ne peux pas rendre justice à une victime. J’en ai trois sur les épaules, et ils m’accompagnent. Mais je me suis créé un mojo pour essayer de les combattre : “C’est pas tes proches, c’est pas ta peine.” C’est une phrase que j’ai inventée quand j’ai dû faire ma première annonce de décès : un gamin fauché par une voiture. Je suis arrivé devant l’appartement des parents, j’allais appuyer sur la sonnette et j’ai entendu que ça riait, que ça vivait. Je me suis dit que j’allais détruire leur monde. Mon adjoint m’a fait réaliser qu’on était devant la porte depuis 20 minutes et qu’on devait se lancer.
Dans les fictions, des flics sont hantés par ces affaires et se laissent détruire par elles. Comment peut-on se protéger quand on est confronté à l’horreur ?
À 17 ans, j’étais en mission humanitaire en ex-Yougoslavie et j’ai vu et vécu des choses très violentes. C’est à ce moment que j’ai commencé à forger ma carapace. Il faut faire attention à l’empathie, c’est un parasite qui peut nous détourner de la vérité. J’ai été appelé sur une enquête où une gamine de 12 ans était morte. Elle était allongée dans son lit, avec sa robe de communion blanche. Les parents nous ont dit qu’elle ne s’était pas réveillée et qu’ils ne comprenaient pas.
« On pensait que c’était un suicide, mais c’est le mec qui pleurait sur mon épaule qui avait commis un homicide involontaire. »
Ils étaient autour de moi et pleuraient sur mes épaules. J’étais à fond dans l’empathie quand le mec du Samu m’a dit qu’elle était très froide et qu’elle était morte la veille. En fait, le père avait surdosé les somnifères parce qu’elle avait de la toux, qu’il travaillait de nuit et qu’il en pouvait plus de ne pas pouvoir dormir. On pensait que c’était un suicide, mais c’était un homicide involontaire, et c’est le mec qui pleurait contre moi qui l’avait fait. Donc il faut être vigilant avec les émotions.
Les méchants des fictions sont toujours complexes, torturés et ont un QI très élevé. Ceux de la vraie vie sont-ils aussi spectaculaires ?
La plupart du temps, ce sont des personnes normales qui font des erreurs et qui ne sont pas difficiles à arrêter. Des assassins, des violeurs, des kidnappeurs, j’en ai vu des caisses. Et à chaque fois, je suis face à un mec ou une femme effondré par ce qu’il ou elle a fait. Quand tu tues quelqu’un, tu perds aussi une petite partie de toi-même. Le criminal mind peut exister, mais c’est très très rare.
« Émile Louis était un profond crétin. »
Certaines personnes arrivent à faire tourner les policiers en bourrique. L’affaire Fourniret est incroyable : on ne connaît toujours pas le nombre de victimes, ni les lieux d’enfouissement. Le mec était très intelligent. Depuis sa cellule, il a réussi à retourner la tête du chef du gang des postiches et de sa femme pour savoir où il avait planqué l’argent (il y avait des millions dans un cimetière). En sortant de prison, il a tout récupéré et acheté un château pour continuer ses exactions. On pourrait se dire que c’est un assassin bas du front, mais, pour le coup, c’est un vrai criminal mind. À l’inverse, Émile Louis était un profond crétin.
Donc, ces génies du mal très intelligents sont finalement très rares ?
Bien heureusement, la plupart des criminels ne sont pas plus intelligents que la moyenne et se font choper la première semaine ! Il y a aussi ce qu’on appelle l’effet tunnel. Quand tu es dans une situation stressante, tu te focalises sur un seul élément et tu ne vois pas le reste. Un jour, un mec a réalisé que sa femme le trompait. Il a trouvé l’adresse de l’amant, l’a étranglé sur son lit, puis il est reparti. Quand je suis arrivé sur place, j’ai trouvé le portefeuille de l’assassin ouvert sur le torse du cadavre. En étranglant l’amant, le mari était tellement dans cet effet tunnel qu’il n’a pas vu que ses papiers d’identité étaient tombés. On a juste eu à les regarder pour se rendre compte que c’était le voisin. C’était l’enquête la plus rapide du monde. En plus de ne pas être plus intelligentes que les autres, ces personnes sont dans un tel effet de stress qu’ils peuvent passer à côté de détails importants.
Dans votre nouveau livre, le capitaine Victor Coste doit faire parler une femme qui a échappé à son ravisseur, le meurtrier de dix autres jeunes filles. Comment mener un bon interrogatoire ?
C’est à la limite du profilage. J’adore cet exercice, car il est très humain. J’ai déjà interrogé un pédophile et je ne pouvais pas arriver en lui disant que c’est un monstre. Il faut prendre sur soi, on ne peut pas se mettre à dos le mis en cause. Notre taf, c’est d’avoir la vérité. Et pour ça, il faut s’adapter, c’est un travail de mise en confiance. Après, il y a plein de techniques d’audition passionnantes. La première, c’est de laisser parler la personne le plus longtemps possible. Après, tu le laisses poser pendant deux heures comme de la pâte à pain, puis tu lui demandes de tout raconter depuis le début. Répéter un mensonge de quatre heures, c’est quasiment impossible.
« Le mec est persuadé que j’ai un dossier de deux ans et demi sur lui alors que je n’ai que trois pages. »
C’est aussi un jeu d’intelligence. Ce que j’aime faire, c’est leur poser quatre questions. Sur les quatre, il y en a trois dont je connais la réponse et une où je n’ai aucune info. Sur les premières, quand ils répondent approximativement, je leur montre que je sais tout et ça les déstabilise. Ça va les pousser à tout déballer pour les autres. Quand je ne sais rien du tout sur une affaire, j’arrive avec un autre dossier, énorme, et je change juste la première page en mettant le nom du type. Je lui dis : “J’ai déjà les réponses mais je vais vous poser quelques questions.” Le mec est persuadé que j’ai un dossier de deux ans et demi sur lui alors que je n’ai que trois pages.
Dans les brumes de Capelans, d’Olivier Norek, Michel Lafon, 400 p., 20,95 €, en librairie depuis le 7 avril 2022.