
Présenté en compétition au festival de l’Alpe d’Huez, Prosper est reparti bredouille de la compétition. Toutefois, pour son premier film, Yohann Gloaguen s’empare d’une comédie fantastique amusante et originale. Une histoire de possession à travers une paire de chaussures qui sert d’exploration à l’univers des sapeurs et dans laquelle Jean-Pascal Zadi incarne non pas un, mais deux personnages face à Cindy Bruna.
Comment l’idée de Prosper est-elle née ?
Yohann Gloaguen : Le producteur, Thierry Lounas, m’a contacté parce qu’il avait déjà un embryon de projet autour de chaussures magiques et d’une comédie dans le milieu de la sape. Je suis arrivé après sur le projet, en faisant notamment un gros travail d’immersion dans le milieu des “sapeurs” parce que je suis ni Congolais, ni sapeur. J’avais besoin de me sentir légitime pour faire ce film. Par la suite, j’ai rencontré Jean-Pascal Zadi en 2020. Depuis, on a avancé, on a fabriqué ce film ensemble. Cindy Bruna est ensuite arrivée. Pour moi, ce film est une histoire de rencontres, non seulement avec un producteur, mais aussi avec un scénariste et des acteurs.
En parlant de rencontre, comment s’est-elle déroulée pour vous Jean-Pascal ?
Jean-Pascal Zadi : C’était à Strasbourg-Saint-Denis, dans un café. On a discuté et Yohann m’a envoyé le scénario. J’ai directement accroché. Après, il n’a pas payé le verre, ça c’était pas ouf, je ne lui en veux pas, mais ne rentrons pas dans les détails. [Rires] Quand il m’a parlé du projet, j’ai tout de suite adhéré, parce que c’était authentique. Il y avait du fantastique et de la comédie. Je trouvais qu’il y avait moyen de défendre un beau projet.
Jean-Pascal, vous incarnez à la fois Prosper et King. Comment parvient-on à trouver ces deux personnages et à passer de l’un à l’autre dans une même scène ?
J.-P. Z. : Ce n’était pas très compliqué d’incarner les deux rôles. Si je dois être honnête, Prosper, c’est le looser de l’histoire, il n’a pas confiance en lui. Je me reconnaissais totalement dedans. Ce n’était pas très dur à faire. Jouer King, c’est jouer un homme un peu masculin, toxique, macho et sûr de lui. On a tous une part de masculinité toxique en nous, bien que ça ne soit pas ce qui transparaît en premier. C’était ambigu, mais très plaisant, parce qu’il y avait un côté très naturel pour Prosper, alors que j’avais besoin d’aller chercher des choses pour faire King.
« J’ai adoré Anissa. Je l’ai comprise, je la défends. J’ai un peu de moi aussi en elle. »
Cindy Bruna
Le film a une part de fantaisie et de fantastique. Comment joue-t-on avec le fantastique sans tomber dans quelque chose où on perdrait en authenticité des situations et des personnages, surtout dans la comédie ?
Y. G. : Je voulais absolument que le film soit ancré dans le réel. Ma mise en scène tourne aussi beaucoup autour de ça. Je voulais notamment qu’on croie en ces chaussures magiques. Pour qu’on puisse y croire, il fallait qu’on croie à tous les personnages, que ce soit très ancré, notamment dans l’univers des sapeurs. Je voulais aussi que Jean-Pascal Zadi interprète Prosper et King, mais ne soit jamais Jean-Pascal Zadi. J’ai fait ça avec tous les personnages du film. Je voulais vraiment que ce soit ancré dans le réel, pour que le fantastique puisse prendre sa place et que le spectateur puisse y croire.
Cindy, c’est votre premier long-métrage en tant qu’actrice. Quelle expérience a représenté le tournage de Prosper ?
Cindy Bruna : Pour moi, c’était fou, parce que c’est mon premier long-métrage. Je remercie Yohann de m’avoir fait confiance. Ça a été une rencontre extraordinaire en casting avec lui, puis avec Jean-Pascal Zadi. J’ai aussi été accompagnée d’un coach. J’ai travaillé chaque scène. Je suis très perfectionniste. J’ai essayé, en tout cas, de donner le meilleur de moi-même. Je sais que j’ai encore plein de choses à apprendre, mais l’opportunité et l’exercice étaient géniaux. J’ai adoré Anissa. Je l’ai comprise, je la défends. J’ai un peu de moi aussi en elle.
« Il faut savoir que les sapeurs se sont d’abord habillés pour se mettre au même niveau que les colons, pour être égaux. L’idée était de dire que l’on est aussi bien que vous. Il y a un rapport à la confiance en soi dans le film. »
Yohann Gloaguen
Prosper se déroule dans le milieu de la sape. En quoi la recherche des costumes a-t-elle aidé à la recherche des personnages ?
Y. G. : On a construit nos personnages autour de leurs vêtements parce que ça racontait leur personnage. Que ce soit celui d’Anissa ou de King, on s’est posé des questions. Anissa est-elle vraiment une sapeuse ? C’était aussi important pour moi que Cindy ait des origines congolaises comme Anissa, parce que la sape vient du Congo. La sape, c’est autre chose qu’un mouvement sur le vêtement, c’est bien plus profond que ça. C’est une revendication politique. Je voulais donc avoir des acteurs et des actrices qui viennent de là. Pour la sape d’Anissa, on s’est dit que c’était une sapeuse, mais qu’elle était aussi plus complexe que ça. Rien n’est laissé au hasard, car il y a une transformation du personnage avec différents vêtements.
C. B. : C’est vrai qu’on peut voir chez Prosper à quel point il prend confiance en lui aussi. Le vêtement, c’est un outil pour lui.
Y. G. : Oui, c’est en cohérence avec le milieu de la sape. Il faut savoir que les sapeurs se sont d’abord habillés pour se mettre au même niveau que les colons, pour être égaux. L’idée était de dire que l’on est aussi bien que vous. Il y a un rapport à la confiance en soi dans le film. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce long-métrage : quand j’ai lu la première trame du scénario, j’ai vu ce thème de la confiance en soi.
xJean-Pascal, on vous connaît forcément de comédies atypiques. Est-ce un plaisir d’acteur particulier de rejoindre des projets comme Tout simplement noir, Coupez!, et maintenant Prosper ?
J.-P. Z. : Ma quête, c’est avant tout d’être épanoui et d’être heureux. Je n’ai pas envie de faire des choses qui ne me ressemblent pas. J’ai envie de chercher des choses originales. Je ne le conçois pas comme une quête commerciale, je le conçois comme des rencontres avec des réalisateurs, des réalisatrices, des gens que j’aime bien, des gens avec qui j’ai envie de passer du temps parce qu’un tournage, c’est hyper long. Tous les films que je choisis, c’est parce que j’avais envie d’être dans ces projets-là et parce qu’il y avait quelque chose d’original, comme dans Prosper.
C’est d’abord l’originalité qui m’intéresse. Je n’aime pas trop la simplicité, je n’aime pas les additions de choses qui ne sont pas vraiment originales. Je crois en l’originalité, je trouve qu’aujourd’hui, avec le marché du cinéma, qui est assez compliqué, il faut proposer des choses originales, il faut créer sa propre voie, son propre chemin et le mien, en tout cas, c’est celui-là. Ce n’est pas celui de la facilité, mais ça me convient. Je me trouve plutôt épanoui là-dedans.
Il faut aussi rappeler le succès de L’amour ouf en 2024 !
J.-P. Z. : L’amour ouf est une addition de plein de choses, c’est mon gars Gilles ! Il m’a proposé de venir jouer dans son film. Il a appelé Adèle Exarchopoulos, François Civil et moi. Il nous a invités au restaurant et il nous a dit qu’il nous voulait tous les trois. C’était un tournage où j’ai retrouvé ma famille. J’adore Gilles ; Adèle, c’est vraiment ma go. Il y a avait Raphaël Quenard, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde. J’y suis allé en sachant que j’allais rigoler. Je suis parti sur le tournage pour rigoler, pas pour jouer dans un film ! [Rires] C’est l’un des plus grands succès de l’année, la preuve que quand on cherche à être heureux et pas forcément à faire des choses qui marchent, le chemin se fait tout seul.
Avant de vous lancer dans Prosper, est-ce que l’univers de la sape vous était familier ?
J.-P. Z. : Je connaissais le milieu de la sape parce que j’ai grandi à Caen dans un univers très africain. On traînait beaucoup avec les Congolais. J’avais beaucoup d’amis Congolais dont les parents étaient des sapeurs, donc c’est quelque chose qui me parlait. J’avais aussi vu le film Black Mic-Mac (1996), qui est un classique dans ma famille, qu’on a beaucoup regardé et qui tournait aussi autour de la sape. Je n’étais pas du tout étranger à cette culture. Je trouvais que c’était vraiment fin et judicieux de parler du thème de la confiance en soi à travers ce prisme-là, parce que c’est vraiment très original. Depuis Black Mic-Mac, je n’avais pas vu d’autre film qui abordait ce sujet-là, dans lequel on traversait cet univers-là de cette manière. On m’a déjà proposé d’autres films sur la sape par le passé, mais c’était trop dans la facilité. Quand j’ai vu le scénario de Prosper, j’ai vu que c’était bien plus complexe, avec de la comédie qui plus est.
« Je pense que le fait de les avoir côtoyés, ça m’a appris à me mettre en avant. Il faut se célébrer, s’autocélébrer, être fier de soi, et se regarder dans le miroir en se disant qu’on est beau. »
Jean-Pascal Zadi
C. B. : Je suis moitié italienne et moitié congolaise, donc ce sont mes origines, c’est ma famille. J’ai grandi dans le monde de la sape. Puis, je suis rentrée dans l’univers de la mode, donc ça a créé une rencontre. Ce n’était pas nouveau, mais c’était une manière différente d’aborder la mode et l’industrie de la mode. J’ai pris beaucoup de plaisir à me saper, à entrer dans cet univers et à rencontrer les sapeurs. Je leur ai posé beaucoup de questions, parce que j’ignorais encore beaucoup de choses. C’est plus complexe que ce qu’on pense et c’est très bien représenté dans le film.
Prosper est une comédie fantastique. Aviez-vous des références, des codes à exploiter ou au contraire avez-vous préféré vous en dissocier ?
Y. G. : La réapparition de King est forcément un clin d’œil à Ghost (1990). Après, je ne réfléchis pas en termes de références. J’ai forcément des références digérées. Je n’ai pas non plus envie d’avoir des références conscientes, bien que je pourrais aussi parler de The Mask (1994) avec Jim Carrey. Je n’ai pas fait un film aussi outrancier, avec tout le respect que j’ai pour cette œuvre culte, car je voulais aller vers quelque chose de simple. Ceci étant dit, j’ai beaucoup réfléchi aux chaussures, à comment les rendre fantastiques. À un moment, je me suis même dit : “On ne va rien faire.” S’il y a cinq ans on m’avait dit que j’allais faire un film fantastique… Je me suis donc laissé porter et j’ai laissé libre cours à mes intuitions. Les intuitions, c’est très important.
Que retenez-vous de ce film, de son écriture à sa présentation au festival de l’Alpe d’Huez ?
Y. G. : Ce que je garde du film, c’est être au contact avec les sapeurs et cette affirmation d’eux, de leur beauté, de leur sape et de leur attitude. On n’a pas beaucoup de moments dans la vie où on est content d’être nous-mêmes. Moi, je m’accepte. Je ne suis pas là pour faire une thérapie, mais il y a peu de moments où on s’assume dans la vie. Or, les sapeurs, c’est ça 24 heures sur 24, ils te regardent et te disent : “Regarde la chaussure” pour que tu les admires. Je pense que le fait de les avoir côtoyés, ça m’a appris à me mettre en avant. Il faut se célébrer, s’autocélébrer, être fier de soi et se regarder dans le miroir en se disant qu’on est beau. Moi, j’ai pas de mal à dire que je suis beau. [Rires] Ce film est une belle leçon de vie !
Ce que j’ai retenu aussi, c’est le professionnalisme de Cindy Bruna, qui a une manière de travailler qui est vraiment très américaine. Elle a bossé avec les Américains, elle parle anglais. Nous, on bosse avec l’humeur et avec les émotions, mais elle a préparé les choses : elle était carrée et concentrée sur le tournage.
C. B. : C’est une belle déclaration. Merci ! Je pense que je retiendrais un peu tout de ce film : une première expérience qui restera folle. Quand je tournais, j’essayais de faire des arrêts sur image, je regardais la scène et je me disais que c’était fou ce que j’étais en train de vivre, avec ce léger syndrome de l’imposteur. J’avais les yeux qui pétillaient, j’ai eu beaucoup de chance de participer à ce projet. J’ai aussi beaucoup de respect pour les acteurs. Devenir actrice, c’est quelque chose dont je n’osais pas rêver. Je pensais que c’était impossible. Je garde une expérience complète !
Y. G. : C’est mon premier film. J’ai probablement vécu les deux années les plus intenses de ma vie. C’est beaucoup de rencontres dans le milieu de la sape, une rencontre avec un producteur et des acteurs. Jean-Pascal ne m’a jamais lâché depuis 2020 et il n’avait pas eu son César, à l’époque. Je le remercie parce qu’il ne m’a jamais lâché. Monter un film, c’est compliqué et je sais que je lui dois aussi en partie ce premier film.
J.-P. Z. : Yohann vient de dire que c’était les deux années les plus intenses de sa vie. Le gars a quand même deux enfants !