
À l’occasion du festival de l’Alpe d’Huez, L’Éclaireur a échangé avec les actrices Léa Drucker et Melha Bedia sur le nouveau film de Michel Leclerc traitant du féminisme, Le mélange des genres, pour lequel Benjamin Laverhne a remporté le prix d’interprétation masculine.
Comment vous a-t-on présenté un projet aussi original ?
Léa Drucker : Le scénario, pour commencer. Melha a quant à elle travaillé avec Baya Kasmi [la scénariste, ndlr].
Melha Bedia : Oui, j’avais travaillé avec Baya. On a pris un café et elle m’a présenté Michel Leclerc que je connaissais un petit peu. Elle m’a dit : “Il voudrait te proposer un rôle dans son nouveau film.” J’étais très contente. C’est le scénario qui attire, ça passe beaucoup par l’histoire.

L. D. : Et puis, il y a les films de Michel Leclerc qu’on a vus avant. On connaît son esprit, sa façon de raconter des histoires sur des sujets de société avec son esprit, qui est en même temps assez… insolent. Toujours sur un fil. Il n’est pas cynique. Quand on a lu le scénario, on s’est rencontrés et je trouvais ça intéressant d’entendre sa voix sur ces sujets-là, parce que ce n’est pas un homme qui dit “J’ai tout compris à tout et je vais vous faire la leçon”. Ce n’est pas non plus quelqu’un de dominant. Je trouvais ça chouette d’entendre sa voix sur ces sujets-là.
M. B. : Il a questionné tout le monde, il s’est questionné lui-même, on s’est tous questionnés.
En voyant le scénario tel qu’il était écrit, aviez-vous déjà le film en tête en termes de ton et de direction artistique, ou bien cela s’est-il fait au fur et à mesure ?
M. B. : Ils ont une force, Michel et Baya, c’est-à-dire que quand tu lis un scénario, en général, tu as toujours envie de changer quelques petits mots. Avec eux, ils ont une telle justesse dans les mots que tu n’as pas grand-chose à changer. Après, on peut ne pas être d’accord sur certains points et on en discute. Quand j’ai lu le scénario, je trouvais qu’il y avait déjà tout dedans et que ça allait être super.
L. D. : Ce qui était intéressant sur le tournage, c’est de découvrir nous-mêmes, en tant que personnages et en tant qu’acteurs et actrices, au fur et à mesure, les décors, ainsi que les choses assez étonnantes qu’il invente.
M. B. : Un petit truc de poésie que tu ne vois qu’après le montage au final !
L. D. : Et puis, ce que je trouve intéressant, c’est que c’est écrit par un homme et une femme. Dès qu’il avait envie de dire quelque chose, je pense que Baya Kasmi le contredisait et apportait sa contradiction dans le scénario. Le personnage de Paul, incarné par Benjamin Lavernhe, qui est un homme au foyer, c’est quelqu’un qui s’efface derrière la vie professionnelle de sa femme, qui cherche sa place dans cette société, qui veut bien faire. À chaque fois qu’il a une revendication, il y a une femme qui lui dit “Qu’est-ce que tu as, Monsieur Ouin ouin ? Nous, c’est des siècles d’oppression, pourquoi tu te plains ?” À chaque fois qu’on peut se dire : “Est-ce qu’on a envie d’entendre ça ?”, il y a un personnage qui vient apporter cette contradiction.
Vos deux personnages ont une relation particulière et le film commence avec vous. Comment s’est construite cette relation sur le plateau ?
M. B. : Tout est faux ! Tout est basé sur de l’hypocrisie pure et dure ! [Rires] On s’est d’abord rencontrées, j’étais un peu intimidée au début, et ça s’est fait au fil des jours de tournage. On ne tournait pas à Paris, personne ne rentrait chez soi, on était un peu comme une colonie de vacances, tous ensemble. On a tissé des liens à ce moment-là !
L. D. : Je n’avais pas de doute sur le fait que je m’entendrais bien avec Melha. J’avais vu le film Youssef Salem a du succès (2022) et j’aime ce qu’elle fait. Puis, Michel nous a réunis. On a deux personnalités quand même assez différentes, mais qui s’accordent.
M. B. : Et ce n’est pas une reloue ! J’ai tourné avec quelques actrices déjà, et Léa Drucker c’est la moins reloue de toutes et la plus talentueuse. Je le dis, je le pose pour la Fnac ! [Rires]
Benjamin Lavernhe a également un rôle très important dans le film. Comment se sont construites la relation de tournage et la collaboration professionnelle avec lui ?
L. D. : C’est toutes les cinq minutes une invention. Il a des idées tout le temps.
M. B. : C’est un peu le roi de l’improvisation. Je pensais que j’étais la reine de l’impro, mais je l’ai rencontré et je me suis dit que j’avais tout faux ! Il est force de proposition à chaque fois, dans chaque scène. Il a envie de rire.

L’improvisation a-t-elle d’ailleurs eu sa place lors du tournage ?
L. D. : Sur de l’improvisation de texte, pas tant que ça. Il y a eu des discussions sur les phrases, un petit peu, mais pas beaucoup. Benjamin a surtout fait des choses de clowns, et en même temps il est complètement bouleversant. Il joue le comique, mais aussi le drame.
M. B. : C’est un peu Michel, le personnage de Paul.
Lors de ce festival de l’Alpe d’Huez, un festival de comédie, on a vu tout au long de la semaine beaucoup de films qui mêlaient le drame, la comédie, l’absurde. La comédie, c’est beaucoup de choses. C’est quoi pour vous, Le mélange des genres ?
M. B. : Je crois que c’est vraiment un mélange de tout ça. C’est pour cela que ça s’appelle Le mélange des genres !
L. D. : Je suis d’accord. Ce n’est pas un drame, mais ça parle de choses dramatiques. Je pense que ça s’apparente plus à une comédie, bien que la comédie s’appuie souvent sur des drames. Sans les traiter à la légère. Michel a essayé de faire ça. La comédie permet de se parler, même en conflit. Ça pose la question.
M. B. : J’aime beaucoup ce genre de comédie-là. Ça ne m’empêchera pas de rire à une comédie plus légère, mais c’est vrai que celles qui me touchent le plus, c’est ce genre de comédie sociale. Rire pendant 1h30, réfléchir, puis ouvrir un débat, c’est super !
Léa, votre personnage a un double rôle dans le film, on le voit dès le début. Comment peut-on appréhender une partition double en tant qu’actrice ?
L. D. : Comme je joue une policière infiltrée, j’ai l’impression que cette policière aime son métier et ça lui plaît énormément d’être dans un rôle, justement. Ça la sort de son quotidien. Je connais très bien la jubilation de jouer. Je le vis beaucoup avec mon métier et c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Mais en même temps, c’était particulier parce qu’il fallait trouver qui elle est au commissariat. C’est une femme très rigide, qui a des idées très conservatrices, que moi je ne partage pas du tout, par exemple. Mais il fallait assumer ça d’abord et ensuite se laisser toucher par les femmes et les actrices du collectif qu’elle infiltre. Simone, mon personnage, à leur contact, va se transformer et aussi chercher à réparer des choses.
C’est un film sur la transformation. Tous les personnages évoluent au fil du récit.
M. B. : C’est toujours agréable quand tu vois que ton personnage évolue tout le long, qu’il grandit et qu’il mûrit.
L. D. : Il y a cette idée, je crois, dont voulait parler Michel, sur un homme qui se remet en question et qui essaie de dire : “Je suis déconstruit.” Mais il y a aussi Simone qui se déconstruit. Il y a des femmes aussi, des femmes de ma génération, qui ont besoin de faire ce chemin-là. Simone a trouvé sa place dans un système qui était bien masculin, bien patriarcal. Elle en a épousé tous les codes et c’est bien aussi, dans le film, qu’elle fasse ce chemin.