
Primée à trois reprises – dont à Series Mania –, Une amitié dangereuse sera diffusée pour la première fois sur France 2 ce 18 juin. On a profité de l’occasion pour entrer dans les coulisses de la série avec Jérémy Gillet (Louis XIII) et Raïka Hazanavicius (Elen), un duo qui brille par sa fraîcheur et sa complicité.
Adaptation sérielle des romans de Juliette Benzoni (Marie des intrigues et Marie des passions), Une amitié dangereuse raconte les premières années de règne de Louis XIII et Anne d’Autriche, mais aussi la complicité entre la reine et Marie de Chevreuse. En 2024, elle a reçu le prix du meilleur acteur (pour Jérémy Gillet) à Series Mania et a été récompensée à deux reprises (meilleur réalisateur et meilleure musique) au Festival Creatvty à Sète.
Qu’est-ce qui vous attirait dans ce projet ?
Raïka Hazanavicius : C’est toujours un peu difficile de répondre à ce genre de questions, parce que je suis encore une très jeune actrice. En réalité, quasiment tous les projets m’intéressent ! Mais celui-ci était une chance formidable : c’était la première fois que je faisais de l’époque.
Jeremy Gillet : J’avais déjà rencontré Alain [Tasma, le réalisateur, ndlr] sur son précédent projet, Les aventures du jeune Voltaire. J’y jouais déjà un roi – Louis XV –, mais c’était un tout petit rôle. Le courant était très bien passé entre nous, on s’était vraiment bien entendus. J’étais donc très content de le retrouver sur un nouveau projet. J’étais aussi très intrigué par les contraintes et les défis qu’imposait la série d’époque.
En tant qu’acteur, quels challenges ce genre de séries impliquait-il ?
R. H. : Je pense que le plus gros défi de ce tournage, c’était de porter des costumes aussi complexes, avec des corsets. Ils changent complètement notre posture et notre rapport avec notre corps. Quand on tourne une série comme Une amitié dangereuse, on a vraiment l’impression de plonger dans un monde qui n’est pas le sien, qu’on ne connaît pas et qu’on peut facilement fantasmer.
Je dois admettre que c’était difficile de me retrouver ou de trouver mon personnage dans ce cadre. Dans la vie de tous les jours, je suis assez voûtée, j’ai une voix plutôt aiguë et ma façon de parler n’est pas “d’époque”. J’ai dû changer mes habitudes de travail pour ne pas tomber dans le cliché, et aller plus loin que la simple exploration des émotions. C’était hyper intéressant.

J. G. : Les costumes n’étaient pas une aussi grosse contrainte pour moi, parce que je n’avais pas de corset. Je pouvais porter une armure, mais je n’étais clairement pas le plus à plaindre sur le tournage ! Et au contraire, ça m’aidait à me mettre dans une certaine posture. J’avais l’impression de redevenir ce gamin de 8 ans qui s’amuse à jouer aux chevaliers avec des épées et à sauver la princesse. Je dois dire que c’était extrêmement jouissif de porter ces accoutrements et de faire ces scènes “pour de vrai”.
Je pense que mon vrai challenge, c’était plutôt la langue. Les dialogues sont écrits avec du français pur XVIIe, il n’y a rien qui dépasse. Alain [Tasma, le réalisateur, ndlr] y tenait beaucoup : tout ce qui est dit dans la série se disait à cette époque. On avait repéré en amont quelques néologismes, et on a tout gommé. Le fait de s’éloigner de notre manière de parler pour retrouver ce langage du XVIIe siècle était vraiment difficile.

R. H. : D’autant plus qu’on devait faire comme si ce langage était naturel pour nous. Tu n’as pas tes vêtements, tu n’as pas ta façon de parler, tu n’as pas ta posture… Au fond, rien ne t’appartient. Et pourtant, tu dois faire comme si c’était ton quotidien, ta réalité. C’était dur, mais aussi jouissif de pouvoir jouer dans ce type d’environnement. Ce genre d’occasion est rare.
Ce tournage a-t-il fait ressortir votre âme d’enfant ?
R. H. : Oui, d’autant plus qu’on tourne dans de vrais châteaux ! Ce n’est pas du studio. Quand tu arrives le matin, tout le monde est en robe, avec des coiffures d’époque… Et avec des clopes, des cafés et des iPhone à la main ! [Rires] Mais l’immersion est si forte que, franchement, on en arrive au point où ce sont les techniciens qui détonnent dans le décor. T’es en mode : “Bah les gars, il faut…”
J. G. : “Il faut se mettre à la page, vous n’êtes pas dedans là !” [Rires] Les décors nous aidaient vraiment à nous mettre dedans.
R. H. : Ils n’ont pas rigolé là-dessus.

J. G. : Et ça a clairement ravivé mon âme d’enfant. Quand on te dit que tu vas jouer un roi, c’est quand même quelque chose. Ça réveille tout cet imaginaire : les rapports de force, les grandes décisions, les stratégies de guerre, l’idée de partir à la bataille… Ça fait un peu rêver. Mais je me suis aussi posé la question de ma légitimité, car je n’avais jamais mis les pieds en France avant mes 17 ans. Mais en même temps, j’étais peut-être le plus à même de le faire en tant que Belge. Après tout, la Belgique est encore une monarchie, on a toujours un roi, nous ! [Rires]
Tourner dans des châteaux peut néanmoins être intimidant. Avez-vous trouvé un refuge ou une safe place dans ce décor grandiose ?
R. H. : C’était difficile de trouver un endroit rien qu’à nous pour se poser. Il y avait beaucoup de monde, nous n’avions pas de loges et, quand tu es actrice ou acteur, tu passes beaucoup de temps à attendre. Je portais un corset, il faisait très chaud et, avec la chaleur, le corps gonfle, donc je me sentais vraiment à l’étroit.
Quand tu joues, tu ne t’en rends pas compte, mais dès que l’action s’arrête, là, tu sens toute cette gêne, voire de la douleur. Il n’y avait pas vraiment d’endroit où s’allonger ou se poser, et je me disais que la vie au XVIIe siècle devait être compliquée. Ne serait-ce que de marcher toute la journée avec ces petits souliers sur les cailloux, t’arrêtes pas de glisser, tes cheveux partent dans tous les sens… [Rires]

J. G. : La cour intérieure du château était quand même très chouette. Ou j’y ai peut-être simplement pris goût. [Rires] C’était un endroit rassurant.
R. H. : Au-delà des difficultés, le lieu était magnifique. Quand on arrivait sur le décor le matin, on se disait qu’on avait quand même énormément de chance. En revanche, le moment de la cantine était très drôle. On nous mettait des bavoirs et on desserrait nos corsets, donc on avait l’impression d’être en sous-vêtements d’époque. [Rires] Lily Gantelmi, qui est la troisième assistante, a pris beaucoup de photos de ces moments avec nos grandes robes, nos lunettes de soleil sur le nez et nos ordis sur les genoux.
Une amitié dangereuse raconte les premières années de règne de Louis XIII et Anne d’Autriche. Qu’est-ce que cette série vous a appris sur cet épisode de l’histoire ?
J. G. : Tout ! Le scénario est extrêmement fidèle à l’histoire. Alain [Tasma, ndlr] a fait des années de recherches pour coller au plus près à la réalité. Et au-delà de la simple véracité des faits, il tenait à ce que les acteurs aient l’âge réel des figures historiques au moment où les événements se déroulent. D’habitude, ces personnages sont joués par des comédiens qui ont déjà la trentaine – comme Louis Garrel dans Les trois mousquetaires.
Comment avez-vous préparé vos rôles respectifs et quelles étaient vos inspirations historiques ou artistiques ?
J. G. : Pour moi, il y avait un éléphant au milieu de la pièce : le bégaiement. J’appréhendais un peu cet exercice et je me demandais comment j’allais bien pouvoir l’aborder. C’était un défi bien plus grand que l’équitation ou la fauconnerie. Je n’ai pas l’habitude de m’inspirer de figures ou d’acteurs précis, car je trouve ça assez enfermant. En revanche, j’ai fait une exception pour le bégaiement.
J’ai regardé beaucoup de témoignages de personnes bègues, écouté des interviews et visionné le film Le discours d’un roi. La performance de Colin Firth était une référence incontournable, je ne pouvais pas passer à côté, à la fois pour le côté “roi” et pour le bégaiement. Pour préparer mon rôle, je m’étais donc fait une sorte de “playlist du bégaiement” avec une dizaine d’extraits que j’écoutais chaque matin.

R. H. : De mon côté, le plus gros challenge était de trouver la justesse de la relation avec Kelly Depeault, l’actrice principale. Dans la série, je suis sa servante, à son service depuis toujours. Alain [Tasma, ndlr] nous a fait répéter toutes les deux pour que l’on trouve cet équilibre très particulier : une véritable amitié et, en même temps, un rapport de force constant, propre à l’époque, qu’on retrouve aussi entre Marie de Rohan et la reine Anne d’Autriche. Ma manière de travailler, c’est de toujours chercher ce qui est vrai. Ce qui vient de moi et peut transpirer la vérité.
Je me demande toujours ce que je peux apporter de sincère au film ou à la série. Et cette sincérité, je l’ai trouvée en dehors du plateau. Dans la rencontre avec Kelly, qui arrivait du Québec, et dans les moments partagés au quotidien qui m’ont nourrie. Le fait de vivre tous ensemble dans la même maison a été essentiel. Je connaissais déjà Jérémy, mais on n’avait pas de scène ensemble, donc je n’ai pas pu exploiter ce lien à l’écran. [Rires]

J. G. : Mais sa présence dans le projet me rassurait !
R. H. : Pareil ! Mais au final, j’avoue que je suis arrivée sur le tournage comme une enfant sur un terrain de jeu. Je me disais : “Trop bien, on va être déguisés ! Je vais dire des mots que je ne comprends même pas et on verra bien ce qui se passe !” [Rires] Honnêtement, je n’ai pas senti de pression particulière, et c’est parce que je faisais une confiance absolue à Alain. Quand vous êtes face à quelqu’un qui maîtrise son sujet à ce point, ça devient très simple. Je lui ai dit : “Écoute, moi, je n’y connais rien, alors je te suis.” C’est hyper agréable de se laisser porter.
Vous reconnaissez-vous dans vos personnages respectifs ?
R. H. : Quand on était tous les quatre à Series Mania – Jérémy Gillet, Stéphanie Gil, Kelly Depeault et moi –, j’ai pris du recul et je me suis dit : “C’est fou, ce casting n’aurait pas pu être fait autrement.” Ça dégoulinait de vérité, même au quotidien. Quand on était tous ensemble à la maison et qu’on discutait de la vie, nos points de vue ressemblaient étrangement à ceux de nos personnages. À l’origine, j’avais passé le casting pour incarner le rôle de Marie de Rohan…
J. G. : Et tu étais très bien !

R. H. : Oui, mais c’est beaucoup plus naturel pour moi de défendre les opinions d’Elen – même si je ne suis pas une balance. [Rires] Je me reconnais dans ses valeurs, son rapport à la pudeur et à l’amour.
J. G. : Moi, pas du tout.
R. H. : Toi, c’était de la compo à 100 %.
J. G. : Au-delà de ça, je ne comprenais pas pourquoi j’avais été sélectionné. J’ai passé six ou sept tours de callbacks et, quand Alain Tasma m’a finalement annoncé que j’avais le rôle, il m’a avoué qu’il pensait à moi depuis le tout début. Je me suis dit qu’il s’était complètement trompé, parce que j’avais très peur de ne pas avoir cette assise, l’autorité que requiert le poste de roi… Dans ma tête, il fallait quelqu’un de plus en place, de plus ancré, de plus massif, quelqu’un avec un regard plus droit, une autre prestance. Et quand je me suis rendu compte que Louis XIII partageait ces mêmes doutes et angoisses sur la question de la légitimité, je me suis dit que c’était justement ça, ma porte d’entrée dans le personnage.
Dans le premier épisode, Louis XIII est souvent moqué et incompris. Avez-vous déjà eu la sensation de ne pas être à votre place ?
R. H. : Je pense que tout le monde a déjà partagé ce sentiment. Sauf ceux qui sont très très très à l’aise.
J. G. : Ou qui ont eu beaucoup beaucoup beaucoup de chance. Mais je pense qu’on a tous déjà été moqués ou été dans une situation d’humiliation dans notre vie, que ce soit à travers le harcèlement scolaire ou après. Pour le coup, ce n’est pas un sentiment qu’on a besoin d’aller chercher très loin dans l’imagination pour l’incarner.
R. H. : Après, ce qui est vraiment intéressant avec ton personnage, c’est qu’il a un ego extrêmement fragile. Tout le monde a déjà été moqué dans sa vie, mais lui, c’est plus complexe, car l’humiliation est plus subtile. Parfois, il se sent rabaissé, sans que ce soit forcément l’intention de la personne en face. Et il s’enferme dans des tourbillons de doutes. Ce qui est beau avec Louis XIII, c’est qu’il est constamment piégé là-dedans. Et comme c’est le roi, le drame est double : personne ne peut l’aider à en sortir et personne ne peut le forcer à se remettre en question.

J. G. : Et ils se moquent de lui dans son dos. Au-delà de l’humiliation, ce qui m’a beaucoup guidé dans la création de ce personnage, c’est de comprendre qu’il a grandi dans une méfiance constante de tout le monde. Il ne faut pas oublier le contexte : sa propre mère veut le destituer, son frère est une menace pour le trône et son père est mort quand il avait à peine 8 ou 9 ans. C’est d’ailleurs ce traumatisme qui est à l’origine de son bégaiement. Quand vous grandissez dans une méfiance aussi absolue et permanente, ça forge une personnalité. Ça explique ce côté froid et distant qu’il peut avoir. Il essaie de s’effacer du mieux qu’il peut derrière sa fonction de roi… mais il n’y arrive pas.
R. H. : Il aurait besoin d’un psy… Il manquait un poste à la cour, je crois. [Rires]
La série met en scène la sororité entre deux femmes face à un pouvoir masculin étouffant. Avez-vous la sensation que, malgré son aspect historique, Une amitié dangereuse a une résonance avec l’époque actuelle ?
R. H. : Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est actuel. Dieu merci, les choses ont quand même un peu changé ! Mais ce qui est passionnant dans la série, c’est que Marie de Rohan était une femme de pouvoir – ce qui était interdit pour une femme, à l’époque.
J. G. : C’était même impensable.
R. H. : Et c’est en cela qu’elle est extrêmement moderne : elle a une soif de pouvoir qui est même plus forte que celle de certains hommes de la cour. La question, c’est de savoir comment elle va assouvir ce besoin avec les seules armes dont elle dispose, à savoir son corps, sa sexualité et sa liberté. Elle va donc essayer de créer une sorte d’armée de femmes. Et ça fonctionne. Elle réussit à éveiller d’autres personnages, dont la reine, à influencer les conversations à la cour et même à renverser la première dame. Donc oui, il y a une modernité dans cette idée de sororité, dans le fait de se soutenir et de s’écouter les unes les autres. On perçoit déjà à cette époque un élan de féminisme.

J. G. : Il y a des scènes qui sont voulues et pensées pour ça. Je pense à celle où Anne d’Autriche apprend les gestes pour faire l’amour et pour éveiller le désir. C’est une séquence composée à 100 % de femmes qui parlent de sexe. Et avoir ça sur le service public, c’est trop bien. Ces thématiques sont aussi des clins d’œil aux difficultés bien réelles que les femmes rencontraient à l’époque. Et je pense que ce n’est pas un hasard si Alain Tasma a tenu à s’entourer d’une équipe majoritairement féminine pour raconter cette histoire.
Nous avions une cheffe opératrice, une première assistante… beaucoup de postes très importants sur le tournage étaient occupés par des femmes. C’était quelque chose d’important pour lui, pour nous tous d’ailleurs. Il y avait une vraie cohérence entre le sujet de cette production et la façon dont elle a été faite.
Dans la note d’intention, Alain Tasma affirme que la série parle d’un amour “qui n’est rien s’il n’est pas folie”. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
R. H. : Non. Alain Tasma est un personnage que j’aime énormément et qui est très énigmatique. C’est un homme de 75 ans, de l’ancienne école, et pourtant, il décide de faire une série sur une femme en s’entourant délibérément de jeunes plutôt politisés, assez éveillés. Durant le tournage, il s’est constamment remis en question. Par exemple, au début, il refusait de faire appel à un coach d’intimité, mais ensuite, il revenait vers nous en nous demandant : “Mais vous pensez que c’est vraiment nécessaire ? Ça vous ferait du bien ?”
C’est une personne très ouverte. On le voit aussi dans son choix de l’actrice principale : il a casté toutes les comédiennes de Paris, avant de finalement trouver une Québécoise – et les Québécois sont beaucoup plus éveillés que les Français sur l’égalité des sexes. Je pense que tous ses choix ne sont pas anodins.

J. G. : Et le rapport de tout ça avec la citation du coup… ? [Rires]
R. H. : J’y viens, je te remercie. [Rires] Tout ça pour dire que, pour moi, cette série ne traite pas fondamentalement d’amour. On parle de pouvoir, on parle de rapports de force. Et surtout, on parle des limites auxquelles les femmes se heurtaient à cette époque. Elles avaient beau se battre, elles se prenaient souvent des murs.
J. G. : Alain Tasma aime beaucoup citer des auteurs. Il nous répétait souvent cette phrase d’Oscar Wilde : “Tout, dans la vie, est une question de sexe, sauf le sexe. Le sexe est une question de pouvoir.” Et je trouve que cette citation représente beaucoup mieux la série. Je ne suis pas d’accord avec cette phrase selon laquelle l’amour ne serait rien sans folie. Au contraire. Pour moi, ça demande de la sérénité, de la bienveillance et de la lucidité.