Critique

[Festival de Cannes 2025] Météors : illusions perdues dans la diagonale du vide

23 mai 2025
Par Agathe Renac
“Météors” est le nouveau film d'Hubert Charuel.
“Météors” est le nouveau film d'Hubert Charuel. ©Pyramide Distribution

Huit ans après le triomphe de Petit paysan, Hubert Charuel est de retour au Festival de Cannes avec un film personnel sur l’amitié masculine et la dépendance.

Quand il était plus jeune, Hubert Charuel voyait le cinéma comme un moyen d’évasion. Une façon de bousculer son quotidien. « [C’]était la seule chose qui nous sortait de la ferme de mes parents, raconte-t-il dans une interview accordée au Festival de Cannes. C’était un investissement de leur part parce qu’ils n’avaient pas le temps. Une fois par semaine, on effectuait 30 minutes de route, on s’évadait pendant deux heures et on en parlait. » C’est justement cette empathie et ces valeurs humaines qui ont fait le succès de Petit paysan. Passé par la Semaine de la critique en 2017, son précédent long-métrage a remporté trois César, dont celui du meilleur premier film.

Un projet personnel

Huit ans plus tard, Hubert Charuel est de retour au Festival de Cannes avec Météors. Présentée dans la sélection Un certain regard, cette œuvre nous embarque dans la Haute-Marne, terre natale du cinéaste située en plein cœur de la diagonale du vide. « Adulte, j’ai eu la sensation qu’en étant à la fois enfant de paysan et enfant de la ”diagonale du vide”, j’avais un point de vue sur cet endroit et ces habitants qui méritait d’exister », confie-t-il dans l’interview.

Projet très personnel, Météors suit le quotidien sans éclat de Mika (Paul Kircher) et Daniel (Idir Azougli). Entre deux soirées alcoolisées au bowling du coin, ces deux inséparables enchaînent les petits boulots, rongés par ces rêves trop grands pour leur réalité trop petite. Leur objectif ? Quitter la région et monter un refuge pour chiens à La Réunion.

Seulement voilà : Mika travaille au Burger King et Daniel enchaîne les mauvais plans qui flirtent très souvent avec l’illégalité. Le dernier en date ? Le vol d’un chat Maine coon – une race très prisée et très chère – qu’il compte revendre pour se faire quelques centaines d’euros.

©Pyramide Distribution

Sans surprise, le kidnapping tourne mal et la sanction ne tarde pas à tomber : une comparution immédiate, le risque d’une peine de prison et plusieurs milliers d’euros d’amende, et six mois pour prouver leur volonté de changer. Embauchés par Tony – roi du BTP local et troisième membre de leur groupe, incarné par Salif Cissé –, les deux compères commencent à travailler dans une poubelle nucléaire pour sauver leur peau. Un job difficile, qui mettra leur amitié en danger.

Des personnages justes et réels

Avec un réalisme percutant et une empathie désarmante, Hubert Charuel décrit la vie de cette jeunesse en marge. Dans la lignée de Nicolas Mathieu, le cinéaste aborde avec beaucoup de subtilité la question de ceux qui restent, ceux qui partent et ceux qui rêvent de quitter cette diagonale du vide. À travers Mika et Daniel, le réalisateur français capte l’essence d’une amitié mise en péril par l’immaturité et les dépendances des héros.

©Pyramide Distribution

Si le premier veut changer et arrêter l’alcool et la drogue, le second cumule les mauvaises décisions, préférant toujours foncer vers la pire option. « Les personnages sont inspirés de ceux qui m’entouraient », assure le metteur en scène dans l’interview. On y croit, tant tout paraît vécu, authentique. Et on ne peut que s’attacher à ces deux losers désespérément humains.

D’autant plus que la force du film repose sur son casting éclatant. Paul Kircher incarne avec brio ce jeune homme trop gentil dépassé par les bêtises de son ami et Idir Azougli nous impressionne tout autant avec son énergie brute et sa fragilité, qu’il tente de faire taire avec l’alcool et les joints. Leur alchimie est évidente et crève l’écran : on rit, on espère avec eux et on se laisse porter par ce drame social qui nous prend aux tripes.

Chronique d’une amitié complexe

Visuellement, la photographie participe à cette impression d’enfermement. Elle nous embarque dans ces paysages ternes, sur ces routes obscures parcourues à toute vitesse en voiture, la nuit, musique à fond, qui traduisent parfaitement cette sensation d’une jeunesse bloquée dans un quotidien sans perspective. Hubert Charuel excelle dans l’art de retranscrire ces moments suspendus, comme cette improbable enquête pour retrouver Moby Dick, une carpe légendaire qui pourrait devenir leur ticket pour une autre vie.

Malgré des errances scénaristiques – le film s’égare parfois sur les obsessions de Mika –, Météors captive. Les personnages principaux et secondaires (une juge, une avocate, une assistante sociale) sont d’une justesse rare. Le cinéaste nous prouve une nouvelle fois sa grande capacité empathique en explorant la (vaste) thématique de l’amitié, avec son lot d’épreuves et de choix absurdes, et son usure quotidienne, trop souvent imbibée d’alcool. Après Petit paysan, le réalisateur français nous offre un autre film nécessaire, sensible et résolument humain.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste