Entretien

Pablo Larraín pour Maria : “Ce film m’a rendu plus libre”

04 février 2025
Par Lisa Muratore
Angelina Jolie incarne Maria Callas dans “Maria”.
Angelina Jolie incarne Maria Callas dans “Maria”. ©Pablo Larraín

Dans Maria, Pablo Larraín retrace les derniers jours de la cantatrice Maria Callas. À l’occasion de la sortie en salles de ce biopic, L’Éclaireur a rencontré le réalisateur afin d’évoquer le troisième chapitre d’un triptyque entamé avec Jackie en 2016.

On connaît votre travail sur Jackie et Spencer. Maintenant, vous vous attaquez à Maria Callas. Qu’est-ce qui distingue ce film des autres ? 

Je pense que ce qui différencie Maria des autres femmes que j’ai filmées, c’est le fait qu’elle soit une artiste. C’était une vraie musicienne. Ce qui est fascinant avec Maria Callas, c’est qu’elle a fini par incarner dans la vraie vie les tragédies qu’elle a interprétées sur scène. Elle a vécu une vie hors norme, mais ce qui rend ce film si particulier dans l’univers que j’ai développé, c’est la musique

Vous semblez avoir plus d’empathie pour Maria Callas que pour vos précédents personnages. Est-ce parce qu’en tant que cinéaste et artiste vous vous identifiez davantage à sa trajectoire ? 

Je pense que cette empathie vient avant tout d’une certaine sensibilité. Ce film est plein d’émotions. Je pense que Maria avait une sensibilité particulière et qu’elle s’est métamorphosée à travers sa musique. Je laisse cette idée d’empathie aux spectateurs, mais je tiens vraiment à elle en tant que cinéaste. Ceci m’a poussé à m’intéresser à elle, sans pour autant la comprendre complètement.

Angelina Jolie dans Maria. ©Pablo Larraín

Travailler sur un personnage qu’on ne comprend pas, c’est très intrigant comme processus. Créativement, ceci vous pousse à vous dépasser. Il y a quelque chose de brisé en elle, elle s’autodétruit, quelque part. C’est ce que j’ai aussi essayé de capturer dans mon film. C’est un processus à la fois intime et très motivant.

Êtes-vous finalement parvenu à comprendre Maria Callas grâce à ce film ? 

Non, toujours pas ! [Rires] Pour me préparer à ce biopic, j’ai bien sûr lu beaucoup de biographies, regardé des documentaires et j’ai écouté sa musique. Malgré ça, ça a toujours été compliqué de cerner qui elle était vraiment, non seulement car elle contrôlait beaucoup son image publique, mais aussi car il y avait chez elle quelque chose de mystérieux et d’énigmatique. C’est la raison pour laquelle je ne crois pas aux biopics, c’est une fantaisie. Pour moi, Maria Callas a cherché toute sa vie à savoir qui elle était à travers sa musique. Cela rend le processus de recherche compliqué pour nous, nous ne pourrons finalement jamais vraiment capturer son essence.

Le fait de s’attaquer à l’art à travers son personnage sur ce film a-t-il changé votre vision de l’art en général ? 

Bien sûr ! En travaillant sur l’un des aspects les plus abstraits de l’art, c’est-à-dire la musique, je pense que ce film m’a rendu plus libre. Quand on travaille sur le lien entre l’humain et la musique, il y a toujours quelque chose d’insaisissable. Une fois que l’on a compris cela, alors tout devient plus facile : vous arrêtez de chercher absolument la vérité pour vous concentrer sur l’émotion et l’expérience musicale. Car, encore une fois, ce film est basé seulement sur la musique. 

Maria, au cinéma le 5 février 2025.©Pablo Larraín

Le film explore la notion de perfection et notamment la perfection féminine. Dans un sens, cela résonne avec notre époque vis-à-vis de ce qu’on attend des femmes. Est-ce également l’une des raisons qui vous ont poussé à explorer la vie de La Callas ? 

Je pense que oui, bien qu’elle ne percevait pas cette perfection envers elle-même. Ce sont les gens qui ont fait peser cette notion sur ses épaules. C’est aussi une grande partie de mon film : je ne pense pas qu’elle était parfaite, en revanche, je pense qu’elle était perfectionniste. Ce sont deux choses différentes. Elle a passé sa vie à poursuivre cette notion de perfection, presque comme une stoïciste. Elle a souvent adopté cette posture pour ne pas être blessée. Maria Callas a probablement beaucoup souffert dans sa vie, notamment à cause des hommes. Elle a pu trouver sa voix en tant que femme grâce à la musique. C’est aussi de cela que parle le film. 

Le film n’est pas un biopic classique. Il alterne entre la réalité des événements et des moments musicaux, plus abstraits, tirés de l’imagination de Maria. Comment avez-vous trouvé cet équilibre dans le film ? 

Une fois les recherches faites, j’ai rapidement compris que je ne pouvais pas tout saisir ni savoir sur Maria Callas. C’est là que le film commence, que le travail autour de la fiction commence. Si on connaissait tout, il serait très difficile de faire un film, car il serait trop lié à la réalité. Ça ressemblerait à un documentaire ou à un biopic peut-être un peu trop classique. Je pense que ça n’aurait pas été très intéressant, car j’ai essayé de montrer le monde à travers ses yeux. Pour cela, nous devions l’habiter réellement et avoir cette perception de la réalité. Sauf qu’il ne s’agit que d’une perception, c’est subjectif. Cela nous a donc permis d’insérer des moments imaginaires. Nous ne voulions pas tomber dans la folie, car ces moments sont faits pour exprimer des émotions avant tout. 

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Parlons du choix de casting d’Angelina Jolie. Sa trajectoire résonne-t-elle selon vous avec celle de Maria Callas ? Maria est un film qui traite du retour sous le feu des projecteurs aussi…

C’est possible que l’on puisse voir un lien entre ces deux femmes, mais il est avant tout question d’opéra et de raison. Quand son médecin lui demande d’être raisonnable et qu’elle lui répond : “Ma vie, c’est l’opéra, on ne peut pas être raisonnable dans ce monde”, elle montre qu’il ne faut pas trop intellectualiser les choses, sinon elles perdent de leur sens. C’est intéressant d’observer un personnage qui ne place pas la volonté et la raison au centre de sa vie, mais qui veut avant tout survivre. 

Maria.©ARP FilmNation

Pour en revenir à Angelina Jolie, elle a toujours été mon premier choix. Je pense qu’elle est parvenue à capturer le magnétisme de Maria Callas. Elle a saisi l’énigme et le mystère autour d’elle. C’est une grande actrice et elle s’est pliée à une vraie discipline. Ça a été un vrai cadeau de travailler avec elle à travers ce processus créatif. 

Vous filmez souvent vos personnages dans le cadre de huis clos. Comment avez-vous appréhendé ce challenge cette fois-ci ? 

Ce qui est fascinant avec le huis clos, c’est d’imaginer ce qui se passe dans l’intimité des personnages. On connaît les dates historiques, on connaît le nom de leur entourage, mais on ne pourra jamais savoir ce qui se passe derrière les portes d’un appartement. C’est ici que la fiction commence. C’est la plus grande porte que l’on puisse ouvrir. Pour Maria, son appartement reflète un réel sentiment de sécurité dans lequel elle se sentait protégée.

Bande-annonce de Maria.

Cette protection provient des murs de l’appartement, mais aussi de ceux qui habitent avec elle, son majordome et sa cuisinière. Ces deux personnes étaient comme sa famille à la fin de sa vie. Mon film est aussi l’histoire d’une famille et de la façon dont chacun peut se serrer les coudes. Alors le challenge de huis clos apporte cette fois-ci une certaine tendresse. Le huis clos m’a aidé dans l’intimité et l’empathie avec le personnage, car on se retrouve forcément proche d’elle. Il y a quelque chose dedans qui reflète la beauté et la simplicité du quotidien. 

Qu’est-ce qui vous passionne tant à propos des personnages féminins ? 

J’ai l’impression que les personnages féminins sont plus intéressants que les protagonistes masculins. Les femmes sont plus mystérieuses et cela m’attire, curieusement ! Je ne pense pas pouvoir apporter une réponse très rationnelle, mais je pense qu’à travers elles, je peux faire des films mystérieux, c’est ça qui me fascine !

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste