
Après trois ans de silence quasi mystique, Damso livre enfin BĒYĀH, son ultime album, prévu pour le 30 mai. Un projet qui clôt une décennie de rap introspectif en même temps qu’il ouvre une nouvelle ère : celle du cinéma. Retour sur un film dans le film.
Annoncer sa retraite à seulement 33 ans : en temps normal, on ne voit ça que dans le monde du football. Mais le joueur dont il est ici question a depuis ses débuts l’habitude de jouer en dehors du terrain. William Mwamba, dit Damso, prend tout le monde de court en octobre 2023 (à seulement 30 ans) en gravant sur les vinyles de la réédition live de QALF une phrase gravée qui fera couler beaucoup d’encre : « BĒYĀH sera mon prochain album. »

À la manière d’un Quentin Tarantino annonçant la fin de sa filmographie longtemps à l’avance, le rappeur belge déclenche alors une onde de choc qui va durer deux longues années. Un temps étonnamment long à l’heure du streaming, et qui mérite quelques arrêts sur image.
Un camping-car, de vieux sons et le Congo
Hormis la sortie d’un faux dernier album pas prévu (J’ai menti en novembre 2024) et d’un titre inédit pour le Sidaction (Grand soleil, en featuring avec Eddy de Pretto, Kalash Criminel, Medine et une dizaine d’artistes), Damso a fait profil bas pendant deux ans. Sa première décision, avant même l’annonce de sa fin programmée ? Prendre la route à l’été 2023 et voyager dans un camping-car transformé en studio mobile, pour déjà faire une pause et prendre du recul face à l’industrie du disque.
Cette pause artistique traduit dès 2023 le besoin de l’auteur de Batterie faible de les recharger. L’auteur de quatre albums en quatre ans et père de famille souhaite alors calmer le jeu. Plus de son plus d’images pour Damso pendant une longue année, jusqu’à la publication de Vieux sons, une compilation de 11 morceaux inédits offrant à ses fans un aperçu de ses archives musicales.
Nous sommes alors en août 2024 et les fans de la damsologie ont déjà bien compris le message codé : le rappeur qui, enfant, a fui la guerre en République démocratique du Congo veut désormais en finir avec la dictature de l’urgence.
Rendez-vous rue de la Paix
Début 2025, c’est justement le titre Free Congo, publié en collaboration avec Josman, Youssoupha et Kalash Criminel qui lui permet de revenir dans l’actu pour alerter sur la situation du pays qui l’a vu naître. Préoccupé par les questions raciales, l’esclavage et la décolonisation des esprits, le Damso de 2025 semble donc plus politique que psychanalytique : « Mon souci désormais c’est d’éduquer les prochaines générations, explique-t-il dans l’émission Clique de Mouloud Achour. Maintenant que j’ai cette force médiatique, je vais l’utiliser. » Oui, mais à quoi ? Certainement plus à faire des albums, puisqu’il estime « avoir fait le tour de ce format ».
« J’écrirai toujours du rap, c’est mon premier amour, mais les codes ne sont plus les mêmes. »
Damso chez Clique
La musique ? Oui, il en composera encore, et il réfléchit même à écrire une comédie musicale. Mais inévitablement, BĒYĀH marque la fin d’un cycle pour celui qui a connu la guerre, la rue et, finalement, la paix intérieure. Pas vraiment étonnant quand on sait qu’il fut l’un des premiers à évoquer le concept de santé mentale et du « jeûne de parole » pour se ressourcer.
Le rap, c’était mieux avant ?
Outre le fait d’avoir découvert les joies de la paternité et de la reconnaissance artistique, Damso explique aussi ce dernier album par la mort annoncée de la punchline. « Le public n’écoute plus de la même façon qu’avant, on apprécie plus les phrases que les punchlines, on passe d’un son à un autre, le game a changé, explique-t-il sans nostalgie sur le plateau de Clique. Moi, je ne ressens plus l’effervescence du hasard quand j’enregistre. » Voilà peut-être la raison pour laquelle BĒYĀH contient un featuring avec une intelligence artificielle (Magic).
Et comme il regrette que le marketing soit devenu une partie du storytelling musical, Damso ne s’interdit clairement plus rien : un titre en hommage à Jean-Claude Van Damme (JCVDEMS), un autre inspiré par le mathématicien italien Fibonacci, à l’origine du « nombre d’or », des projets de livres ou d’exposition, et même un film de 34 minutes projeté au Festival de Cannes cette année, qui le propulse désormais dans une nouvelle dimension.
Damso au cinéma
À l’inverse de nombreux musiciens (Orelsan, Angèle) surfant sur la vague des documentaires pour faire la promo de leurs nouveaux albums, Damso prend aujourd’hui le chemin inverse avec ce dernier album, qui ressemblerait presque à un prétexte pour expliquer le lancement de R.E.M., un court-métrage de science-fiction supposé donner les clefs de la damsologie, et conçu comme le début d’une série à cheval entre Matrix (1999) et 2001, l’odyssée de l’espace (1968). « J’ai commencé à écrire quand j’avais 8 ans, expliquait Damso à Brut en mai lors du Festival de Cannes. Mais, quand j’ai commencé l’écriture, c’était des scénarios, plein d’histoires. »
La suite des pensées noires de Damso, ce sera donc a priori dans les salles obscures, à la différence que, cette fois, il devrait y avoir des images pour mieux comprendre le rappeur le plus crypto de sa génération. Et si c’était lui, le vrai fils spirituel de David Lynch ?