Entretien

Que nous réserve 2025 ? Les prédictions des auteurs de science-fiction pour cette année

01 janvier 2025
Par Michaël Ducousso
L'avenir sera-t-il aussi catastrophique que celui annoncé par le Visiteur du futur ? Réponse avec la Red Team de l'Eclaireur. Crédits Pyramide-productions
L'avenir sera-t-il aussi catastrophique que celui annoncé par le Visiteur du futur ? Réponse avec la Red Team de l'Eclaireur. Crédits Pyramide-productions

S’ils n’ont pas de dons de voyance, les auteurs de SF ont en revanche un certain talent pour imaginer les futurs possibles. Nous leur avons donc demandé à quoi s’attendre pour cette année.

L’année 2025 sera-t-elle catastrophique ? Ou au contraire, marquera-t-elle un nouveau départ pour l’humanité ? Trouvera-t-on enfin l’amour ? Plutôt que de poser ces questions à des astrologues qui nous prédiront l’avenir pour les lions, troisième décan, ascendant truite de feu, nous avons préféré nous en remettre aux auteurs de science-fiction, dont l’imagination débordante permet de dresser le scénario des futurs possibles. C’est d’ailleurs à cet effet que l’armée française emploie, depuis 2019, une équipe d’auteurs dans le cadre du programme Red Team Défense, qui lui permet de se préparer à de potentiels conflits envisagés par des artistes. Dans la même idée, L’Éclaireur a monté sa propre Red Team pour se préparer à 2025.

L’armée française prend les auteurs de science-fiction au sérieux et se repose sur les capacités d’analyse prédictive de leur imagination pour se préparer aux enjeux du futur.

Le début de la fin pour l’IA ?

Alex Nikolavitch est un scénariste, traducteur et auteur spécialisé dans les littératures de l’imaginaire. Ces dernières années, il s’est justement intéressé aux différentes fictions autour de la fin du monde et son essai, Tout l’imaginaire des Apocalypses, ressort dans une version enrichie en février 2025. Et bonne nouvelle, la fin du monde n’est pas pour cette année, selon l’expert. En revanche, celle de l’intelligence artificielle pointe le bout de son nez.

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« Ma prévision pour 2025 ? Je pense que l’IA générative va arriver au bout de son cycle, comme avant elle les NFT. Les signes sont déjà là : les opérateurs sont obligés de brider les ressources allouées ; chaque incrément de qualité demandant une puissance exponentiellement plus élevée, il a fallu fixer une limite. Ou facturer plein pot. Pis encore, à force que le Net tout entier soit inondé de contenus générés par IA, dont se nourrissent d’autres IA pour générer d’autres contenus, dans une boucle de rétroaction qui ferait passer un larsen pour le summum de la mélodie, les résultats sont de plus en plus curieux, chaotiques… André Breton ne les renierait pas, ou pas toujours. Le rapport signal/bruit s’effondre, comme on disait du temps où le sens des mots avait encore de l’importance. Donc, fin de la bulle de l’IA ? Ça ressemble à un vœu pieux, mais, après tout, les vœux, en fin d’année, c’est de tradition. Tiens, Chat-Journey, tu peux me faire une jolie carte de vœux ? »

Alors qu’on prédisait le remplacement des humains par l’IA, celle-ci pourrait bien voir sa carrière brutalement interrompue en 2025. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui avaient peur de voir Chat-GPT et compagnie leur voler le job de leurs rêves.©Space Wind/Shutterstock

L’auteur américain Ken Liu a fait une entrée remarquée dans les librairies françaises avec la publication par Le Bélial’ de son recueil La ménagerie de papier, en 2015, puis de son roman L’homme qui mit fin à l’histoire, en 2016. En 2025, la fin de l’histoire concernera plutôt l’IA, selon lui, mais une fin beaucoup plus dramatique que celle envisagée par Alex Nikolavitch :

« Ma prédiction pour 2025 est que nous aurons le premier grand scandale impliquant l’IA qui prend des décisions alors qu’elle n’a pas à le faire. Jusqu’à présent, les erreurs de l’IA sont restées largement hors du radar du public : un modèle médiocre accusé de mettre fin prématurément à la couverture d’un traitement médical, quelques voitures autonomes qui ont tué leurs passagers, un programme de sélection de cibles militaires critiqué pour avoir sous-évalué la vie des civils. Des excuses ont été trouvées, certaines personnes se sont fait tirer les bretelles, puis nous sommes passés à autre chose, distraits par le prochain scandale sexuel d’une célébrité. Mais cela ne peut pas durer éternellement. L’heure des comptes approche. En 2025, un système décisionnel basé sur l’IA causera finalement tant de morts et de destructions que le monde sera forcé d’admettre à quel point nous avons déjà renoncé à tout contrôle. Et ce serait l’issue la plus optimiste. »

Objectif Lune… reporté

La base Artemis imaginée par la Nasa restera pour l’instant au stade du concept art…©NASA

Grand nom des littératures de l’imaginaire et autrice multiprimée, Catherine Dufour s’est intéressée à l’exploration lunaire dans son dernier roman, Les champs de la Lune, paru en septembre chez Robert Laffont. Si elle y imagine la terraformation future de notre satellite naturel, elle a bien peur que cet avenir ne soit pas près de se réaliser. Certainement pas en 2025, en tout cas…

« 2025, on ne marchera pas sur la Lune.
2025 devait être une année lunaire. Lunaire et américaine, du moins. La Nasa l’avait promis pour 2025 : la mission
Artemis II devait fouler le régolithe. On a parlé d’“exploration durable”, de “missions régulières” et même de “l’installation d’un poste permanent sur la Lune”. Tout cela dans l’intention avouée de construire un astroport ayant pour destination la planète Mars. Enfin, c’est Trump qui l’avait promis en 2019, ce qui explique peut-être certaines choses. Et notamment que le lanceur Space Launch System (SLS) a pris un tel retard qu’il ressemble à un abandon.
2025 ne sera pas l’année lunaire tant promise et nous n’aurons plus qu’à garder les yeux baissés vers la surface de la Terre, ses drames incessants et son attrition qui semble inéluctable. Toutes et tous ? Non. Une poignée d’hommes et de femmes passeront 2025 dans les terres les plus pelées d’Islande, afin de s’entraîner en “conditions presque lunaires”. Courage à elles, et à eux ! Et rendez-vous en 2026. »

Préparer le monde d’après

Ketty Steward parcourt les futurs possibles depuis plus de 20 ans, sans aucune frontière. Qu’il s’agisse des rapports sociaux dans la société effondrée de Foodistan, où les régimes alimentaires refondent les rapports humains, ou de l’avenir de nos modes de vie en milieu urbain dans Quartiers libres, elle s’intéresse au futur au pluriel. C’est d’ailleurs le titre de son essai bientôt réédité par Inframonde. Pour L’Éclaireur, elle a décidé de laisser parler le collectif afin d’imaginer ce que sera 2025, une année qui pourrait marquer l’An I de l’effondrement.

La mini-série L’effondrement avait dressé, en 2019, le scénario de la fin de notre monde. Ce qui intéresse Ketty Steward et les participants de ses ateliers d’écriture, ce sont les modèles qu’adopteront les mondes d’après.

« Je n’ai personnellement aucune connexion avec le futur et je n’ai pas spécialement envie que les spéculations auxquelles je me livre dans mes fictions se réalisent. Cependant, si les récits créés lors de mes ateliers d’écriture disaient quelque chose des intentions et désirs des participantes et participants, alors il faudrait que Noisy-le-Sec se prépare à voir circuler dans ses rues des animaux tropicaux et que Bruxelles s’organise pour une alternance de vie à la surface et de vie souterraine. Si l’on doit en croire les récits des étudiants lyonnais, il serait temps d’investir massivement dans les lentilles. Les Parisiens, réorganisés en quartiers, se verraient, eux, contraints de se former à diverses techniques médicales pour faire face à l’abandon des services de santé par l’État. Quant à Toulouse, outre les expérimentations de démocratie participative, il faudrait s’attendre à circuler sur la Garonne et ses nouveaux canaux lors d’épisodes d’inondation, de plus en plus fréquents. Ce que je souhaite pour ces lieux et pour le monde, c’est une prise de conscience massive de la possibilité d’agir collectivement pour rendre possibles des sociétés plus justes et plus inclusives, et pour limiter les effets de la destruction déjà bien entamée de la planète. »

Fondé par le légendaire duo Moebius, Druillet et Dionnet, le magazine des Humanoïdes associés explore les futurs possibles de 1974 jusqu’à demain.

Producteur et animateur de C’est plus que de la SF, Lloyd Chéry est tombé dedans lorsqu’il était tout petit. Devenu rédacteur en chef adjoint de Métal hurlant et scénariste de Vertigéo, il prépare désormais l’ambitieuse exposition Plus loin. La nouvelle science-fiction qui sera dévoilée à la Cité de la BD à l’occasion du Festival d’Angoulême. Autant dire qu’il connaît bien son domaine et, fort de son expérience en la matière, voici ce qu’il redoute pour l’année qui vient :

« Deux thématiques reviendront en 2025. Les prémisses de la guerre de l’eau devraient pointer le bout de leur nez. L’accessibilité à l’eau deviendra un sujet de plus en plus pressant, tout comme les problématiques liées à sa pollution. L’autre thématique viendra de la dénatalité. Alors que la science-fiction new wave prédisait les désastres de la surpopulation avec des auteurs comme John Brunner, on se rend compte qu’il y aura progressivement moins d’hommes et de femmes sur la planète, mais plus de personnes âgées. Bref, nous vivrons de nouveaux défis qui s’annoncent passionnants. Seul bémol, on a parfois l’impression que Les fils de l’homme se rapproche. »

Bonne nouvelle ! Nous échapperons aux affres de la surpopulation. Mauvaise nouvelle… Notre avenir risque de ressembler à celui du film d’Alfonso Cuaron.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste