Critique

Queer : le trip hallucinogène avec Daniel Craig fonctionne-t-il ?

24 février 2025
Par Lisa Muratore
Daniel Craig et Drew Starkey dans “Queer”, au cinéma le 26 février 2025.
Daniel Craig et Drew Starkey dans “Queer”, au cinéma le 26 février 2025. ©The Apartment SRL/Numero 10 SRL/Pathé Films All rights reserved/Gianni Fiorito

Luca Guadagnino est de retour au cinéma avec Queer. En salles le 26 février, le film retrace les pérégrinations mexicaines de Lee incarné par un Daniel Craig flamboyant. Critique.

Après Challengers en avril 2024, Luca Guadagnino est déjà de retour avec Queer, ce 26 février. Présenté à la dernière Mostra de Venise, le long-métrage est une adaptation du roman de William S. Burroughs et suit Lee (Daniel Craig), un Américain expatrié au Mexique qui passe le plus clair de son temps à errer dans les bars gays, sans but précis. Toutefois, le jour où il remarque le jeune Eugene Allerton (Drew Starkey), Lee voit sa vie chamboulée, d’autant plus que va se mettre en place un jeu du chat et de la souris, presque toxique, entre les deux hommes.

Daniel Craig et Drew Starkey dans Queer. ©Yannis Drakoulidis

Avec cette nouvelle proposition cinématographique, Luca Guadagnino revient à un cinéma plus expérimental, proche de ce que le réalisateur italien avait proposé avec Bones and All (2022) porté par Timothée Chalamet et Taylor Russell. En quittant le monde cannibale pour filmer notamment l’expédition amazonienne de Lee et d’Eugene en quête d’une plante hallucinogène connue pour ses vertus télépathiques, le cinéaste propose un voyage sensoriel, mais (trop) abstrait.

Une overdose abstraite

En effet, si Queer se veut avant tout poétique et rêveur, les personnages évoluant à travers un Mexique fantasmé, Luca Guadagnino pousse le songe trop loin. Dans une troisième partie, les expériences transcendantales de Lee et de son crush auront pour conséquences de nous laisser en dehors de leur trip sous champignons. Ainsi, le film rompt de façon abrupte avec son intrigue principale qui visait à explorer l’errance humaine, la notion de désir, les relations toxiques ou encore l’adoration des corps.

Plans abscons, dialogues déconstruits et conclusion lunaire s’enchaînent dans un final, certes beau, mais déconnecté. La forme visuelle semble ainsi dominer le long-métrage du metteur en scène italien, au détriment du fond. Attrayant de par sa mise en scène, Queer souffre parfois d’un certain vide scénaristique. Le réalisateur, à l’image de son héros, balade le spectateur de tableau en tableau.

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Pourtant, avant l’overdose, Luca Guadagnino a pris soin de présenter son Queer de façon passionnante. D’abord grâce à une photographique rappelant les peintures d’Edward Hopper. Le réalisateur nous fait voyager en Amérique du Sud en utilisant les couleurs chaudes afin de contraster avec les déambulations nocturnes et sombres de son personnage principal, magistralement incarné par Daniel Craig.

Le talent de Daniel Craig

L’ancien 007 troque ici le costume taillé sur mesure de l’agent le plus célèbre du cinéma pour interpréter un homme qui noie son désespoir dans l’alcool, la drogue et la drague. Avec ce héros désenchanté, Daniel Craig offre une nouvelle direction à sa carrière, montrant qu’il est capable de prendre des risques et de jouer avec sa propre masculinité. Après s’être illustré dans la saga À couteaux tirés (2019-2022) dans laquelle il incarnait un détective privé plein de fantaisie, l’acteur britannique endosse un rôle à l’opposé de sa carrure en s’impliquant corps et âme dans cette nouvelle proposition. Scènes de sexe crues et désinhibition à outrance, Daniel Craig livre une performance physique et habitée à travers laquelle il dévoile une sensibilité redoutable.

Queer. ©The Apartment SRL/Numero 10 SRL/Pathé Films All rights reserved/Gianni Fiorito

Le comédien apparaît comme la grande force du film, face à un Eugene Allerton ténébreux qui a du mal à assumer son homosexualité et son désir pour Lee. On prend ainsi un véritable plaisir à découvrir que derrière le mythique matricule, Daniel Craig est capable de déployer une palette de jeu exceptionnelle, aussi légère que profonde.

Luca Guadagnino vs. William S. Burroughs

En dépeignant la relation de ce quinquagénaire à la recherche de lui-même face à un beau gosse ingénu, Luca Guadagnino interroge une fois de plus le plaisir charnel, le désir, ainsi que la complexité des relations amoureuses. Des thèmes qui ont toujours traversé son cinéma et qui permettent aujourd’hui à Queer de s’insérer parfaitement dans sa filmographie hybride, qui oscille constamment entre propositions poétiques et accessibles (Call me by Your Name, Challengers…), mais aussi projets plus expérimentaux (Bones and All, Suspiria…).

Toutefois, Queer apparaît aujourd’hui, à la lumière de l’adaptation de William S. Burroughs, comme le film le plus personnel de Guadagnino. Dans ce roman autobiographique, l’auteur américain dépeint son errance dans le Mexique des années 1940, ainsi que sa tentative de sevrage en tant qu’ex-junkie, grâce à l’écriture. En filmant les pérégrinations de Lee – fantomatique William S. Burroughs qui deviendra plus tard le génie de la littérature qu’on connaît –, le cinéaste déploie un propos sur la transformation à travers l’art.

Daniel Craig dans Queer.©The Apartment

Luca Guadagnino a d’ailleurs confié à Harper’s Bazaar : « Cette expérience artistique m’a marqué au fer rouge. Queer célèbre de façon magistrale l’abandon des sentiments, le lâcher-prise émotionnel, le don absolu de soi à l’autre. C’est quelque chose qui a résonné très fort en moi. » Ce projet d’adaptation a longtemps été fantasmé par le réalisateur et montre aujourd’hui à quel point la lecture de ce livre fondateur a façonné l’ensemble de son cinéma ainsi que sa puissance libératrice.

Queer apparaît ainsi comme une proposition particulièrement « guadagninesque ». Entre addiction, solitude, amour et lâcher-prise sensuel, le réalisateur condense dans la romance hallucinée de Lee et d’Eugene tout son cinéma. Bien qu’il donne une couleur trop expérimentale à son film, ce dernier apparaît particulièrement puissant mis en parallèle avec le roman de William S. Burroughs. Ainsi, comprendre Queer, c’est appréhender la torpeur d’un auteur de génie et la volonté viscérale du choc artistique d’un cinéaste.

Bande-annonce de Queer.

Queer peut également compter sur son casting. Après Armie Hammer et Timothée Chalamet, Guadagnino a fait appel à Daniel Craig et l’étoile montante d’Hollywood, Drew Starkey, pour donner corps à cette histoire d’amour perdue, mais ô combien fondatrice. Une sorte de Call me by Your Name (2017) sous opiacés, plus aventureux, plus mature, mais plus insaisissable.

Queer, de Luca Guadagnino, avec Daniel Craig et Drew Starkey, 2h16, le 26 février 2025 au cinéma.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste