Critique

A Real Pain de Jesse Eisenberg : questionner la douleur

27 février 2025
Par Robin Negre
“A Real Pain”, au cinéma le 26 février 2025.
“A Real Pain”, au cinéma le 26 février 2025. ©Searchlight Pictures

Le nouveau film de Jesse Eisenberg est un road trip sensible centré autour du devoir de mémoire et des relations familiales.

Avec A Real Pain, l’acteur, scénariste et réalisateur Jesse Eisenberg offre une œuvre essentielle autour du devoir de mémoire de la Seconde Guerre mondiale.

Film profondément personnel et intimiste, A Real Pain est un voyage initiatique touchant, qui questionne l’héritage et les chemins de vie, tout en étant focalisé sur le parcours introspectif de ses deux personnages principaux.

Kieran Culkin et Jesse Eisenberg dans A Real Pain.©Searchlight Pictures

David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin) sont deux cousins new-yorkais juifs qui se sont perdus de vue après avoir été inséparables durant leur jeunesse. Après le décès de leur grand-mère, ils décident de partir en Pologne pour découvrir là où elle vivait avant la guerre, tout en visitant certains lieux importants de l’histoire juive, dont les camps de concentration.

A Real Pain se présente à la fois comme un film « tranches de vie » et un road trip. Moins de 1h30 au compteur, il peut notamment compter sur l’improbable exubérance (et souffrance) de Benji, magnifiquement interprété par Kieran Culkin. Si, à l’origine, Jesse Eisenberg (qui incarne David, un père de famille névrosé et introverti) voulait interpréter Benji, ayant écrit le rôle d’un personnage auquel il aurait aimé ressembler, la productrice du film, Emma Stone, lui aurait déconseillé de prendre le rôle. La raison ? Une partition trop exigeante et complexe qu’il n’aurait pas pu assumer en jouant dans le film et en le réalisant. Ainsi, en interprétant David, Jesse Eisenberg renoue avec son style habituel, entre mutisme et débit de parole constant.

A Real Pain.©Searchlight Pictures

David et Benji sont deux hommes différents qui ne partagent pas les mêmes choses. Néanmoins, un profond lien unit les deux cousins et, à travers ce voyage, ils apprennent à se (re)connaître tout en découvrant des choses sur eux-mêmes.

Une “tranche de vie” sous forme de road trip

Le film est ainsi construit sous forme de moments de vie liés, au sein de ce voyage et des différentes rencontres. Des tranches de vie, des saynètes articulées par la découverte des lieux, du paysage et du devoir de mémoire qui en découle. Jesse Eisenberg montre dans le film son talent pour l’écriture des dialogues et des situations. Ne s’empêchant pas le drame ou la comédie, il fait vivre aux personnages un large spectre émotionnel.

Au fond du sujet, le souvenir des camps, de la Shoah et de l’immigration vers les États-Unis des Européens. Quelques semaines seulement après The Brutalist, un autre film s’empare ainsi du sujet en s’intéressant cette fois-ci non plus aux rescapés des camps dans un nouveau monde, mais aux descendants de cette génération, qui décident de retourner sur les lieux du souvenir. Cette approche, en accord avec le temps, permet à Jesse Eisenberg d’alterner les tons et les genres, sans oublier la gravité du sujet.

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Kieran Culkin comme catalyseur de la souffrance

Car si A Real Pain a des allures de tragicomédie, la souffrance évoquée par le titre est bien au cœur du sujet. L’intime côtoie ainsi la grande histoire. Si les protagonistes sont touchés par le poids du passé, ils vivent aussi avec leurs failles, leurs traumatismes et leurs blessures. Le personnage de Benji est ainsi un catalyseur de ces différentes peines, représentées, à vif, par Kieran Culkin. L’acteur est désormais un visage familier des spectateurs. Si pendant longtemps il était « simplement » le frère de Macaulay Culkin, l’enfant-star de Maman, j’ai raté l’avion, l’acteur est, depuis son rôle dans la série Succession, un nouveau talent incontrôlable.

Après plusieurs rôles secondaires au cinéma et à la télévision, il connaît la consécration en incarnant l’un des fils de Logan Roy dans la série à succès de HBO et impressionne par son style de jeu inqualifiable. Avec A Real Pain, il trouve un grand rôle cinématographique et affirme son style de comédien. Sans se cacher de la ressemblance flagrante avec sa prestation dans Succession, Kieran Culkin est touchant dans l’excès et dans l’exubérance. Après une consécration aux Golden Globes, il part favori dans la course aux Oscars pour le meilleur second rôle masculin.

A Real Pain.©Searchlight Pictures

A Real Pain est une double affirmation. Celle d’un acteur important, bien au fait de son jeu et de son talent, et celle d’un auteur-scénariste-réalisateur au propos fort et au style accueillant. Jesse Eisenberg semble être le digne héritier de la façon de faire de Woody Allen – une référence cinématographique qu’il reconnaît volontiers et qu’il avait pu observer sur le tournage de Café Society (2016). Entre l’approche très « carte postale » de la ville, le débit de dialogues et le regard porté sur les personnages, l’ancienne star de The Social Network parvient à convaincre dès son deuxième film en tant que réalisateur.

Plus marquant encore, il adopte la même posture, dans son film, que celle prise par Woody Allen dans nombre de ses œuvres. Tel un témoin et un observateur, en dissonance avec la partition des autres protagonistes, il exprime constamment son malaise et son mal-être, en miroir avec son personnage fantasmé, Benji. Touchant et sensible.

La bande-annonce du film A Real Pain.

A Real Pain, de et avec Jesse Eisenberg et Kieran Culkin, 1h29, au cinéma le 26 février 2025.

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