Décryptage

Comment Jane Austen continue d’inspirer nos séries, plus de 200 ans après sa mort

14 février 2024
Par Nella Chebbah
Le film “Orgueil et Préjugés” est sorti en 2005.
Le film “Orgueil et Préjugés” est sorti en 2005. ©Mars Distribution

Figure incontournable de la littérature britannique, Jane Austen et ses écrits aussi romantiques que satiriques sont une source d’inspiration inépuisable du petit écran. En cette Saint-Valentin, quoi de mieux que de se pencher sur le succès d’une autrice qui nous donnerait presque envie de tomber amoureux ?

Des regards volés, des mains qui rêvent de s’effleurer, des déclarations mesurées, mais pleines de passion, et parfois même un peu d’incompréhension… Ces éléments sont souvent associés au travail de Jane Austen. L’univers de l’autrice britannique fait rêver et continue, encore et toujours, de fasciner toutes les générations avides de romance. Tant et si bien que de nouvelles adaptations de ses livres ne cessent de voir le jour, sans compter les séries et films qui s’inspirent directement de ses personnages et de ses histoires. Mais quel est son secret ?

Jane Austen, vendeuse de rêves et de réalisme

Raisons et Sentiments, Persuasion, Orgueil et Préjugés… Jane Austen est considérée par beaucoup comme une experte de la romance et de la passion. Les histoires d’amour qu’elle raconte fascinent, et pas seulement les âmes les plus romantiques et sensibles.

Son atout ? Savoir mêler le romantisme et une vision plus terre à terre du mariage. Professeure de culture visuelle de l’UFR d’études anglophones de l’université Paris Cité, Ariane Hudelet explique que « l’amour n’est jamais distinct du côté matériel, c’est très pragmatique comme choix. Cette dimension réaliste des implications matérielles du mariage est quelque chose qui intéresse Jane Austen. Elle est aussi très forte pour décrire les émois de l’âme, notamment par le rythme de sa prose ».

Les cœurs les plus sensibles sont séduits et les plus mesurés y trouvent, eux aussi, leur compte. Jane Austen, ce n’est pas seulement des histoires d’amour qui se terminent bien. C’est aussi un cadre enchanteur et léger, si éloigné de notre quotidien que l’évasion est assurée. « On a cette appétence pour un monde préindustriel qu’on idéalise sans doute un petit peu », souligne la spécialiste.

Demeures somptueuses, jardins infinis, longues robes, crinolines et chemises à jabot forment en effet un paysage idyllique participant pleinement à la déconnexion du public, attiré vers un univers savamment décrit qu’il n’a jamais connu et seulement imaginé.

À cela s’ajoute le talent de l’autrice pour ajouter juste ce qu’il faut d’humour, grâce à son regard subtilement critique sur ses propres personnages et leurs choix. Le monde de Jane Austen est ainsi la balance parfaite entre contes de fées, légèreté et ce qu’il faut de modernité.

Des personnages intemporels

Cet univers, cette époque et son esthétique sont des atouts visuels majeurs qui contribuent sans nul doute au foisonnement des adaptations visuelles de ces romans. Pour autant, ce n’est pas toujours ce que les spectateurs apprécient en premier. En effet, la véritable star d’Orgueil et Préjugés est bien la relation entre Elizabeth Bennet et Mr Darcy.

On ne parle pas seulement d’amour, ni de passion, mais bien des tribulations qui ont mené les personnages l’un vers l’autre, de la dynamique qui les unit et découle de leurs personnalités. « Les dialogues dans ses romans sont nombreux et magnifiquement bien écrits, analyse Ariane Hudelet. C’est du pain béni pour les scénaristes et les producteurs : le travail est en partie fait. »

©Mars Distribution

De plus, Jane Austen a un réel talent pour imaginer et développer des personnages « qui restent longtemps avec nous, et dont on se souvient ». Ses héroïnes, au centre de tous ses romans, ne sont pas simplement des jeunes femmes se laissant bercer par l’amour et ce que leur disent les autres. Elles réfléchissent par elles-mêmes, prennent leur destin en main et grandissent au fil de leurs décisions. « Elles ne sont pas bêtes, elles ont des égarements, mais elles apprennent, elles progressent, détaille la professeure. Leur objectif est d’accéder à la vérité, toutes seules. »

©BBC One

Au travers de ses écrits, Jane Austen a ainsi réussi à donner vie à des protagonistes aux identités et aspirations différentes, mais dont les parcours et les questionnements restent intemporels et universels. Comme nous, ils sont imparfaits, se trompent, se cherchent et apprennent de leurs erreurs. On peut s’identifier à leur vécu, les émotions, les situations qu’ils traversent et les dilemmes auxquels ils sont confrontés, malgré les siècles qui nous séparent.

Les débuts de l’Austen-mania

L’univers de Jane Austen a débarqué pour la première fois à la télévision avec le téléfilm Orgueil et Préjugés, produit par la BBC en 1938. Hollywood lui a ensuite ouvert les bras en 1940, avec une adaptation filmique de la même œuvre, avec Laurence Olivier et Greer Garson dans les rôles-titres. Publié en 1813, le roman est de loin celui qui a été le plus porté à l’écran, à la télévision ou au cinéma, et sous toutes les formes possibles et inimaginables (y compris avec des zombies). On lui doit aussi le début du mouvement de l’Austen-mania.

La minisérie diffusée sur la chaîne BBC 1 entre septembre et octobre 1995, composée de six épisodes, a rencontré un tel succès que les téléspectateurs se sont arraché les coffrets VHS avant même la fin de la diffusion. Au total, près de 10 millions de personnes se sont réunies devant le chapitre final.

Encore aujourd’hui, cette adaptation reste l’une des plus connues et des plus appréciées, notamment grâce à sa fidélité à l’œuvre originale. Pour autant, l’une de ses scènes les plus emblématiques ne figure pas dans le roman : celle où M. Darcy, interprété par Colin Firth, pique une tête dans un lac avant de tranquillement continuer son chemin, complètement trempé et débraillé.

©Netflix

Cette séquence est devenue une véritable référence culturelle, et même la saison 2 de La Chronique des Bridgerton lui a rendu hommage. Dans l’épisode 5, le vicomte Anthony Bridgerton tombe malencontreusement dans l’eau et en ressort avec une chemise blanche mouillée et transparente, sous les yeux ébahis (et appréciateurs) des passants présents.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul clin d’œil au show de 1995. Tout comme M. Darcy, Lord Bridgerton sait exactement ce qu’il cherche chez une future épouse, au point d’en faire une liste, et aime se défouler en jouant de son sabre.

Depuis la fin des années 1990, l’Austen-mania poursuit son chemin. Chaque nouvelle décennie connaît son lot de nouveaux films, séries et téléfilms. En 2009, c’est la série Emma, diffusée sur la BBC, qui remporte tous les suffrages et devient l’une des adaptations de référence du roman. Sans trop de surprise, la chaîne de télévision britannique reste numéro 1 lorsqu’il s’agit de porter l’univers de Jane Austen à l’écran.

Difficile de parler de ce mouvement sans mentionner le film Orgueil et Préjugés de 2005 avec Matthew Macfadyen et Keira Knightley. Réalisé par Joe Wright, le long métrage se démarque et offre une version beaucoup plus romantique de l’histoire, que ce soit par l’écriture des personnages, son esthétique ou le choix des costumes. Bien que ce parti pris divise, la recette fonctionne à merveille auprès des spectateurs et conquit le cœur d’une nouvelle génération de fans. Le film est ainsi devenu un élément marquant de la pop culture, presque au même titre que la série de 1995, et participe à renforcer cette idée de « romance à la Jane Austen ».

Quand Jane Austen rencontre le monde contemporain

La modernité et l’humour de l’écriture de Jane Austen font de ses romans un terrain de jeu idéal pour les scénaristes de comédies romantiques. Les cultissimes Clueless (1995) et Le Journal de Bridget Jones (2001) en sont le parfait exemple, et adaptent librement Emma et Orgueil et Préjugés.

Colin Firth a ainsi joué M. Darcy à deux reprises, et ces interprétations parviennent toutes les deux à mettre en avant des héroïnes imparfaites, déterminées et parfois maladroites, en usant d’humour et d’une bonne dose de romance.

©Alex Bailey et Paul Chedlow

Pour autant, jouer la carte du contemporain ne fonctionne pas toujours. Preuve en est avec Persuasion, sorti en 2022 sur Netflix et avec Dakota Johnson en tête d’affiche. Son héroïne use d’expressions de notre époque et brise le fameux quatrième mur, comme dans Fleabag, sur fond de XIXᵉ siècle. Notre monde se confronte alors à celui de Jane Austen, mais sans la magie qui va avec. Le tout manque de subtilité, et s’éloigne complètement de l’univers tant attendu.

Une chose est sûre : que le succès soit, ou non, au rendez-vous, l’autrice fascine aussi bien les spectateurs que les scénaristes et réalisateurs. De quoi leur donner envie de continuer à s’en inspirer pendant encore de nombreuses années.

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