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Pourquoi Beast Games est-elle si problématique ?

03 février 2025
Par Agathe Renac
“Beast Games” est disponible sur Prime Video.
“Beast Games” est disponible sur Prime Video. ©Prime Video

Diffusée sur Prime Video, la téléréalité aux airs de Squid Game divise. Tantôt Robin des bois, tantôt personnage cynique et immoral, MrBeast fait (beaucoup) parler de lui.

L’objectif affiché par MrBeast, alias Jimmy Donaldson, était clair : « Créer la plus grande télé-réalité de tous les temps. » À 26 ans, le youtubeur le plus suivi du monde (353 millions d’abonnés sur la plateforme) a lancé sa propre émission, diffusée à un rythme hebdomadaire sur Prime Video.

Dans Beast Games, 1000 participants s’affrontent dans des épreuves physiques, mentales et sociales pour remporter 5 millions de dollars – soit le plus gros prix de l’histoire de la télévision. Vêtus de tenues sportives avec un numéro, les candidats évoluent dans des décors et une ambiance qui rappellent beaucoup Squid Game – les morts en moins.

Avec 100 millions de dollars de coût de production (comprenant les gains, l’alimentation, l’hébergement, ou encore la construction de lieux de tournage comme un hangar, une ville entièrement créée pour l’occasion et deux îles tropicales), la série a mobilisé des moyens conséquents.

Un effort qui a payé, et l’a placée en tête du classement des programmes les plus visionnés de la plateforme d’Amazon. En effet, le show a été visionné par plus de 50 millions de téléspectateurs en seulement 25 jours. Une audience colossale pour ce type de production.

Un spectacle voyeuriste sous couvert d’entraide

D’un point de vue factuel, Beast Games permet d’aider des candidats qui sont réellement dans le besoin. Au fil des épisodes, le public découvre des profils aux chemins de vie différents, mais tout aussi touchants. Une jeune femme ayant grandi dans la rue rêve de gagner le jeu pour venir en aide à d’autres enfants sans abri, un papa aimant a besoin de ce gain pour aider son fils malade, et un autre joueur aimerait remporter ces 5 millions de dollars afin d’éponger ses dettes et offrir une nouvelle vie à sa famille. Ludique, rythmée et plutôt addictive, la série de MrBeast est efficace. On se prend au jeu facilement et on enchaîne les épisodes. Cependant, ce show présente des problèmes à plusieurs égards.

Récoltant la (très) faible note de 13% par les professionnels sur le site Rotten Tomatoes (contre 89% par le public), la production interroge et crispe les critiques. L’aspect caritatif de Beast Games semble à première vue positif. Cependant, on ne peut s’empêcher de ressentir la même gêne qu’en regardant Squid Game. N’est-ce pas étrange de regarder des millionnaires comme MrBeast se frotter les mains en voyant des personnes plus modestes ou en difficulté se battre pour de l’argent ?

©Prime Video

C’est pourtant ce qui a fait la fortune du youtubeur, dont les vidéos traduites et diffusées aux quatre coins du monde reprennent le même concept – comme « Homme vs femme : survivre dans la nature pour 500 000$ », « J’ai aidé 2000 personnes à remarcher », « Survivez 100 jours dans un bunker nucléaire, gagnez 500 000$ », « J’ai construit 100 maisons et je les ai données », « 10 000$ chaque jour où vous survivez dans la nature ».

“L’argent est l’alpha et l’oméga de la vie humaine”

Pour la RTBF, ce programme incarne ce que certains appellent du « charity porn » : une mise en scène voyeuriste où la souffrance devient spectacle, sous prétexte de bienfaisance. Le média belge décrit également les épreuves comme « un peu tordues et humiliantes », soulignant l’aspect mégalomaniaque du youtubeur.

De son côté, The Guardian qualifie l’émission de « cauchemar dystopique parfait pour l’Amérique de 2025 », en insistant sur le caractère humiliant de certaines épreuves et le manque d’empathie de l’animateur. Les candidats éliminés voient leur rêve s’effondrer sous les rires et les plaisanteries d’un MrBeast souriant, sans un mot de consolation.

Le journal britannique poursuit en dressant le portrait d’un homme représentant « la cupidité, le narcissisme, le factionnalisme autodestructeur et le culte de l’agro-capitalisme qui nous ont apporté notre deuxième portion de Trump ».

©Prime Video

Pour Vox, ce programme est à replacer dans un cadre culturel plus large : « MrBeast et ses semblables sont obsédés par les récits de la pauvreté à la richesse. Ils font miroiter aux téléspectateurs le rêve de la liberté financière. Pour eux, l’argent est l’alpha et l’oméga de la vie humaine. » Cette glorification de l’argent est jugée d’autant plus problématique qu’elle prend place dans un contexte où des personnes modestes sont prêtes à tout pour s’en sortir.

Des sponsors omniprésents et une logistique chaotique

L’un des aspects les plus contestés reste la place centrale accordée aux sponsors. The Guardian dénonce ainsi une mise en avant constante de marques comme T-Mobile ou MoneyLion, une plateforme de crédit controversée ciblant un public jeune et potentiellement précarisé.

©Prime Video

Ce partenariat suscite des interrogations éthiques : la promesse de gains rapides ne risque-t-elle pas d’inciter les téléspectateurs à contracter des crédits à taux élevés ? De plus, MoneyLion est également critiqué pour son utilisation massive de données personnelles, ce qui laisse craindre un ciblage publicitaire intrusif.

Derrière les paillettes, Beast Games traîne aussi une liste de polémiques. Le New York Times a révélé plusieurs plaintes de participants concernant des conditions de tournage exécrables. Ces derniers dénoncent des « mauvais traitements chroniques [et] une dégradation » au cours du tournage. Ils affirment que « les conditions étaient misérables, avec des installations sanitaires médiocres, des repas grossiers et peu fréquents, un manque d’accès aux médicaments prescrits et un personnel médical insuffisant pour traiter un flot de blessures pendant le match. »

©Prime Video

Ils accusent aussi l’équipe de production sur place d’être « inexpérimentée », et de s’être « livrée à un favoritisme, à un comportement hostile et à du harcèlement sexuel, de rejeter (…) des demandes spéciales, comme des sous-vêtements propres pour des femmes ayant leurs règles (…) et d’encourager les joueurs à (…) se bousculer de manière à créer des menaces de piétinement. »

Un miroir inquiétant de la société

Si Squid Game présentait une dystopie fictive, l’émission de MrBeast transforme quant à elle cette mise en scène en une réalité bien plus inquiétante. Le journal The Guardian souligne cette différence essentielle : « Contrairement à [la série de Netflix], qui n’est qu’une fiction, Beast Games expose des gens bien réels à une dégradation rituelle sous les yeux de millions de spectateurs. »

©Prime Video

L’avenir de cette émission, bien que pour l’instant triomphante, reste incertain face aux multiples critiques. Mais au-delà de son sort, le programme offre un miroir glaçant de nos sociétés où l’argent est devenu le principal moteur de la téléréalité, quitte à transformer la solidarité en une marchandise cynique.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste