Décryptage

Apple Cider Vinegar : pourquoi sommes-nous aussi fascinés par les arnaqueuses ?

03 février 2025
Par Marion Olité
“Apple Cider Vinegar”, le 6 février sur Netflix.
“Apple Cider Vinegar”, le 6 février sur Netflix. ©Netflix

Après Inventing Anna, Netflix diffusera le 6 février prochain une nouvelle série qui s’inspire de l’histoire de Belle Gibson, une impostrice ayant défrayé la chronique.

En six épisodes, Apple Cider Vinegar suit l’ascension et la chute de Belle Gibson, l’une des premières influenceuses bien-être. Son récit personnel avait de quoi séduire : diagnostiquée d’un cancer au cerveau, on lui donne quatre mois à vivre. Grâce à des traitements alternatifs et une alimentation sans sucre raffiné, elle annonce avoir vaincu sa maladie incurable. En 2013, l’Australienne cumule près de 200 000 followers sur Instagram, réseau social alors en pleine expansion.

Elle lance l’application The Whole Pantry, où elle partage ses recettes véganes et sans gluten. C’est un carton : son appli est programmée pour l’Apple Watch et elle publie un livre de recettes. Sauf que cette histoire inspirante d’une autodidacte qui a pris sa santé en main est totalement fausse. Belle Gibson n’a jamais eu de tumeur au cerveau. Et elle annonce des dons pour des associations de lutte contre le cancer qui n’en verront jamais la couleur.

Une tendance de fond

Écrite par Samantha Strauss et portée par l’excellente Kaitlyn Dever (découverte dans Unbelievable), Apple Cider Vinegar évoque immanquablement Inventing Anna. Mise en ligne en 2022 sur Netflix, la série suivait l’ascension et la chute d’Anna Delvey, une jeune femme qui a escroqué des milliers de dollars à la haute société new-yorkaise.

Comme Inventing Anna, Apple Cider Vinegar s’appuie sur une narration déstructurée, alternant flashbacks à différentes époques (comme un reflet d’une narratrice peu fiable, la timeline est floue) et temps présent avec deux journalistes qui se rapprochent à chaque épisode de la vérité.

The Dropout©Disney+

Les fictions et documentaires basés sur des arnaqueurs de la vie réelle, comme L’arnaqueur de Tinder (2022) ou WeCrashed (2022) ont le vent en poupe ces dernières années. Ces histoires bigger than life attisent en premier lieu notre curiosité. Comment cette personne a-t-elle pu tromper son monde à ce point ?

On veut connaître leurs secrets, leur mode opératoire. On est fascinés par leur capacité à outrepasser les lois régissant notre société. Mentir un peu, tout le monde le fait chaque jour, mais à cette échelle ! Et puis, ces récits agissent comme des mises en garde : ils nous rassurent sur notre capacité à résister à ce genre d’arnaques, tout en nous avertissant sur leur existence.

Ces dernières années, plusieurs séries centrées sur des femmes impostrices ont émergé. En 2019, HBO diffuse un documentaire remarqué, Arnaque à la Silicon Valley, qui revient sur l’incroyable histoire d’Elizabeth Holmes. Annoncée comme la prochaine Steve Jobs, cette jeune femme est devenue milliardaire avec sa société Theranos, qui promettait une révolution médicale avec des appareils à domicile capables de rendre un diagnostic de santé grâce à une goutte de sang.

Sauf que c’était impossible et l’appareil n’a jamais été fonctionnel. En 2022, la série The Dropout, portée par Amanda Seyfried et diffusée sur Disney+, adaptait avec succès cette folle histoire, qui a pour toile de fond les dérives de la Silicon Valley et du système de santé américain. La même année, Inventing Anna sortait sur Netflix.

Une charge féministe ambivalente

Ces anti-héroïnes ne sont évidemment pas présentées comme des modèles à suivre. Pourtant, il y a quelque chose d’étrangement empouvoirant à les observer naviguer au sein d’un système patriarcal injuste et le retourner à leur propre avantage. Dans Apple Cider Vinegar, Belle Gibson joue sur le syndrome du sauveur des hommes (si les femmes à sauver sont jeunes et jolies !) pour mieux atteindre son but.

Dans The Dropout et Inventing Anna, Elizabeth Holmes et Anna Delvey vont là où est l’argent : elles obtiennent du soutien financier auprès d’hommes âgés, ravis de soutenir une fille de substitution ou, moins avouable, l’objet de leurs désirs sexuels.

Belle Gibson instrumentalise également sans vergogne son rôle de mère et ses traumatismes pour inspirer la compassion chez les gens. C’est mal, aucun doute là-dessus. Mais, dans un jeu où les règles sont pipées d’avance pour les femmes, c’est aussi un peu jouissif. Le succès des hashtags #goodforher (« tant mieux pour elle ») ou #femalerage (« rage féminine »), utilisés en masse sur Instagram ou TikTok pour saluer les contre-modèles féminins dans la pop culture, peut s’appliquer à ce type de personnages. Quand on sait à quel point le syndrome de l’imposteur – qui consiste à se dévaloriser et à estimer qu’on ne mérite pas sa place dans le monde du travail – touche davantage les femmes, celles-ci affichent une confiance en elles revigorante.

Inventing Anna©Netflix

Reste que, dans leurs actions, Elizabeth Holmes, Anna Delvey et Belle Gibson sont évidemment tout sauf féministes. Au contraire, elles instrumentalisent les avancées en matière de droits des femmes pour arriver à leurs fins. Ces girlboss promeuvent un féminisme libéral, fondé sur l’exploitation de leurs employés, notamment les femmes et les minorités. Ces séries montrent bien comment elles ont perpétué des ambiances de travail toxiques (un employé de Theranos s’est suicidé). Blanches, blondes, minces et soignées, elles ne dérangent absolument pas l’ordre établi.

Apple Cider Vinegar©Netflix

Dans Apple Cider Vinegar, Belle Gibson pleure régulièrement pour détourner l’attention de ses mensonges et ne pas rendre de comptes sur son attitude. Les « pleurs de blanches » (« white women’s tears ») ont été analysés par des féministes afro-américaines comme Angela Davis pour dénoncer la réaction des féministes blanches qui ne supportent aucune discussion liée au racisme.

Une starification problématique

Au fil des épisodes, plusieurs personnages répètent cette phrase face caméra : « Belle Gibson n’a pas été payée pour cette histoire ». Serait-ce une façon pour Netflix de se protéger après les retombées d’Inventing Anna ? Non seulement la série produite par Shonda Rhimes avait valu un inévitable regain de popularité à Anna Delvey, mais la presse avait révélé l’existence d’un deal entre la plateforme et l’escroc, qui s’élevait à 300 000 $. Au terme de son procès, Anna Delvey a obtenu de purger sa peine aux États-Unis, avec un bracelet électronique. Et elle a même pu participer à la dernière saison américaine de Danse avec les stars.

Apple Cider Vinegar©Netflix

Condamnée à 11 ans de prison pour escroquerie, Elizabeth Holmes reste aussi une célébrité, dont l’anniversaire des 40 ans a été mis en scène depuis sa prison avec sa famille. Il y a fort à parier que Belle Gibson, condamnée à verser une amende de 275 000 euros (elle évite pour l’instant la case prison), tente de profiter de la diffusion d’Apple Cider Vinegar pour redorer son blason.

Ce phénomène de starification paraît à la fois problématique et inévitable quand des fictions centrées sur les méfaits d’arnaqueurs et autres criminels encore en vie connaissent un grand succès. C’est notamment le cas des fictions sur les tueurs en série.

Apple Cider Vinegar©Netflix

Après le succès de la série Le serpent (2021), le criminel Charles Sobhraj, libéré en 2023 pour raisons de santé, s’était empressé de donner une interview à TF1 pour promouvoir la sortie de son autobiographie. Netflix semble toutefois avoir retenu la leçon de la glamourisation problématique et Belle Gibson ne l’est pas franchement dans Apple Cider Vinegar.

Dotée d’une photographie et d’une mise en scène très « Instagram-friendly » (les personnages voyagent en Asie dans des lieux « bobo-chics », organisent des soirées ambiance « féminin sacré »), la série explore avec un œil critique l’ascension des influenceuses et les dérives du secteur du bien-être. Mythomane compulsive, Belle Gibson symbolise aussi l’ère de la post-vérité dans laquelle nous nous engluons. Tant que l’histoire est bonne, peu importe si elle est vraie.

25€
31€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par
Pour aller plus loin