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La Tour, de Doan Bui : entre modernité architecturale et littéraire

08 février 2022
Par Sophie Benard
La Tour, de Doan Bui : entre modernité architecturale et littéraire
©JF Paga/Grasset

[Rentrée littéraire] Plongée au cœur des Olympiades, La Tour se présente comme une minutieuse topographie d’un lieu et de ses habitants.

Le projet « Italie 13 » voit le jour dans les années 50 : il vise à rénover le 13e arrondissement, quartier populaire du sud parisien, pour en faire la quintessence de l’« habitat moderne ». Mais le chantier est retardé, puis à moitié abandonné : le quartier reste fantomatique. Il faut attendre les années 80 pour que viennent s’y installer les réfugiés qui fuient le régime communiste vietnamien ou le Cambodge de Pol Pot ; et les années 2000 pour que se l’approprient les cadres sup auxquels il était d’abord destiné : professeurs d’université à Tolbiac, cadres informatiques – et Michel Houellebecq, d’ailleurs.

De loin, la tour Melbourne ressemble à un visage avec des centaines d’yeux qui s’ouvrent et se referment.

Doan Bui
La Tour

La Tour revient sur ce passé, bien sûr, mais aussi sur un passé plus proche encore – celui de la coupe du Monde 98, celui des attentats de 2015. Surtout, la trajectoire des personnages qu’on croise aux Olympiades, chez eux ou dans l’un des nombreux ascenseurs de leur tour, mène à l’époque contemporaine, à la pandémie de Covid-19, aux « radicalisations » diverses et variées. On croise ainsi Victor et Alice Truong, des boat people qui ont fui le Vietnam après la chute de Saigon ; et on partage leurs petites manies et leurs grandes passions.

Alice Truong passait tout son temps libre sur Youtube, où elle regardait des vidéos d’enfants prodiges chinois ou singapouriens jouant du piano et du violon. C’est là qu’elle était tombée sur des vidéos de Justin Bieber enfant, au début de sa carrière. Alice Truong s’en était entichée.

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On croise aussi Ileana, la pianiste roumaine que l’exil a reconvertie en nounou ; ou encore Virgile, un sans-papier sénégalais qui squatte le parking de la tour. Bien sûr, l’ombre de l’écrivain Michel Houellebecq, qui a longtemps habité une tour du quartier des Olympiades, pèse sur le roman par le personnage de Clément, ce jeune homme obsédé du Grand Remplacement.

Vivre ensemble, quelle blague. Il avait bien vu que c’était impossible, en tout cas à Chinatown. À force de vivre avec les Chinois, Clément les supportait de moins en moins. (..) Sa détestation s’était muée en haine avec l’épidémie de Covid en 2020. Tous les virus des dernières décennies étaient venus de Chine et de ses marchés bestiaux.

Doan Bui
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La Tour, de Doan Bui. En librairie depuis le 12/01/2022.

Dans une forme audacieuse qui refuse la facilité et se confronte aux ambiguïtés, la modernité est décrite – ni glorifiée ni décriée – par Doan Bui dans ses moindres recoins, dans ses amours, ses deuils et ses exils. Dans sa bêtise et ses absurdités, aussi. La Tour dresse ainsi le portrait sans concession d’un Paris qui ne rêve plus beaucoup, qui ne fait plus beaucoup rêver non plus – d’un Paris plus vrai que nature.

La Tour, de Doan Bui, Grasset, 352 p., 20,90 €. En librairie depuis le 12/01/2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste